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L'article 38 de la nouvelle Constitution, soulignant l'identité arabo-musulmane des Tunisiens, est un coup très dur porté aux Tunisiens qui se trouveront, demain, exclus du progrès. L'opposition, elle, n'y a vu que du vent.

Par Rachid Barnat

L'Assemblée constituante a voté, mardi 7 janvier, à une large majorité, hélas, l'article 38. Ce vote n'est pas fortuit et il a été précédé d'une annonce que personne n'a voulue voir: une réunion s'est, en effet, tenue au palais présidentiel de Carthage pour célébrer la création du «Mihrab Mondial pour la langue arabe» dont l'un des objectifs est «l'arabisation de la recherche scientifique»! On se demande si la Tunisie ne s'orienterait pas vers une arabisation plus poussée.

Les contradictions hypocrites de Marzouki

Dans le fond cela n'est guère étonnant, puisque l'occupant actuel du Palais de Carthage est un pan-arabiste, idéaliste et irréaliste, qui croit encore à «l'identité linguistique» et à la possible union des peuples arabophones, malgré leurs différences ethniques et culturelles! Comme s'il n'avait pas tiré la leçon de l'Histoire du pan-arabisme et du flop qu'ont connu les partis baathistes, émanation de cette doctrine, sous la houlette de Gamel Abdennasser et des chefs d'Etat qui l'ont suivi dans sa lubie en Irak, en Syrie, en Libye... ce que Bourguiba, clairvoyant, avait à juste titre refusé sous les quolibets du rais, préférant le nationalisme au communisme des uns et au pan-islamisme, et son pendant le pan-islamisme, des autres! L'histoire a montré qui avait raison!

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Moncef Marzouki ou la schizophrénie d'un pan-arabiste allié des pan-islamistes, qui se la joue progressiste et laïque.

Et malgré cela, Marzouki veut croire, contre toute raison, à cette vieille lune. Preuve s'il en est besoin qu'il n'a toujours pas digéré son histoire youssefiste filiale du pan-arabisme nassérien. Apparemment l'Histoire n'avance pas pour tout le monde. Pour certains nostalgiques, elle s'est même arrêtée à leur histoire. Ils souhaitent réécrire l'Histoire à partir de la leur!
Marzouki serait-il du genre «faites ce que je dis, ne faites pas ce que je fais»?

Voilà quelqu'un qui se prétend pan-arabiste et dont la vie ne reflète en rien les convictions «politiques»! Marié à une Française, vivant lui même son pseudo exil en France, ayant des enfants de nationalité française, totalement francophones... alors que «sa» logique voudrait qu'il soit marié à une Arabe, qu'il s'exile en terre arabe, sous un régime baathiste de préférence et d'envoyer ses enfants dans des écoles arabisantes!

Rien de tout çà, ce qui prouve l'hypocrisie du bonhomme... qui fut aussi sympathisant des Frères musulmans, puis «droit-de-l'hommiste»; naviguant entre des doctrines diamétralement opposées; preuve qu'il n'a pas de principes ni de valeurs enracinés en lui ! Ce que découvrent ses 7.000 électeurs qui regrettent d'avoir accordé leurs suffrages à un bonimenteur... premier président historique de la Tunisie, élu du peuple, comme il l'affirme lui-même, sans craindre le ridicule. Mais son ingratitude envers la France et la langue française est insultante pour ce pays qui l'a accueilli!

A l'occasion de cette réunion, quelqu'un sur Facebook a écrit : «Les idiots de la Tunisie s'orienteraient-ils vers l'arabisation de l'enseignement supérieur? Pourquoi refusent-ils de puiser directement le savoir dans la langue scientifique mondiale où les travaux de recherche se multiplient à un rythme infernal souvent difficile à suivre pour les lire à temps, préférant se complaire dans le narcissisme archaïque des pan-arabistes? Rien que pour la schizophrénie (maladie dont serait atteint Tartour), il y a eu, en une seule année, 6147 publications... moins d'une vingtaine d'articles seulement provenant des pays dits arabes ! Que vont traduire ces idiots ?», se demande ce facebooker.

Ce à quoi un professeur en médecine a répondu : «Je suis l'Idiot de cette Tunisie dont la langue arabe est passée de la 6e position à la 5e selon l'Unesco; et qui survivra à la langue française qui aura disparu entre-temps... puisqu'en 2100, la langue arabe sera probablement la plus parlée au monde», selon les prédictions de cet anthropologue!

