Lotfi Maherzi écrit – Les démocrates tunisiens doivent se poser aujourd’hui la question des conditions à réunir pour que tout ne se termine pas en révolution confisquée.


 

L’ascension constante des partis islamistes interpellent. Les sondages sont alarmistes. Les salafistes de Hizb Ettahrir s’affichent au grand jour en toute impunité. De son côté, Ennahdha rhabille sa radicalité islamistes d’un voile de respectabilité. Un virage en trompe-l’œil qui masque un programme archaïque,  stérile et risqué. Pour rendre le parti fréquentable, ses dirigeants tentent de lisser le discours habituel en lui donnant  une apparence acceptable, en tout cas compatible avec la république.

Développer des stratégies positives
Sont-ils sincères? Bien évidemment non, ils n’ont ni la culture démocratique ni la volonté de réforme du modèle islamiste turc qui reste un autre mythe à abattre.  
Alors que faire?
- D’abord cesser de se comporter d’une manière alarmiste, angoissés et stressée face à la déferlante Ennahdha. Cela passe par l’abandon de sa diabolisation qui est un excellent moyen pour le faire passer pour une victime de la coalition des laïcs et des démocrates, et donc plus efficaces pour lui faire gagner des voix que pour lui en faire perdre. Donc, aller au-delà de la stratégie alarmante anti-islamiste purement négative et vouée à l’échec et tenter à l’inverse des stratégies positives: apporter d’autres réponses que celles d’Ennahdha, essentielles pour ceux, toujours plus nombreux, qui décident à voter pour ce parti.
- Ensuite disséquer son programme que personne ne connaît et dont on ne débat guère. Car ce programme, qui ferait de la Tunisie une espèce d’Arabie Saoudite, ne tient tout simplement pas debout. Discuter du contenu, repérer les incohérences et les mensonges, rappeler que le Fis en Algérie a déjà fait l’expérience du pouvoir au niveau municipal. Que s’est-il-passé? «Talibanisation» des mœurs, embrigadement des femmes, corruption, mise en examen, affaires de mœurs, clientélisme. Voila le bilan.
- Prendre à bras le corps les maux de la société tunisienne sur lesquels prospèrent les islamistes: l’injustice sociale, la pauvreté, la misère. Ennahdha tire profit aujourd’hui de ces disparités qui lézardent la Tunisie: d’un côté une minorité de privilégiés ou anciennement proche voir complice du pouvoir qui gagne très bien sa vie, et de l’autre, des millions de Tunisiens qui survivent et se sentent abandonnés par le gouvernement et les partis politique, car absents sur le terrain. En fait, l’avancée des islamistes est faite des absences, silences et reculs des démocrates.
- Dénoncer l’élitisme et l’impuissance des démocrates et des républicains à occuper le terrain de la contestation populaire, bousculés par un phénomène qui les dépasse. Les islamistes s’organisent et s’expriment partout, dans les mosquées, les marchés, les médias et attendent les élections pour nouer grâce à la proportionnelle des alliances avec les petits partis aux sensibilités voisines mais aussi avec des partis dits démocratiques qui feront demain très vite le saut de la honte sans retenu ni complexe.
- Dénoncer le désarroi idéologique de ces même partis, prisonniers de programmes libéraux sectaires, peu imaginatifs, si frileux et peut-être même si ignorants des vraies souffrances de ces Tunisiens et qui laissent à Ennahdha l’occupation du terrain social. En fait, les Tunisiens en colère contre l’Etat et les partis inaudibles qui sont tentés par le vote islamiste ne sont pas tous partisans de la charia ni de l’abolition du Code du statut personnel, mais sont séduits par ce parti parce qu’il  est devenu un partenaire visible, opérationnel et solidaire. Ceux qui le suivent sont persuadés qu’avec lui tout ira mieux et que s’ils votent pour ce parti, c’est parce que les problèmes qu’ils affrontent ne sont pas pris en compte par les autres. Se rendent-ils comptent qu’ils cautionnent un pouvoir dangereux pour leur propre liberté? Certainement non!

Combattre les discours de la haine
Incontestablement, se pose aujourd’hui pour les démocrates tunisiens la question des conditions à réunir pour que tout ne se termine pas en révolution confisquée. Les partis démocrates soucieux de défendre de la révolution doivent se lever ensemble sans calculs ni ambitions politiques et créer des comités de vigilance. Missions: combattre tous ceux qui développent le discours de la haine, haine de l'autre, de la femme, du laïque, tous ceux qui surfent sur la peur, peur de l’avenir, de l’«invasion» occidentale, de l’augmentation des prix, de la démocratie, tous ceux qui prétendent que l’avenir est très sombre et qu’eux seuls peuvent sauver les Tunisiens.
Ne jamais oublier que la peur de l’avenir a été le terreau du fascisme et que les mouvements fascistes ont toujours utilisé la démocratie pour en finir avec la démocratie. L’égoïsme politique, les règlements de comptes, l’indifférence ou la neutralité faces aux dangers qui nous guettent ne sont plus de mise, chacun doit s’engager et prendre ses responsabilités devant l’histoire.