tourisme 4 4Dans son ouvrage ''Révolutionner le tourisme tunisien'', Mounir Sahli, hôtelier et expert du tourisme, analyse les acquis, carences et perspectives de relance du tourisme tunisien.

 

Véritable analyse en profondeur des problèmes du secteur touristique, leurs origines, leurs causes et leurs conséquences, l'étude de Mounir Sahli ne se contente pas de dresser un bilan de l'existant mais propose des solutions concrètes aux difficultés de l'heure. Car Mounir Sahli est, depuis trois décennies, un acteur de premier plan du tourisme tunisien. Il a en effet occupé le poste de directeur des interventions économiques au ministère des Finances et, à ce titre, a été membre de la sous-commission des agréments touristiques durant les années 80. Il a également participé à l'élaboration du Code des investissements touristiques et de plusieurs textes régissant le secteur. Il a ensuite quitté la fonction publique pour devenir lui-même promoteur hôtelier. Il fait d'ailleurs partie de la génération ayant bénéficié des avantages accordés au titre du régime dit des «nouveaux promoteurs» et a construit un hôtel à Djerba qui a ouvert ses portes en 1993 et qui est toujours en fonction.

«A force de baigner dans le tourisme et d'en parler en continu avec mon entourage, j'ai décidé de mettre noir sur blanc les différents sujets qui me tiennent à cœur. Cela a constitué aussi une manière d'évacuer le trop plein qui est en moi au sujet du tourisme», explique Mounir Sahli, qui souligne également que ce livre lui a donné l'occasion, «grâce au vent de liberté qui souffle sur la Tunisie, de dire tout haut ce que je pensais tout bas».

Cependant, il ne s'agit en aucune manière de faire le procès de quiconque à travers ce livre mais d'établir certains constats sur le choix de la Tunisie de s'engager sur la route du tourisme.

L'ouvrage, préfacé par Afif Kchouk, hôtelier et journaliste spécialisé dans le tourisme, se présente en trois grands chapitres.
Le premier, intitulé «De l'euphorie au désenchantement», met en avant l'extraordinaire évolution de l'hôtellerie tunisienne au cours des dernières décennies, et en particulier entre 1991 et 2010, «avec un pic historique à 450 millions de dinars (de recettes, Ndlr) en 1995» rappelle l'auteur du livre, qui qualifie la période comprise entre 1991 et 2000 de «folle décennie, celle de toutes les performances mais aussi de tous les dérapages».

Mounir Sahli ne manque pas de citer des exemples concrets de chaînes hôtelières étrangères qui ont géré des hôtels en Tunisie mais qui ont fini par rencontrer «de grandes difficultés dues à la mauvaise gestion, voire à des malversations de son équipe dirigeante».

L'auteur jette également un pavé dans la mare en estimant, contrairement aux allégations de certains responsables actuels, que «la crise de notre tourisme et l'enclenchement de la spirale de baisse des prix avaient commencé bien avant les événements du 11 septembre 2001», lesquels événements auraient servi de bouc émissaire aux responsables du tourisme de l'époque. «Il ressort que c'est la gestion chaotique et irréfléchie de notre offre touristique qui a plongé le secteur dans la spirale de la chute des prix avec ses corollaires», écrit Mounir Sahli.

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Naufrage des nouveaux promoteurs

Abordant la formule des «nouveaux promoteurs», dont le mécanisme est expliqué dans ses moindres détails, l'auteur considère que «ce régime de financement» fut le cadeau empoisonné qui préfigurait le naufrage des nouveaux promoteurs et cela bien avant l'entrée en exploitation de leurs unités hôtelières. «Le cas des nouveaux promoteurs qui se sont aventurés au Sahara est encore plus emblématique. Ils se sont carrément ensablés», note l'auteur.

Et si des événements extérieurs comme le 11 septembre 2001 ou encore la guerre du Golfe en 2003 ont certes eu un impact sur le tourisme et que la destination traine encore, Mounir Sahli ne manque pas d'évoquer l'attentat de la Ghriba à Djerba en 2002 «qui a été un exemple éclatant de la myopie de l'ancien régime».

