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''Bastardo'', le nouveau long-métrage de fiction de Nejib Belkadhi, sorti en salle le dimanche 8 décembre, dénonce la corruption, la marginalisation et un système dominé par les ripoux.

Par Yüsra N. M'hiri

Film tragi-comique où se mêlent amour et haine, richesse et pauvreté, pouvoir et soumission... Des scènes fortes, attachantes et drôles, alimentent cette ambiguïté et transportent le spectateur dans un monde à la fois imaginaire, mais fortement enraciné dans la vie quotidienne.

Les scènes se déroulent dans un no man's land, un quartier défavorisé, hanté par une foule d'individus sans foi ni loi. Le «big boss» des lieux, Arnouba (Lapinou), qui a hérité «le pouvoir» de son père, gère les affaires, prend les décisions, juge et sanctionne.

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Un monde à la fois imaginaire, mais fortement enraciné dans la vie quotidienne.

Cet enfant de chœur, méchant malgré lui, mené par le bout du nez par sa maman, El Khadhra, qui vit pour la fortune, la gloire et le pouvoir. Elle le castre moralement, depuis sa tendre enfance, pour le dompter et raviver en lui une bestialité qu'il n'a pas su hériter. Il est le patron de ce quartier très pauvre, habité par des gens atypiques, aux visages marqués par la vie, sombres et difformes, exprimant une douleur immémoriale, et qui paient pour vivre dans un quartier où règne la loi du plus fort.

Très vite, le jeune Mohsen, ami d'enfance d'Arnouba, appelé Bastardo pour avoir été trouvé dans une poubelle («bâtard»), grandit et devient riche, après avoir fait installer sur son toit un relais GSM contre une rémunération mensuelle conséquente. Il volera rapidement la vedette à Arnouba, et plus personne ne l'appellera désormais Bastardo, surnom qui lui collait à la peau et lui torturait l'esprit. Dorénavant, sa richesse et son pouvoir lui vaudront d'être appelé «Si» (monsieur) Mohsen.

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Le relais GSM permet aux habitants du quartier de profiter de la téléphonie mobile dont ils étaient privés. Ils vivent cela comme une vraie révolution, mais qui ne tardera pas à bouleverser la vie du quartier... Quant à Si Mohsen, il découvrira le revers de la médaille de sa fulgurante ascension sociale et financière...

Les animaux, très présents dans le film, à l'instar de Mermez, le chat de Mohsen, les lapins d'Anrouba et ses pitbulls féroces qui le défendent, sont des personnages à part entière. Attachants de fidélité et d'abnégation, ils incarnent des valeurs bien humaines.

Il y a aussi Bent-Essengra, qui a le don d'attirer les insectes. Ces bestioles parcourent son corps en toute liberté. Ce qui horrifie et dégoûte ses voisins. Cette fille marginale, très amoureuse de Mohsen, ne couchera cependant qu'avec Arnouba. Malgré son aspect répugnant, elle dégage douceur, sagesse et volupté, et sera une sorte d'ange gardien pour son amour interdit, Mohsen.

«Dans chaque être humain réside un côté animalier, source de bonté, de tendresse mais aussi parfois d'agressivité, une sorte d'instinct que certains n'arrivent pas à apprivoiser. C'est pour cela que les animaux sont très présents dans ce film, que je voulais d'ailleurs au départ appeler ''Animals''», explique Néjib Belkadhi.

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Néjib Belkadhi lors de la première de son film à la salle El-Hambra à La Marsa, la semaine dernière.

Le réalisateur, qui affectionne les thèmes et les atmosphères obscurs, finit toujours, dans ses films, par éclairer des pans de la condition humaine dans ce qu'elle a, à la fois, d'animal et de divin.

Il a, dans 'Bastardo'', réussi le pari d'évoquer les méfaits du pouvoir absolu et, son corollaire, la corruption, dans un style décalé, imagé et métaphorique, sans trop sombrer dans la didactique et l'analyse politique. «J'ai commencé à écrire le scénario de mon film en 2007, sous le règne du dictateur déchu Ben Ali. Aux spectateurs de conclure si ce film garde encore son actualité», confie-t-il, ironique.

Le langage utilisé par les personnages est truffé de «petits gros mots», comme dans la vie de tous les jours. Certains pourraient en être choqués, mais ces mots expriment la vie dans ce qu'elle a de vif et de charnu. En renvoyant ainsi le spectateur à son quotidien, ils renforcent l'ancrage du récit imaginaire dans le réel social et historique.

Les acteurs de ''Bastardo'', pour la plupart jeunes et venant pour la plupart du monde du théâtre, ont travaillé dans un esprit de groupe, avec une synergie et un esprit de corps qui ont donné beaucoup de conviction et de force suggestive à leur jeu.

«Cette force qui nous a porté tout au long du tournage est essentiellement due à cette entente, à cet esprit de groupe et à cette amitié née sous les projecteurs», explique l'acteur Chedly Arfaoui.

"Bastardo" a été présenté au prestigieux Festival international de Toronto (Canada) en septembre dernier.

Aux amateurs de fiction-réalité, le rendez-vous ne peut être manqué, un délice à savourer deux heures durant. Le film est à l'affiche dans les salles CinéMadArt à Carthage, à l'Alhambra à La Marsa, à Amilcar à El Manar et au Rio au centre-ville de Tunis.