Il est sans doute encore un de ces complexés de la culture française qui n'a toujours pas digéré l'histoire coloniale. Puisqu'il prédit la disparition de la langue française et que la langue arabe sera l'avenir de l'homme ! Rien que ça!

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Capitole de Dougga: l'héritage punique et romain fait partie de l'identité tunisienne autant que celui arabe et musulman.

La langue véhicule de la civilisation et du progrès

Alors abordons franchement la question. Et demandons-nous ce qui fait le développement et l'attrait d'une langue.
Une langue vit et évolue par l'usage que les hommes en font pour exprimer leur génie, leur créativité, leurs découvertes technologiques, scientifiques, médicales...

Depuis la nuit des temps, l'homme aspire au mieux vivre et n'hésite pas à se déplacer pour rejoindre ceux qui sont en avance sur lui... jusqu'à adopter leur langue ou du moins leur emprunter les vocables nouveaux désignant les innovations auxquelles ils sont parvenues.

La langue qui lui a permis de progresser au moyen-âge, fut l'arabe... puis ce fut le français.

Au siècle dernier c'était le tour de l'anglais qui s'est imposé depuis la révolution industrielle qui a pris son essor en Angleterre.
Et voilà que les jeunes se mettent au chinois, conscients que le progrès est de ce côté là du Pacifique, depuis que la Chine s'est réveillée pour se tailler la part du lion dans la technologie et les découvertes.

Les hommes ne sont pas fous: ils n'ont que faire des langues mortes et des langues qui n'accompagnent pas le progrès, voir qui le refusent!

En réalité ces langues sont victimes de ceux qui les pratiquent et de leur manque de créativité, souvent victime du complexe de ceux qui vivent sur leurs lauriers et refusent le progrès !

Il suffit de faire le bilan de ce que les Arabes ont apporté à l'humanité après leur âge-d'or andalous mythique dont se gargarisent les pan-arabistes et leurs frères pan-islamistes, nostalgiques d'une époque fantasmée. Age d'or, qui n'était que le fait des populations conquises à l'islam ayant apporté leur culture et leur savoir faire à la civilisation dite à tort «arabo-musulmanes».

Populisme et instrumentalisation de la langue

Qu'ont apporté à l'humanité les Arabes d'Arabie depuis la création de ces nouveaux Etats nés de la dislocation de l'empire ottoman? Rien! Par quelles recherches et par quelles découvertes se sont-ils distingués entre les nations? Aucune!

Pour rappel, le pan-arabisme né en Arabie, dans un but uniquement politique pour contester la domination turque des Ottomans sous prétexte que la langue arabe est délaissée et remplacée par langue turque... mais dont les intellectuels de l'époque feront une doctrine: pour les uns pour promouvoir la laïcité et pour d'autres un moyen pour lutter contre le colonialisme qui dépeçait l'empire ottoman!

Si le français a connu un grand succès auprès des classes aisées allemandes, russes... et dans les cours européennes, ce n'est pas seulement pour les qualités de cette langue mais c'est avant tout parce qu'elle véhiculait des valeurs et des connaissances. La littérature française et les arts français occupaient une place prépondérante, grâce à des écrivains tels que Montaigne, Molière, La Fontaine, Bossuet... Voltaire, Rousseau, Montesquieu, qui seront à l'origine du siècle des Lumières... qui sera à l'origine de la Révolution française, des Droits de l'Homme... du développement de l'esprit scientifique, de la médecine et de la philosophie.

Siècle des Lumières qui fécondera toutes les civilisations ouvertes et désireuses de progrès!

Ceux qui ont refusé cette langue se sont vus condamnés à la régression et devenus colonisables, comme disait Bourguiba.

L'exportation des idées nées de la Révolution française a résulté aussi de la politique expansionniste de Napoléon qui, malgré ses défauts, a apporté aux peuples d'Europe les idées de liberté qu'ils attendaient en Italie, en Allemagne, jusqu'en Russie. Il a tenté de les apporter à l'Orient à travers l'Egypte, mais là, les résistances ont fait jour et les traditionalistes dominés par les religieux, se sont braqués contre une modernité jugée satanique par les plus réactionnaires!

L'expansion de la langue française a résulté aussi de la politique coloniale que l'histoire a condamnée. Mais, comme le dit si bien l'écrivain algérien Kateb Yacine: «Le français a été un butin de guerre» pour les peuples colonisés; et loin de leur nuire, la connaissance du français a été pour eux un supplément. Beaucoup l'ont bien compris, comme Bourguiba!

