Ali Gana* écrit – La révolution tunisienne est menacée par des ombres tapis dans tous les coins, des forces sous-terraines prêtes à la faire capoter, qu’elle a besoin de valeureux protecteurs…


Drôle de scène celle que nous offre le paysage politique tunisien après le 14 janvier. D’un vide politique criant on est passé à un bouillonnement presque débordant. Plusieurs acteurs y contribuent: des partis certes mais aussi des associations et surtout une structure fantomatique garante de la protection de la révolution.
La révolution donc, œuvre d’une jeunesse assoiffée de liberté et de démocratie, serait, à en croire certains, menacée par des contre-révolutionnaires et des forces occultes qui agissent dans l’ombre et la dynamique de démocratisation qui l’a suivie serait un processus pas nécessairement irréversible si on ne veille pas pour éviter les risques de dérive.

Une révolution en mal de protecteurs
C’est dans ce cadre apparemment qu’a été créé le Conseil de protection de la révolution, récupéré depuis par la Haute instance pour la réalisation des objectifs de la Révolution, dans une tentative de concilier les aspirations des uns, les ambitions des autres et le pragmatisme d’une minorité. Mais au niveau local ces conseils continuent à s’activer dans tous les sens autour d’un noyau de personnes brillantes, patriotes et emportées par la vague révolutionnaire. Elles ont pris la peine de protéger, bénévolement SVP et sans ambitions politiques personnelles, la révolution des jeunes, celle qui, nous dit-on, n’a connu ni leader ni encadrement.
Finalement, on ne peut que louer cette noble cause qui nous rappelle un peu celle des chevaliers du Temple à la seule différence que ces derniers ont cultivé le mystère autour de leur mission et ont fait preuve de discrétion dans leur action.
Mes compatriotes, rassurez-vous donc, n’ayez crainte, aucun risque sur votre révolution tant que ces chevaliers veillent au grain.
Pourtant, voulant en savoir plus sur cette structure qui semble flotter sur un nuage de légitimité préfabriqué, je me suis permis de poser quelques questions à des amis qui en font partie. Naïvement, je dois l’admettre.
De quels dangers imminents protégez-vous la révolution? La réponse fut évasive: on les a sous les yeux ces forces occultes. Je pousse plus loin: mais concrètement que faites vous? La réponse fut directe autant que la question: on reçoit ou on constate les dépassements des agents de l’ordre, des fonctionnaires, des ex-Rcd… et on exige leurs mutation ou leur limogeage. Une justice parallèle en quelque sorte. Nous voilà éclairés.
D’où tenez-vous cette légitimité? Et la réponse ne se fait pas attendre: c’est la légitimité révolutionnaire qui transcende toute autre légitimité. Certes, mais c’est vrai lorsque la révolution rase tout le système qui était en place et le Conseil de révolution dans ce cas aura entre ses mains tous les pouvoirs pour reconstituer le système. Or, ici, l’appareil de l’Etat fonctionne normalement et les prérogatives décisionnelles sont du seul ressort des instituions publiques. Mais passons.

Des protecteurs autoproclamés
Est-ce que la jeunesse qui a fait cette révolution vous a mandaté pour parler en son nom ou est-ce que vous vous êtes autoproclamés protecteurs de la révolution? On nous fait comprendre qu’ils ont convoqué un large public pour élire ce conseil dans le strict respect des règles démocratiques. Et pourtant on entend un peu partout des protestataires contre la représentativité de ce conseil.
Et n’osez surtout pas poser la question sur les ambitions politiques de ces personnes. Vous aurez droit sinon à un regard rageur voulant dire en substance que l’idée n’a jamais effleuré leur esprit et que c’est par seul devoir patriotique, et sans doute aussi par devoir envers leurs électeurs supposés qu’ils se sont organisés dans cette structure.
A la fin on est encore plus perdu qu’on l’a été au début et on se dit que peut être c’est notre étroitesse d’esprit et notre méconnaissance de la chose politique qui sont à l’origine de notre myopie quant à l’intérêt de ces conseils, à moins que ce ne serait une belle mise en scène qui est entrain de se jouer.

* Enseignant à l’Iset de Djerba.