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S'ils veulent que leur pays de rejoigne certains pays émergents du sud-est asiatique, les Tunisiens n'ont pas d'autres alternatives que de retrousser leurs manches et de réhabiliter la valeur travail.

Par Abderrahman Jerraya*

Lors de sa 1ère prestation télévisée, le lundi 3 mars 2014, le chef du gouvernement provisoire Mehdi Jomaa est apparu serein, confiant, assez au fait des dossiers qui préoccupent les Tunisiens, aidé en cela, il est vrai, par les 2 journalistes qui ont évité de lui poser des questions embarrassantes.

Un exercice d'équilibriste

Pour appréhender les tenants et les aboutissants de ces dossiers, il a imprimé à son action gouvernementale une approche technocratique basée à la fois sur le diagnostic, l'évaluation des moyens à mettre en œuvre et l'identification d'objectifs atteignables. Comme il a fait montre d'un talent d'équilibriste hors pair, s'abstenant de critiquer, encore moins d'incriminer ses prédécesseurs, se tenant scrupuleusement à la feuille de route comme programme d'emploi pour son gouvernement. Ce faisant, il a inscrit plusieurs cordes à son arc pour relever les défis qui attendent le pays.

Deux dossiers parmi tant d'autres semblent lui tenir à cœur, à savoir: le volet sécuritaire et le volet socioéconomique.

Au sujet de la sécurité, il considère que la situation s'améliore de jour-en-jour bien que le danger terroriste continue à roder aux quatre coins du pays. D'autant qu'il pourrait être nourri et renforcé par la cohorte de jihadistes tunisiens rentrés au bercail, en provenance de la Syrie. Il s'agit là d'une menace potentielle très grave que le gouvernement Jomaa semble prendre au sérieux et qu'il se prépare à lui faire face en mobilisant des moyens humains et matériels appropriés.

Quant au dossier économique, l'état des lieux parait plus préoccupant, d'autant que les recrutements pléthoriques opérés au sein de la fonction publique n'avaient rien arrangé. Pas seulement en termes de coût salarial grevant le budget de l'Etat mais aussi en termes d'efficacité et d'efficience.

On comprend dès lors pourquoi son gouvernement a été amené à limiter, voire à suspendre les recrutements dans l'Administration au titre de l'année en cours. D'ailleurs pour lui, ce n'est pas dans le secteur public qu'on pourra absorber le problème du chômage.

Le gouffre abyssal des finances publiques

Un autre aspect non moins inquiétant est relatif au gouffre abyssal dont souffrent les finances publiques. Pas moins de 13 milliards de dinars sont nécessaires pour boucler la loi des finances complémentaire. Un véritable casse-tête chinois pour les retrouver? Recourir davantage à l'endettement (au cas où des créanciers accepteraient de prêter), lancer un emprunt national? Ou chercher à comprimer de façon drastique les dépenses publiques, à augmenter les recettes fiscales par l'imposition de nouveaux impôts?

Sur toutes ces questions, le chef du gouvernement ne semble pas avoir dit son dernier mot. En revanche, il a sa petite idée quant aux voies et moyens susceptibles de relancer la machine économique, en faisant la part des actions urgentes et celles s'inscrivant dans le moyen terme.

Dans le court terme, notamment, il y a d'abord à dépoussiérer les projets de développement restés plus ou moins en souffrance, relever tous les obstacles qui avaient entravé jusqu'ici leur réalisation et commencer sans tarder leur mise en œuvre.

Cette façon d'agir ne manquera pas d'être perçue par la population comme un signe de détermination résolue du gouvernement d'aller au concret et de joindre la parole aux actes.

Toujours dans le court terme, il est question aussi de donner une vigoureuse impulsion au micro-crédit. Il s'agit là d'un outil aussi efficace que performant susceptible de donner de l'espoir à ceux et à celles qui veulent se mettre au travail à leur propre compte. Il suffit pour eux de dénicher un micro-projet correspondant à leurs qualifications pour obtenir, à travers une association agréée, un financement de la Banque tunisienne de Solidarité (BTS) qu'ils n'auraient pu avoir par le système bancaire conventionnel.

Si le micro-crédit est accessible à tout un chacun pour peu qu'il manifeste la volonté de créer sa propre micro-entreprise et d'engager sa responsabilité, il permet au bénéficiaire potentiel de se prendre en charge, de se donner entièrement à son travail, tournant ainsi le dos à une mentalité d'assistanat et à une vie désœuvrée.

Pourtant le mécanisme de financement du micro-crédit mis en place par la BTS s'est révélé, à l'œuvre, tatillon et peu efficace.

D'aucuns estiment que le rôle dévolu aux associations en tant que structures relais entre la BTS d'une part et le demandeur de prêt d'autre part, doit être revu. En particulier, il ne devrait pas se limiter à celui d'une micro-banque.

L'expérience a montré que seules les associations de développement (un petit nombre), c'est-à-dire ayant inclus dans leur programme, outre l'octroi de micro-crédits, des actions d'accompagnement (sensibilisation, information-formation, encadrement technique de proximité, suivi-évaluation...) ont réussi à avoir un taux de recouvrement dépassant les 80% et par-là même à poursuivre leurs activités de promotion sociale, sachant qu'il y a, à l'heure actuelle, plus de 200.000 demandeurs de microcrédit qui sont sur le carreau, en attente de voir leur quête satisfaite.

Développer la culture du travail

Quant à l'appel au travail lancé à plusieurs reprises par le chef du gouvernement, il ne suffit hélas pas de le dire et de le répéter tant que cette notion essentielle a disparu du lexique de beaucoup de nos compatriotes, l'homme étant par nature partisan du moindre effort.

Pour redresser la situation, il faut d'abord développer la culture du travail et veiller ensuite à ce que l'effort soit rémunéré à sa juste valeur. De ce point de vue, force est de constater qu'aussi bien dans le secteur public que privé, les salariés ne sont pas payés au prorata de la qualité des services rendus mais selon une grille qui tient compte surtout de l'ancienneté dans le grade.

Dépossédés d'outils propres à encourager et à inciter, maints organismes publics et privés ont de sérieuses difficultés de trésorerie, leur productivité étant très faible (en chute libre presque de moitié en l'espace d'une dizaine d'années, selon le ministre de l'Economie et des Finances Hakim Ben Hammouda). Si on ambitionnait pour la Tunisie de rejoindre certains pays du sud-est asiatique, on n'a pas d'autres alternatives que de retrousser ses manches et réhabiliter la valeur travail.

L'appel du chef du gouvernement s'inscrit dans ce sens. Encore faut-il qu'il soit relayé par les médias et traduit dans les faits. A bon entendeur...

* Universitaire.

 

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