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La Tunisie a résisté avec patience et détermination pour ne pas sombrer dans la violence et ne pas faire le jeu des extrémismes. Elle a su gérer une transition sans dégâts insurmontables et ses institutions n'ont jamais cessé de fonctionner normalement.

Par Ali Guidara*

 

Après plus d'un an et demi de retard, les Tunisiens, soulagés, ont enfin leur nouvelle Constitution. La troïka l'a même fêtée en grande pompe, la présentant comme «sa» Constitution, dans une fausse joie qui camoufle mal l'échec définitif de ceux qui voulaient marcher à contre-courant d'une Tunisie connue ‒ et reconnue ‒ jusque-là pour sa lancée sur la voie de la modernité et du progrès social.

Le projet obscurantiste d'Ennahdha n'est pas passé

Nous venons d'arracher de haute lutte une constitution sensée établir la séparation entre religion et politique. La bataille a été rude: il ne faut pas oublier que la première mouture de cette Constitution était essentiellement islamiste et aurait pu ramener la Tunisie aux ténèbres, si l'opposition progressiste, la société civile et autres organisations syndicales et professionnelles n'avaient tenu tête au projet obscurantiste d'Ennahdha et de ses deux antennes.

Avec le recul, un fait doit nous réjouir : le pays possède suffisamment de femmes et d'hommes ayant le pragmatisme et la maturité politique nécessaires pour avoir su imposer le dialogue comme base de résolution des différends. Ce dialogue a pris le dessus sur toute forme de confrontation violente et démontre qu'on forme, malgré tout, une nation qui assume sa diversité et a une réelle volonté de construire une société démocratique et équitable, où chacun peut trouver sa place, dans le respect et la dignité.

La question qui fâche: la révolution en était-elle une?

Au risque de déplaire aux promoteurs de la théorie du complot, la réponse semble être oui. Pour la simple raison que la population s'est soulevée contre la dictature, à plusieurs reprises ‒ rappelons-nous par exemple la révolte du bassin minier en 2008 ‒, et d'une façon plus étendue et plus soutenue dès la mi-décembre 2010. Parce que des centaines de milliers de Tunisiens ont bravé la peur et ont pris le risque de subir une violence ‒ et pour certains la mort ‒ pour manifester pendant des semaines et réclamer la chute du régime.

Ne soyons pas naïfs : aucune révolution n'échappe à des jeux d'influence et de pouvoir qui font l'essence même des relations internationales depuis la nuit des temps. Mais s'il s'était agi d'un simple ‒ ou un seul ? ‒ coup d'Etat, cela n'aurait pas nécessité toute cette mobilisation pour le maquiller. La preuve, Ben Ali l'a fait en 1987, sans même que le peuple ne bouge le petit doigt.

De plus, la liberté des peuples n'arrange habituellement pas les puissances impérialistes qui préfèrent le plus souvent une bonne dictature docile. Mais il se trouvera toujours des gens qui nous diront que les soulèvements dans les pays arabes sont un complot des forces impérialistes, et d'autres qui voudront nous convaincre que ces forces impérialistes sont contre les révolutions dans cette région. La vérité est peut-être toute simple : la société tunisienne, emmurée dans une dictature toujours plus étouffante, était mûre pour se révolter...

Quel regard portera-t-on sur la nouvelle Tunisie?

Au-delà des éloges et des réserves à l'égard de la nouvelle constitution et de la transition vers la démocratie, il est évident que, pour certaines oligarchies médiévales de la région, qui ont misé sur l'islamisme et la soumission comme modes de gouvernance, la Tunisie est le mauvais exemple à ne pas suivre. Pour ces régimes et ces mouvements réactionnaires, la Tunisie trahit encore une fois son héritage, réduit pour eux à sa stricte composante arabo-musulmane, voire musulmane tout court. Notre pays sera à leurs yeux le vilain petit canard dont il faut se méfier, voire même qu'il faut remettre sur «leur» bonne voie. Cette voie, dessinée par leurs idéologues, à laquelle nous avons échappé de justesse...

Il n'en est pas ainsi pour plusieurs populations de la région, qui réalisent que la Tunisie est justement le modèle à suivre pour sortir de la dictature et se débarrasser des dogmes idéologiques en politique, dans la paix et le respect. Le pays a résisté avec patience et détermination pour ne pas sombrer dans la violence et ne pas faire le jeu des extrémismes. Il a su gérer une transition sans dégâts insurmontables et ses institutions n'ont jamais cessé de fonctionner normalement, même au lendemain de la chute du régime en janvier 2011. C'est la preuve d'un Etat digne de ce nom. Même si nous n'oublions pas les assassinats politiques.

Enfin, il y a bien sûr ceux qui ne veulent pas toucher au statu quo dans leurs pays, un statu quo qui fait l'affaire de plusieurs. Pour ceux-là, la Tunisie n'est qu'une exception, depuis toujours, et il est inutile de chercher à reproduire son expérience chez eux, les composantes n'étant pas réunies pour que cela ne fonctionne. Un discours très entendu lors des soulèvements de ce qui fut appelé le Printemps arabe.

Pourtant, même si les bilans sont fluctuants selon les pays, l'histoire n'a pas encore dit son dernier mot.
Pourquoi? Parce que, bien que chaque peuple ait son propre parcours et sa propre culture politique et sociale, le combat pour la liberté, la justice et l'égalité citoyenne est un combat universel et aucun endroit ne pourra s'y soustraire pour longtemps au XXIe siècle. La démocratie est inéluctable et elle gagnera toutes les sociétés, tôt ou tard.

* Conseiller scientifique, spécialiste en analyse et management de politiques publiques.

 

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