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Bourguiba a su résister aux sirènes du pan-arabisme de Nasser et Ben Bella, dont on connaît les dégâts sur le monde arabe.

Mais il reste encore quelques complexés qui mélangent les genres et qui, parce qu'ils condamnent la colonisation, voudraient aussi priver les peuples de la possibilité d'utiliser le français aussi bien que leur langue dialectale... pour leur imposer la langue arabe, faisant semblant d'ignorer que l'arabe aussi est une langue introduite en Afrique du Nord lors de sa colonisation par les Banou Hilal qui ont déferlé sur cette région dont la langue est le berbère!

Bourguiba mise sur la modernité et le progrès

Si Bourguiba a choisi le bilinguisme sans complexe, c'est pour enrichir les Tunisiens d'une nouvelle culture, porteuse de valeurs, de technologie et de nouveaux savoirs. Mais surtout pour rattraper le retard civilisationnel où se trouvaient les Tunisiens depuis des siècles!

Mais voilà qu'une bande d'aigris, n'ayant toujours pas digéré leur histoire, tiennent en otage tout un peuple pour soigner leurs complexes... un peuple épris de savoir et de connaissance mais auquel ils veulent inculquer leurs complexes vis-à-vis d'un Occident à la pointe de la modernité et du progrès!

Ce qui est vrai du français l'est également de l'anglais, lui aussi porteur de valeurs de liberté et de connaissances scientifiques de haut niveau. Si l'anglais s'est considérablement développé, c'est parce que cette langue a été pour beaucoup celle des sciences et celle des affaires depuis la fin du XIXe et durant tout le XXe siècles!

Tout ceux qui ont été vers l'arabisation avec une arrière pensée politique sous prétexte «identitaire» ont gravement pénalisé leur jeunesse.

A moins que l'arabisation ne soit pour eux une arme pour rejeter l'élite tunisienne, francophone dans son ensemble; mais aussi comme un moyen pour rejeter leurs rivaux idéologiques et concurrents politiques nourris des valeurs du siècle des Lumières.

Ce faisant, les pro arabisants vont exclure la jeunesse du monde des affaires, de la science et de la culture... au moins cette partie de la jeunesse qui ne pourra plus aller dans les grandes écoles ni les grandes universités occidentales qu'ils réservent à leurs propres enfants.

Les Tunisiens seront choqués de découvrir que les pro-arabisants ont fait souvent leurs études en Occident où ils continuent d'envoyer leurs rejetons! Comme ils seraient surpris de découvrir que les écoles coraniques qu'ils souhaitent généraliser, ils les réservent au petit peuple; puisqu'ils envoient leurs enfants dans les meilleurs écoles françaises de Tunisie!

Pour les Tunisiens décomplexés, grâce à Bourguiba, il n'y a pas de concurrence entre l'arabe et le français. Ils ont maîtrisé aussi l'anglais et au besoin ils maîtriseront le chinois; l'essentiel pour eux étant l'acquisition de tous les savoirs pour accompagner les civilisations en marche et ne plus régresser comme le voudraient les illuminés qui les gouvernent provisoirement!

Alors, demandons-nous maintenant si l'arabe peut connaître la même expansion non seulement en nombre de pratiquants mais en qualité.

L'arabe a été, sans conteste, une grande langue lorsque les pays qui la pratiquaient se livraient à l'étude, à la connaissance et à la transmission des savoirs. On lui doit, et ce n'est pas rien, la traduction des savants et des philosophes grecs! Elle avait, cela est sûr, un rôle de développement face au moyen-âge européen. En plein essor de l'expansion de l'islam et de la langue arabe, bon nombres de rois d'Espagne la parlaient et la pratiquaient dans leur cour. Leurs bibliothèques personnelles en témoignent. Mais que reste-t-il de ce passé glorieux ? Rien ou si peu.

Pour une «tunisianité» décomplexée

Quelles valeurs peut nous apporter une langue qui n'est pratiquée que dans des pays de dictature (certaines religieuses) où l'obscurantisme fait des ravages? Sont-ce les valeurs de l'Arabie Saoudite, dictature religieuse complètement rétrograde? Sont-ce les valeurs du Qatar autre «démocratie» où règne la «liberté» et où l'on enferme les poètes qui ne plaisent pas au pouvoir?

