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Béji Caïd Essebsi a sans doute de bonnes raisons (personnelles) de vouloir accéder au Palais de Carthage, mais il est en train de s'accrocher ainsi lamentablement au pouvoir et d'entraver l'émergence de nouvelles compétences et figures politiques.

Par Ezzeddine Ben Hamida*

L'ambition présidentielle de Béji Caïd Essebsi (BCE), âgé – tenez-vous bien – de près quatre-vingt-dix printemps (90 ans), est secret de polichinelle; il en rêvait, depuis sa propulsion surprise au poste de Premier ministre le 27 février 2011. Le grand retour de BCE, en somme! Succéder à son ami Foued Mebazaâ à Carthage, pour lui, est une revanche inespérée contre Zine El Abiddine Ben Ali. Occupé, ne fût-ce qu'un court instant, le poste de président, pour le président de Nida Tounes, est le couronnement, la consécration d'une carrière, d'une vie, dans les rouages du pouvoir! C'est aussi une très belle revanche contre ceux qui l'ont poussé dehors, un certain 14 octobre 1991.

Une triple revanche

BCE écrivit, page 289, dans son unique ouvrage ''Habib Bourguiba, le bon grain et l'ivraie'' (éd. Sud Editions, Tunis 2009), «Le lundi (...) Chadli Neffati préside la réunion (...). En m'adressant ses remerciements pour la présidence de l'année écoulée, il provoque une vague d'applaudissements qui m'a profondément touché. Il enchaîne en annonçant la proposition de porter Habib Boularès à la présidence de la Chambre pour la saison suivante. C'est ainsi que j'apprends la décision de présenter Habib Boularès comme mon successeur à la présidence de la Chambre».

Plus loin, le «futur candidat» BCE ajoute : «Comment s'explique le revirement relatif au choix du candidat à la présidence de la Chambre des Députés? Je ne me suis pas interrogé sur les raisons qui ont pu le justifier. Elles sont vraisemblablement de plusieurs ordres et ce n'est ni le lieu ni le moment de m'y attarder».

En page 290, il souligne, avec beaucoup d'amertume: «L'année 1991, à mon sens, a marqué le début d'une longue pause». Une pause forcée, pas encore digérée, semble-t-il ?

Aussi, une revanche contre Ennahdha, plus précisément Rached Gannouchi et ses faucons, qui lui avaient promis le poste, tant convoité, de président s'ils accédaient au pouvoir. Un pacte, un accord tacite, donc, aurait été conclu entre les deux hommes qui se haïssaient et se haïssent, toujours!

Moncef Marzouki avec les 30 sièges décrochés, contre toute attente, par son parti, le Congrès pour la république (CpR), a descellé ce pacte, l'invité surprise est devenu monsieur trouble-fête, l'importun, le rabat-joie! Les «ennemis-intimes» s'acharnent aujourd'hui –pacte de Paris oblige! – sur lui pour régler un contentieux vieux d'à peine deux ans!

Il est vrai aussi que la médiocrité de ses prestations, et les incidents diplomatiques à répétition que le président de la république sortant provoque, pourraient pousser à sa disgrâce! En fait, franchement, son comportement et ses agissements sont incompatibles avec les exigences de la fonction ! Une fonction qui exige beaucoup de réserve, de retenue. M. Marzouki ne devrait-il pas rendre à la fonction sa noblesse, avant qu'il soit trop tard?

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BCE avec Bourguiba quand il était son ministre des Affaires étrangères, au début des années 1980.

Dans le sillage du «zaïm» Bourguiba

Mieux encore, notre BCE est très motivé pour le poste de président car, aussi, il marchera ainsi sur les traces de son maître incontesté et incontestable «zaïm» Bourguiba – que Dieu bénisse son âme – : n'a-t-il pas écrit (P. 20): «Au cours de ce séjour à Paris qui s'est prolongé trois semaines, Bourguiba m'invitait à l'accompagner et il m'apprenait beaucoup de choses. (...) Bourguiba me parlait comme un père soucieux d'initier un fils aîné au sens de la vie et aux charges de la responsabilité». Il s'agit donc de l'acte ultime pour atteindre l'apothéose, pour s'élever au rang des Dieux.

En s'accrochant ainsi lamentablement au pouvoir, le leader de Nida Tounes n'a-t-il pas du mal à se défaire de la politique? Ne se considère-t-il pas comme le père ou le grand-père de la nation? Dispose-t-il d'une procuration pour cela? N'est-il pas en train d'entraver l'émergence de nouvelles compétences et figures politiques? Nida Tounes ne se porterait-il pas mieux sans Béji Caïd Essebsi? Ne devrait-il partir et laisser le «capitaine» Taïeb Bacouche piloter le navire?

Ancien professeur-chercheur, idéologue de l'UGTT et président de l'institut arabe des droits de l'homme (IADH), Taïb Bacouche n'est-il pas le plus à même à reprendre le flambeau? Ne bénéficie-t-il pas de la légitimité nécessaire pour assurer la relève? Ces compétences et son expérience ne lui permettent-elles pas de relever le défi?

* Professeur de sciences économiques et sociales.