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Mehdi Jomaa et ses ministres vont se trouver désespérément seuls à affronter les défis posés à la Tunisie. Il faudrait qu'ils disent la vérité au peuple.

Par Moncef Gouja

C'est comme s'ils prêchent dans le désert! Le ministre des Finances, Hakim Ben Hammouda, et le gouverneur de la Banque centrale, Chedly Ayari, ont tiré ensemble la même sonnette d'alarme, ce qui est rare en général. D'habitude, c'est plutôt Béji Caïd Essebsi, l'ancien Premier ministre et leader de Nida Tounes, qui attire l'attention sur la gravité de la situation économique, quand c'est vraiment le cas, et dans un jargon que seuls les spécialistes connaissent, et c'est, souvent, le ministre des Finances (n'est-ce pas Elyes Fakhfakh ?) qui, au nom donc du gouvernement, tente de relativiser et de calmer le jeux pour ne pas inquiéter davantage la Bourse et les investisseurs.

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Hakim Ben Hammouda sur un toit brûlant.

Un naufrage annoncé

La situation est très grave, a déclaré Hakim Ben Hammouda, qui, contrairement à ses prédécesseurs, joue totalement la transparence, et Chedly Ayari annonce carrément le naufrage («inhiyar») de l'économie, de la possible chute vertigineuse du dinar, la monnaie nationale, en raison, dit-il, du déficit grandissant de la balance commerciale. On importe de plus en plus et on exporte de moins en moins. Du coup, on risque de ne plus pouvoir importer parce qu'on n'aura plus de devises et le dinar va plonger, plonger... Jusqu'où, jusqu'à quand? M. Ayari ne le dit pas.

Même le tourisme, l'un des principaux secteurs pourvoyeurs de devises, ne se relève que lentement de sa chute, avec seulement 2,7% d'augmentation des recettes pour le mois dernier, par rapport à la même période de 2013, une année des plus mauvaises pour le tourisme tunisien, ce qui explique peut-être le coup de balaie donné par la ministre du Tourisme, Amel Karboul, aux principaux postes de son ministère, alors que d'habitude, on n' opère jamais de tels changements en pleine campagne de promotion de nos plages et de nos hôtels.

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Mehdi Jomaa reçu la semaine dernière à New York par Christine Lagarde, présidente du FMI: l'endettement extérieur ne peut régler, à lui seul, les problèmes économiques de la Tunisie. 

Restent les recettes que peuvent drainer le retour des Tunisiens à l'étranger et une très hypothétique relance des exportations, notamment des produits agricoles, que rien ne garantit.

Les seules recettes en devises proviendraient des prêts que pourraient contracter le pays, notamment après la visite de Mehdi Jomaa aux Etats-Unis et aux pays du Golfe, or ceux-ci sont conditionnés et ne doivent servir que pour les investissements et non pour la consommation.

En tout cas, le ministère de l'Economie et des Finances, ainsi que la Banque centrale ont fait leur boulot et la balle est dans le camp du chef du gouvernement. Ce dernier avait annoncé la couleur dès son retour des States et compte réunir les partenaires sociaux et les partis politiques pour leurs expliquer la situation, a-t-il déclaré! Mais leur expliquer quoi?
Expliquer aux partis de la Troïka, formant l'ex-coalition gouvernementale, qu'ils ont mené le pays à la banqueroute et laissé une ardoise de 12 milliards de dinars à solder au plus vite pour mener à terme le budget?

Expliquer aux syndicats, dont la responsabilité dans la paralysie des deux fleurons de notre industrie, la Compagnie de phosphate de Gafsa (CPR) et le Groupe chimique tunisien (GCT) est totale. Ces deux entreprises ont essuyé en une seule année une perte sèche de 2,5 milliards de dinars, sans parler des autres secteurs sinistrés.

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Mehdi Jomaa reçu la semaine dernière à New York par Jim Yong Kim, président de la Banque Mondiale. 

Dire la vérité au peuple

Mehdi Jomaa a-t-il le choix, diraient certains? N'est ce pas tout ce beau monde qui l'a amené aux affaires jusqu'à en faire le numéro un du gouvernement et qui peut le destituer par un seul vote? C'est le paradoxe de la Tunisie «révolutionnaire».

En tout cas, le premier des ministres (est-il réellement leur président) a choisi encore de dialoguer. Parions que ses interlocuteurs vont tous lui répondre: «Nous t'avons compris», mais ils retourneront ensuite à leurs vieilles habitudes, car ils ne savent rien faire d'autre que protester, critiquer ou enflammer les plateaux de télévision. Quant à proposer des solutions ou s'adresser au peuple pour lui dire la vérité, ils ne savent et ne veulent pas le faire.

Mehdi Jomaa et ses ministres vont donc se trouver désespérément seuls à affronter les défis posés au pays. Il faudrait qu'ils s'en accommodent. M. Jomaa gagnerait à aller seul devant le peuple pour lui dire en face la vérité, toute la vérité, aussi crue et amère soit-elle. S'il veut aller plus loin, il doit lui dire qui est responsable de cette catastrophe. Le peuple le sait déjà.