Economiste spécialisé dans les questions de développement et de commerce international, Hakim Ben Hammouda analyse dans cet entretien la conjoncture au Maghreb et les perspectives face à la crise globale.


Kapitalis: Comment la crise a-t-elle impacté les pays du Maghreb? 
Hakim Ben Hammouda: Le Maghreb a connu d’importantes dynamiques de croissance avant la crise avec une moyenne de 4,4% entre 2000 et 2005. Cette croissance s’est renforcée en 2006 et 2007 atteignant en moyenne annuelle 6%. Ainsi, et sans atteindre les niveaux des pays émergents au cours des années d’avant la crise, les économies maghrébines se sont inscrites dans une effervescence prenant ses origines au Sud et contrastant avec l’atonie dans les pays développés. Au point où certains ont parlé d’une déconnexion entre les cycles économiques du Nord et du Sud.

Maghreb 3e région la plus touchée par la crise
Cette dynamique a cependant été remise en cause par la crise qui est venue  heurter la croissance au Maghreb comme dans les autres pays en développement. Celle-ci a, en effet, perdu de sa vigueur. Elle a été de 5% en 2008 en moyenne avant de tomber à 3,8% en 2009. Le Maghreb est la troisième région la plus touchée par la crise après l’Afrique subsaharienne et l’Amérique latine.
Plusieurs facteurs ont été à l’origine de la transmission de la crise globale aux  pays du Maghreb, même s’ils ont eu une ampleur différenciée selon les pays. Il y a d’abord la baisse des investissements directs étrangers, notamment en provenance des pays du Maghreb mais aussi la baisse des exportations de la  Tunisie et du Maroc du fait d’une chute de la demande dans les pays développés, et particulièrement du marché européen où l’essentiel des exportations maghrébines est écoulé.
L’Algérie a également souffert d’une baisse de ses recettes d’exportation du fait d’une baisse des cours du pétrole après les pics atteints en 2007 et en 2008. L’impact de la crise s’est également propagé dans les pays du Maghreb à travers une baisse des recettes des travailleurs immigrés dont une grande partie occupe des emplois dans des secteurs fragiles qui ont été les premiers à être touchés par la crise. Enfin, malgré une augmentation des entrées et des nuitées, le secteur touristique a vu ses recettes diminuer dans la mesure où les touristes touchés par la crise dépensent moins sur place.

Le Maghreb va-t-il surmonter les effets négatifs de la crise globale pour retrouver son rythme d’antan?
Le Maghreb est parvenu à remonter en partie la pente. La projection de croissance moyenne pour les économies du Maghreb est de 4,1% pour l’année 2010. Les pouvoirs publics dans la région ont été très actifs et ont mis en place des réponses à la crise à travers notamment des programmes de relance budgétaire, des politiques monétaires moins vigoureuses et plus flexibles et la mise en place de quelques programmes d’investissement dans l’infrastructure afin que la demande publique prenne le relais des exportations.
L’ensemble de ces mesures ont permis aux pays du Maghreb de retrouver une partie de leur dynamisme d’antan et de retrouver un sentier de croissance plus vigoureux que pour l’année 2009.
Cependant, une étude comparative avec les autres régions en développement –qui vont connaître des rythmes de croissance plus vigoureux, y compris celles touchées plus fortement par la crise, comme l’Afrique au Sud du Sahara et l’Amérique latine – montre que le Maghreb s’en sort moins bien.

Quelles sont les raisons de la faiblesse de la réponse à la crise?
Deux explications peuvent être avancées. La première est liée à la faiblesse des ressorts internes de la croissance. L’univers de la politique économique au Maghreb est encore marqué par la culture de stabilisation héritée du consensus de Washington et de l’influence du traité de Maastricht. Les pouvoirs publics ont certes mis en place des réponses à la crise, mais ces réponses n’ont pas eu la vigueur et l’ampleur de celles diligentées dans d’autres régions et qui leur ont permis de faire de cette crise une nouvelle opportunité.
Il faut aussi mentionner les faiblesses structurelles des économies maghrébines toujours dépendantes du pétrole ou des produits intensifs en travail, de plus en plus marginalisés sur les marchés internationaux.
D’autres explications sont liées à l’environnement international et régional. Ainsi, les faibles progrès de la construction maghrébine empêchent le marché régional prendre le relais d’un marché international en pleine récession. Autre talon d’Achille : la forte dépendance du Maghreb envers une Europe, qui sera en léthargie pour plusieurs années suite à l’adoption des programmes d’austérité dans la plupart des pays. Pour réduire cette dépendance, il convient de mettre en place une véritable stratégie de diversification des partenaires, laquelle prendra des années pour donner ses fruits.

Que doivent faire les pays de la région pour de sortir définitivement de la crise et s’inscrire sur les chemins de l'émergence?
La crise a eu un effet positif : elle a mis à nu les difficultés structurelles des économies maghrébines. Elle a aussi souligné la nécessité pour ces pays d’opérer les transitions et des réformes nécessaires, notamment en s’orientant vers la recherche, l’innovation et les nouvelles technologies. Ces pays doivent aussi renforcer leur intégration régionale et diversifier davantage leurs partenaires et les ressorts de leur développement.

Propos recueillis par:
Ridha Kéfi

* Hakim Ben Hammouda est directeur de l’Institut de formation et de la division de la coopération technique à l’Organisation mondiale du commerce (Omc), à Genève. Il vient de publier un ouvrage collectif ‘‘Crise… naufrage des économies ?’’ (éd. De Boek, à Bruxelles).