altDepuis la révolution, on perçoit les compagnies pétrolières comme des mines d’or à exploiter dans l’immédiat. Or, de l’exploration à la production (si production il y a), il faut compter au moins 10 ans.

Par Wided Ben Driss*


Le domaine de l’exploration et la production pétrolière semble être ambigu, compliqué et intriguant pour la majorité ce qui laisse libre cours à la circulation des rumeurs et des fables.

Comme tous les domaines scientifiques, la recherche pétrolière impose la maîtrise de notions compliquées et d’un jargon assez spécifique qui n’est pas à la portée de tous. C’est donc aux responsables et aussi aux journalistes intègres de savoir simplifier et passer l’information correcte afin d’éviter les polémiques qui laissent croire qu’il y a une mer de pétrole sous chaque permis de recherche.

Les rêves de grandes découvertes

Ces polémiques compliquent l’activité des compagnies pétrolières dans leurs contacts avec les autorités régionales, les habitants et les journaux qui commencent à rêver des grandes découvertes à la vue du premier Vibro (camion équipé de capteurs d’enregistrement) d’acquisition sismique.

Il est capital de clarifier qu’une acquisition sismique est une étape très précoce de l’exploration et que les données brutes enregistrées ne peuvent pas indiquer l’existence d’hydrocarbures et nécessitent un traitement spécial pour faciliter leur interprétation.

L’interprétation est ensuite basée sur des hypothèses, mais seul un forage d’exploration permet de vérifier l’existence d’un réservoir avec des hydrocarbures et des réserves en place économiques.

Depuis la révolution du 14 janvier 2011 en Tunisie, la situation s’est compliquée car les compagnies sont perçues comme des mines d’or à exploiter dans l’immédiat. Les riverains des chantiers deviennent d’une exigence arrogante; ils réclamant des compensations vertigineuses, organisent des sit-in sur site, bloquent le travail et exigent des emplois permanents dans un secteur technique de pointe. Exemples: sit-in de BG à Sfax, sit-in a Tataouine au sud et sit-in continu actuellement à Kasserine au champ de Douleb).

La situation risque d’empirer sous le regard d’une autorité débordée et impuissante face à un déficit social hérité du passé et qui ne cesse de s’aggraver.

Compagnies pétrolières et déficits sociaux

Plusieurs compagnies pétrolières subissent un chantage et une pression qui risquent, à la longue, de les dissuader à continuer à investir en Tunisie.

Les compagnies pétrolières ont toutes la volonté de contribuer à l’essor et au développement des zones riveraines mais ne peuvent les pas prendre en charge toutes.

En fait, et en ce qui concerne l’emploi, ces compagnies ne recrutent que des gardiens ou des ouvriers non qualifiés car les spécialités requises dans le domaine du forage ou de la production sont très spécifiques. A ce propos, on se demande si l’Etat tunisien accepte d’alléger les taxes du secteur pétrolier pour permettre aux compagnies pétrolières d’investir dans le social?

Les Tunisiens sont intelligents et assimilent parfaitement quand les sujets sont présentés clairement et objectivement. Il faut donc leur expliquer qu’un très long chemin sépare une acquisition sismique (en mer ou en terre) de la production du pétrole. De longues années de travail de plusieurs équipes multidisciplinaires sont nécessaires pour infirmer ou confirmer l’existence des hydrocarbures. Dans plusieurs cas cet effort se solde par un échec cuisant (8 puits/10 sont négatifs) et même dans les cas de réussite le développent des découvertes de pétroles et de gaz peut être gelés pour différentes raisons.

Il est à clarifier aussi que la production du gaz n’est pas automatique car elle est fonction de la demande du marché. En fait, le gaz ne se stocke pas comme le pétrole et doit être acheminé directement du champ aux consommateurs.

Prenons un cas théorique positif en nous basant la loi des hydrocarbures conventionnels en vigueur en Tunisie…

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Forage d'exploration à Majel Bel Abbas de Kasserine.

Du permis d’exploration à l’entrée en production

Une compagnie pétrolière acquiert un permis de prospection pour deux années, fait des études géologiques et géophysiques et élabore un rapport de synthèse. Le permis est converti en permis de recherche pour quatre années. La compagnie pétrolière réalise la sismique, interprète les données, implante un forage d’exploration sur la zone potentielle la moins risquée dans le but de vérifier les hypothèses des études faites (l’exploration n’est pas une science exacte). Le forage prouve l’existence des hydrocarbures et la compagnie pétrolière doit tester le puits et démontrer que le débit d’huile ou de gaz pompé est commercial.

En fait, dans chaque zone (à terre ou en mer) les experts définissent une production journalière et une durée de vie minimum requise pour investir en vue d’extraire et de développer cette découverte (plusieurs puits sont bouchés et abandonnés quand les débits sont faibles).

Restons dans le cas positif d’une compagnie qui déclare une découverte et demande une concession aux autorités. Une période de quatre années est alors octroyée en cas de découverte de pétrole et six années dans le cas d’une découverte de gaz, de manière à pouvoir apprécier l’importance de la découverte en forant d’autres puits et construire l’infrastructure de la production (plateforme, quartier vie, process, pipes…).

Un simple compte de la durée de ce simple scénario théorique nous ramène à dix années de travail sans entraves de la phase exploration à la phase production. Il faut reconnaitre que l’autorité concédante en Tunisie, tout en étant vigilante quant à l’application des procédures, reste indulgente et considère les difficultés des opérateurs en leur accordant des extensions en durée pour leur permettre d’honorer leurs obligations.

Il en découle qu’on ne prépare pas les barils en signant une convention car l’exploration est un domaine de longue haleine qui demande patience, capacité  d’encaisser les échecs et volonté de construire pour les générations futures.

 

* Directeur d’exploration.

 

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