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Le gouvernement tunisien semble être très précipité et ne rate aucune occasion pour céder, une partie après l’autre, la maigre richesse naturelle de la Tunisie. Il est précipité encore plus lorsqu’il s’agit de satisfaire le Qatar!

Par Aya Chedi


La visite officielle en Tunisie cette semaine du prince héritier du Qatar, Tamim ben Hamad ben Khalifa, s’est passée sans grand bruit. Elle a été couronnée par la signature de plusieurs accords importants et la pose de la première pierre d’un projet touristique dans la région du Jerid.

Inutile de rappeler que ce projet était concocté, dans ses infimes détails, par les équipes de l’ancien régime, mais on ne s’attardera pas sur cet aspect, puisque le gouvernement de transition ne cesse de faire siennes les «injazet» (réalisations) de l’ancien régime, alors que ses membres continuent de marteler que la Tunisie «n’a hérité que des ruines»!

Diar Qatar et l’eau rare des oasis

La visite du prince héritier du Qatar se caractérise aussi par beaucoup d’ambiguïté et surtout d’un grave manque de transparence.

«Plusieurs documents ont été signés, notamment, un protocole de coopération pour la rénovation et la restauration de sites archéologiques et historiques tunisiens, un mémorandum d’entente sur le programme qatari de développement en Tunisie, une convention pour l’encouragement et la protection des investissements entre les deux pays. Quatre mémorandums d’entente ont aussi été signés. Le premier concerne la coopération entre le ministère public qatari et le ministère de la Justice tunisien. Le second est relatif au projet de phosphate de Sra Ouertane. Le troisième concerne la coopération dans le domaine du raffinage pétrolier – raffinerie de Skhira – entre la Compagnie pétrolière du Qatar et le gouvernement tunisien et le dernier s’intéresse à la coopération entre la Compagnie d’électricité et d’eau du Qatar et la Société tunisienne d’électricité et de gaz, (Steg)».

C’est tout ce qui est diffusé et annoncé, par les médias tunisiens et qataris, à propos de cette visite!

Maquette d'une partie du projet de Diar Qatar à Tozeur.

On a cependant passé beaucoup de choses sous silence, notamment le désarroi manifesté par certains habitants de la région du Djérid face à l’implantation du projet touristique Diar Qatar à Tozeur, qui ne devrait créer que quelques dizaines d’emplois, mais… dilapider des quantités énormes d’eau, que les habitants de la région préfèrent utiliser pour irriguer leurs champs de palmiers. «Que pourrait apporter ce mégaprojet qui va occuper d’importantes superficies, alors que les nombreux hôtels que compte la région peinent à joindre les deux bouts, en raison de la crise structurelle du tourisme saharien?», s’interrogent les opposants à ce projet.

Les autres accords, dont on ne connaît pas encore les détails, ne pourraient-ils pas réserver d’autres surprises, et encore plus désagréables?

Qui a autorisé la cession de Sra Ouertane?

Outre le projet de la raffinerie de Skhira, qui avait déjà été négocié avec l’ancien président, et qui vient d’être relancé avec les Qataris, sans qu’on en connaisse les détails techniques et financiers, on a inclue, dans les accords tuniso-qataris signés cette semaine, le projet de production de phosphate à Sra Ouertane!

Pour ceux qui ne le savent pas, Sra Ouertane est une «roche minière» qui se situe à 220 kilomètres au sud-ouest de Tunis, dans la région de Djerissa, dans le gouvernorat du Kef.

Le projet Diar Qatar montré à Ben Ali en septembre 2011.

La mine consiste en quatre grands dépôts d’une réserve de près de 10 milliards de tonnes de phosphates. Selon des expertises élaborées par des sociétés étrangères, la période d’exploitation de cette mine peut aller jusqu’à 50 ans.

Le phosphate de Sra Ouertane se caractérise par une teneur du minerai de 13% ~ de 14% P205, un taux de récupération de 26%, un taux de récupération du pentoxyde de phosphore de 56%, ainsi qu’une concentration en phosphore variant de 9,5% à 30,5%. Entre 13% et 14% de la teneur du minerai peuvent être acheminés vers Métlaoui et Gafsa, situés tout près, ce qui permettrait une production de 400 à 500 millions de tonnes par an.

Un appel d’offres international avait été lancé par le ministère de l’Industrie, de la Technologie et des Pme, au cours des années 2008-2009, pour l’exploitation de cette mine. Des entreprises du monde entier avaient alors manifesté leur intérêt. On parlait d’entreprises chinoises, indiennes mais surtout de la société brésilienne Vale qui avait offert à elle seule la somme de 2 milliards de dinars!

Manque de transparence, absence de communication et cachoterie

Pour quelles raisons et dans quelles conditions a-t-on décidé d’inclure le projet de Sra Ouertane dans l’offre globale qatarie d’un montant de 7 milliards de dinars. Ce projet, disent les experts, pourrait doubler les exportations tunisiennes de phosphate et assurer ainsi d’énormes revenues à l’Etat!

Que la négociation et la signature de l’accord se soient faites en catimini laisse planer des doutes sur les conditions d’élaboration et de passation de ces projets. Le gouvernement serait bien inspiré de s’expliquer sur les tenants et aboutissants des projets conclus avec le Qatar, ce qu’ils vont apporter (ou non) au pays et apporter la preuve qu’on ne pourrait en attendre un meilleur profit.

Mine de phosphate de Sra Ouertane.

On a cru avoir dépassé l’époque où les grands marchés étaient passés de gré à gré, mais voilà que les anciennes pratiques reprennent de plus belle: manque de transparence, absence de communication, désinformation, cachoterie, etc.