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Photo Katharina Pfannkuch

Le limogeage de Sana Tamzini, directrice du Centre national d'art vivant (CNAV) au Belvédère à Tunis, est l'illustration parfaite de l'autisme d'un gouvernement et de son profond mépris de la culture et de ses acteurs.

Par Emmanuelle Houerbi

 Cette décision, jugée scandaleuse, a consterné tous les amoureux de l'art et de la liberté d'expression en Tunisie.

Un ministre-fantôme

Entre Sana Tamzini, directrice post-14 janvier d'un Centre qu'elle a redynamisé d'une façon admirable, et Mehdi Mabrouk, devenu ministre tunisien de la Culture quelques mois plus tard, les relations auraient dû être au beau fixe.

Malheureusement, pendant toute cette période, Sana Tamzini affirme n'avoir eu aucun contact avec son ministre de tutelle, malgré des appels et des demandes d'audience répétées. Elle évoque simplement un passage éclair et tardif le jour d'un vernissage d'exposition et une apparition tonitruante, le 19 juin dernier.

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Sana Tamzini a-t-elle péché en faisant conjuguer art et droits de l'homme.

Ce jour-là, le ministre s'est violemment attaqué à elle, sous prétexte qu'elle avait laissé entrer et donné la parole à des réfugiés en colère, le jour de l'inauguration officielle d'une exposition sur... les camps de Choucha! Serait-ce là la raison de la fin de son détachement devenu effectif le 1er juillet 2013?

Un limogeage digne des plus mauvais feuilletons

Après cet incident, Sana Tamzini reprend son travail et n'est pas informée de sa mise à l'écart. Les 8 et 11 juillet, elle se rend même, accompagnée du chef de cabinet du ministère de la Culture, à deux réunions de travail pour concrétiser d'ambitieux projets avec l'ambassade d'Autriche et l'Unesco, et continue de recevoir de nombreux courriers de son ministère de tutelle. Jusqu'au jour où elle s'aperçoit que son salaire ne lui est plus versé, et après maintes recherches, finit par apprendre par téléphone son limogeage décidé en haut lieu!

Mme Tamzini envoie alors au ministre un courrier pour demander confirmation de cette décision et pour savoir si son successeur à la tête du CNAV a déjà été nommé. Ne recevant de nouveau aucune réponse, une conférence de presse est annoncée par son comité de soutien, pour dévoiler les détails de cette décision arbitraire et des modalités indignes de ce limogeage.

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Un espace d'art menacé de disparition.

Le matin de cette conférence de presse, les services du ministère l'inondent d'appels pour trouver un accord et annuler l'événement, mais Mme Tamzini refuse. Coup de théâtre, la lettre tant attendue (et soi-disant datée du 1er juillet), lui est remise en pleine conférence de presse... c'est enfin officiel: Sana Tamzini est démise de ses fonctions !

La mort annoncée du CNAV?

Jusqu'à ce jour, et à moins d'un communiqué contraire du ministère de la Culture, il semble que le successeur de Mme Tamzini ne soit toujours pas désigné. Cette dernière, qui n'a pourtant pas l'intention (au contraire de tant d'autres !) de s'accrocher à son siège, remarque qu'à sa place, une personne irresponsable mettrait immédiatement la clé sous la porte, sans se soucier du devenir d'un centre dont notre pays a tant besoin ! Car cet établissement de l'Etat, qui a connu quelques heures de gloire entrecoupées de décennies de calme plat (notamment sous le régime de Ben Ali), risque fort de redevenir la coquille vide qu'il a longtemps été !

Selon Houcine Tlili, historien, chercheur, critique d'art et instigateur du comité de soutien à Sana Tamzini, la Tunisie a besoin d'urgence d'une moralisation de sa vie politique, pour que les compétences du pays et les artistes soient respectés et traités avec les égards qu'ils méritent. Il en appelle à la mise en place d'une nouvelle politique des arts plastiques, où les différents acteurs seront unis pour faire avancer cet art garant de la liberté d'expression.

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Sana Tamzini a-t-elle pris trop de liberté dans un Etat monolithique à la soviétique.

S'indigner, un devoir?

Comme l'a remarqué de son côté Zeineb Farhat, directrice de l'espace El Teatro à Tunis, l'Etat tunisien a de tous temps mis à la porte ses compétences, et il faut rompre une fois pour toutes avec ces pratiques d'un autre âge. Le comité de soutien à Sana Tamzini a été créé pour lutter contre de tels agissements,. Une pétition va par ailleurs être rédigée dans les prochains jours. Parce que l'avenir du pays en dépend.

 

Photo d'illustration (1ère en haut): Katharina Pfannkuch.