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En réformant l'islam et en mettant cette religion au coeur de l'Histoire et des bouleversements que celle-ci impose, on se donne des chances sérieuses pour garantir le succès de l'expérience démocratique dans les pays musulmans.

Par Jamila Ben Mustapha*

 L'événement principal qu'ont permis les soulèvements du «printemps arabe» a été, en Égypte et en Tunisie, l'apparition, «à l'air libre», autrement dit, la légalisation, puis, l'arrivée au pouvoir, par les urnes, de partis islamistes prônant un mélange très problématique des genres, entre islam et politique, et l'adoption d'une lecture passéiste de la religion, l'existence de ces régimes s'accompagnant, aussi, du développement de phénomènes inconnus, jusque-là, avec cette ampleur, le jihadisme et le terrorisme.

Un islam violent venu d'ailleurs

Notre société tunisienne, relativement paisible, en est, sensiblement, secouée. Nous n'en revenons pas, de voir le déchaînement d'autant de violence, dans la vie politique et, même, privée, avec l'augmentation de faits divers comme les meurtres – prenant, le jour de l'Aïd Al-Adha, la forme d'un égorgement humain! – et les suicides causés par toutes sortes de désespoir – immolations de chômeurs, pendaison d'un couple d'amoureux contrariés, récemment, à Sfax: y aura-t-il un Shakespeare pour relater la tragédie de ces deux Roméo et Juliette tunisiens? –

Les difficultés actuelles des démocrates pour affronter ces nouvelles données sont gigantesques, face à cette volonté de remise en question des acquis de l'ère bourguibienne et de bouleversement de la société par un islam venu d'ailleurs : le wahhabisme.

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Un islam violent venu d'ailleurs.

La réaction des modernistes qui consiste à montrer qu'ils sont aussi musulmans que les islamistes, est, totalement, vaine, car ces derniers pensent, mordicus, détenir, à eux seuls, ce monopole, déterminés, à l'avance, qu'ils sont, à traiter leurs adversaires, de mécréants.

C'est l'occasion, pour nous, de réfléchir sur les conditions qui feraient en sorte que la fin de la dictature laïque ne donne pas suite à une autre forme de dictature: le gouvernement théocratique.

Pour une réforme religieuse sérieuse

Il est temps de prendre le taureau par les cornes et d'affirmer qu'une démocratisation réussie des régimes arabes ne pourrait avoir des chances de s'enraciner, durablement, que si les Musulmans ont le courage d'entamer, parallèlement, une réforme religieuse sérieuse, afin de penser à réviser les interprétations données par les théologiens des siècles passés, devenues figées et sacralisées – confondues qu'elles sont avec le Texte – et contribuer, ainsi, à essayer d'arrimer, progressivement, l'islam à la modernité, projet qui n'a pu être réalisé, jusque-là. Quelques penseurs ont bien tenté de le faire, hier et aujourd'hui: ils ont été, pour le moins, harcelés et persécutés.

Pourtant, comment est-il possible de changer, substantiellement, les institutions politiques en laissant le domaine le plus important, de la société, dans nos pays, la religion, intouché? Comment maintenir sa lecture, en dehors de l'Histoire, de ses bouleversements fracassants et des nouvelles circonstances qu'elle impose?

Or, vu le déchaînement constaté des attitudes de régression, d'ignorance arrogante, de la part de certains cheikhs influençant les masses dépourvues d'esprit critique, et des dérives religieuses graves rappelant El Jahilia (période antéislamique), et faites au nom de l'islam – comme les cas de cannibalisme pratiqué par les extrémistes religieux, en Syrie, l'égorgement des humains, le jihad nikah (prostitution sacrée) et toutes les fatwas aberrantes relevant de la pathologie sociale –, les conditions actuelles sont, on ne peut, moins, propices à ce renouveau de la pensée religieuse.

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Du voile imposé aux petites filles au jihad nikah proposé aux jeunes femmes.

L'espoir est-il permis de regarder, en direction des Musulmans établis en Occident, pour qu'ils entament, eux, cette réforme, vu la liberté relative, dont ils jouissent?

Sans le prendre comme un modèle absolu, mais, dans le but de profiter des leçons que nous donne l'Histoire, l'Occident européen n'a-t-il pas commencé ses réformes religieuses – et qui se sont poursuivies jusqu'au XXe siècle, avec Vatican II –, dès la Renaissance, avec la réforme du christianisme, par Luther? Et, ce n'est que bien plus tard, que cette région du monde a réalisé, en Angleterre – en créant une monarchie parlementaire que Voltaire citait comme modèle à la France –, aux États-Unis et en France, ses premières expériences démocratiques.

Vouloir installer une démocratie sans se soucier de combattre sérieusement l'analphabétisme, même, «scolarisé» des masses, appelées à voter et, en considérant comme tabou le problème religieux, en maintenant comme des vérités, des interprétations humaines du Texte qui ont été valables pour des sociétés d'il y a quelques siècles, relèverait de la mission difficile et quasi-impossible.

L'idéal aurait été que la réforme religieuse précédât la réforme politique. Mais, puisque les circonstances historiques nous ont fait connaître la situation inverse, tâchons de réaliser que nous ne pouvons pas, par facilité et par peur, remettre éternellement la question religieuse à un avenir indéterminé et crier à la transgression, dès que l'ébauche d'une réforme est envisagée: cette dernière a, en effet, des chances sérieuses d'être, la principale garantie du succès de l'expérience démocratique, dans les pays musulmans.

* Universitaire.