Le chapitre intitulé «Révolutionner le secteur touristique» constitue le noyau de l'ouvrage. L'auteur y appelle à «réconcilier le Tunisien avec son tourisme» et consacre une partie importante au tourisme intérieur qu'il qualifie d'«élément principal anti-crise» et préconise une offre d'hébergement personnalisée pour cette clientèle. D'ailleurs, cette proposition de «restructuration de l'hébergement touristique» ne concerne pas uniquement les locaux mais aussi la clientèle internationale, comme par exemple le «tourisme résidentiel qui fait cruellement défaut à notre paysage touristique».

Autre sujet brûlant, celui de l'endettement des hôtels. Mounir Sahli estime par exemple que le salut des établissements situés en deuxième ou en troisième position par rapport au front de mer ne «pourra se faire qu'au moyen de leur reconversion en résidences de tourisme».

Quant au dossier du marketing touristique, il est dit dans le livre que «le tourisme tunisien n'a jamais bénéficié de la communication et de l'information qu'il mérite», ce qui nécessite de révolutionner la politique marketing touristique. «Le nouveau marketing touristique devrait s'articuler autour d'identités régionales», regrette Mounir Sahli.

Dans le 3e chapitre, intitulé «Gagner la bataille de la qualité», l'auteur n'est pas tendre par exemple avec la formule «All Inclusive» dont les conséquences «ont été ravageuses sur le produit touristique». Et pour «faire ancrer d'avantage la qualité de services», la proposition émise concerne «le recours à la labellisation» à travers des marques, des normes ou encore des certifications qui «obligerait les professionnels du tourisme à ne pas relâcher leurs efforts».

Les ressources humaines et la formation professionnelle occupent également une place prépondérante dans le livre de Mounir Sahli qui plaide par exemple en faveur du recrutement libre du personnel étranger dans les hôtels tunisiens.

«Réformer l'environnement du tourisme»

Dans ce troisième chapitre, l'auteur aborde tout d'abord la question du tourisme religieux. «En Tunisie, écrit-il, la grande question, qui est plus que jamais d'actualité, est de savoir comment concilier le tourisme avec les croyances et les aspirations d'une population qui vient de faire sa révolution et qui a porté au pouvoir un parti islamiste qui affirme que seul un retour aux sources islamistes, la ''Chariâ'', est capable de produire plus de justice sociale et de bonne gouvernance».

Plus importante cependant, l'analyse consacrée au tourisme et au développement régional. Le livre pointe du doigt le déséquilibre régional qui s'est aggravé notamment pendant les deux décennies 1990-2010. Quant au tourisme culturel, «son renouveau passe avant tout par la prise en main de part les régions du développement de leur propre potentiel».

L'ouvrage n'aurait pas été complet sans le transport, et notamment le transport aérien. Mounir Sahli consacre au sujet près d'une dizaine de pages. Sans détour, il affiche sa position concernant l'épineuse question de l'Open Sky : «avec la libéralisation et l'arrivée de nouvelles compagnies, le tourisme tunisien pourrait recevoir une nouvelle clientèle, à majorité individuelle, qui lui permettra de desserrer l'emprise étouffante du tourisme de groupes».

Et en guise de sous-entendu aux actuels gouvernants, l'auteur délivre un message de première importance et qui, d'autant plus, est d'une actualité brûlante : «La stratégie de développement à l'horizon 2016 ne peut, en tant que telle, constituer la feuille de route pour sortir le tourisme de l'impasse dans laquelle il s'est installé».

Ce livre, qui dissèque donc le tourisme tunisien dans ses moindres détails, est le fruit de la longue expérience de son auteur, lequel s'est aussi appuyé sur plusieurs dizaines d'études nationales et internationales pour tirer les conclusions publiées dans l'ouvrage. En guise d'annexe, le lecteur aura également accès à plus d'une quarantaine de tableaux statistiques. Autant donc dire que le livre est aussi un document de référence que chaque opérateur touristique doit détenir à portée de main. C'est aussi un ouvrage que les décideurs au niveau de l'administration, devrait également consulter avant chaque grande décision.

* ''Révolutionner le tourisme tunisien'', publié à compte d'auteur, 206 pages, Tunis 2013, prix : 20 DT.