Quelle grande littérature arabe contemporaine ont-ils produit? Quand elle existe, les écrivains y sont pourchassés et violentés sinon assassinés! Des Frères musulmans ont tenté d'assassiner Naguib Mahfouz, prix Nobel de littérature; mais ils l'ont seulement blessé à la main droite, comme pour l'empêcher d'écrire!

Demandez aux écrivains algériens et autres arabophones où peuvent-ils s'exprimer et publier librement? Ils ont, pour la plupart, choisi l'exil en Occident !

Alors, je le dis ici, une langue qui ne transmet plus de grandes valeurs de liberté, qui se contente d'être celle de promulgation de «fatwas» plus liberticides les unes que les autres, qui n'a permis la production d'aucune œuvre contemporaine majeure ni d'avancées scientifiques importantes, ne peut être une langue d'expansion.

Cela est si vrai que les défenseurs du développement de la langue arabe feignent d'oublier les échecs retentissants de l'arabisation forcée et sont aussi des hypocrites qui, tout en parlant d'arabisation, envoient de manière systématique leurs enfants dans les universités européennes et américaines. En réalité, ce sont des populistes ou au mieux des idéalistes rêveurs! Mais sûrement des hypocrites.

Alors, au lieu de pérorer sur de veilles lunes (pan-arabisme et pan-islamisme), il faut prendre un engagement national de redonner au service public d'éducation, les moyens et les conditions d'un renouveau; car, le fait qu'il ait périclité depuis plus de quinze ans, en partie au profit de l'enseignement privé; il a fini par entraîner une baisse générale importante du niveau et a favorisé abusivement les enfants des familles aisées au détriment des pauvres.

Il faut aussi dire clairement que l'éducation doit préparer à l'ouverture sur le monde et non au repli archaïque. Il faut donc favoriser non une arabisation sans intérêt mais l'apprentissage des langues: l'Arabe bien sûr, mais aussi les langues étrangères dont le français qui ouvriront les jeunes sur la modernité. Et n'avoir de complexe envers aucune langue porteuse de progrès... fut-elle chinoise!

Un rappel pour les grincheux: la langue arabe et l'arabité, auxquelles ils s'attachent désespérément comme à une identité, ne sont que des acquis coloniaux, exactement comme ceux pris aux français et à tant d'autres civilisations qui ont transité par la Tunisie depuis Carthage.

Qu'ils sachent que le génie des Tunisiens est d'avoir toujours su tirer sans complexes profit du butin de guerre laissé par leurs «colonisateurs», comme dirait Kateb Yacine. Et surtout l'identité arabe dont ils se gargarisent, fait sourire les Arabes d'Arabie qui les méprisent de tant de prétention; puisqu'ils se considèrent comme étant les véritables et authentiques Arabes, considérant les peuples arabophones comme des Arabes de seconde classe. Ils les méprisent à juste titre pour avoir nié leur identité tunisienne, produit de l'histoire de la Tunisie; que, complexés, ils tentent de remettre en cause en prenant en otage les Tunisiens pour assouvir leur soif de revanche et de pouvoir, pour soigner leurs complexes ou, pire, pour soumettre la Tunisie à une nouvelle colonisation : celle de leurs sponsors pétro monarques.

Puisque sous prétexte que les Tunisiens auraient perdu leur «identité arabo-musulmane», ils cherchent à leur vendre le wahhabisme en guise d'«identité religieuse» et le modèle sociétal des pétro monarque, en guise d'«identité arabe»!

Alors autant revendiquer sa propre identité, en être fier et retenir des civilisations qui vous traverse ce qu'elles ont de meilleur: cela aussi participe de l'ouverture d'un peuple et de sa richesse.

Et l'identité tunisienne est plurielle, n'en déplaise aux complexés de l'Histoire!

Le paradoxe de Marzouki et de Ghannouchi est que les doctrines qui les animent, pan arabisme pour l'un et pan islamisme pour l'autre, étaient à l'origine des doctrines anticolonialistes pour libérer les peuples de la colonisation anglaise et française... Or l'un et l'autre appellent de tous leurs vœux à la colonisation de la Tunisie par leurs amis pétro monarques et font tout pour faire des Tunisiens un peuple à nouveau colonisable!

Le vote de l'article 38 est un coup très dur porté à la Tunisie et à ses enfants qui se trouveront, demain exclus du progrès. Le professeur Yadh Ben Achour ne s'y est pas trompé et a condamné vivement cette régression. Il y a là un motif de révolte et je ne comprends pas que l'opposition se soit abandonnée à ces vielles lunes sans réflexion !

Blog de l'auteur. 

 

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