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Les récentes déclarations des dirigeants d'Ennahdha trahissent, dans leur discordance, le vrai programme du parti islamiste: accéder au pouvoir par les lois humaines et y rester grâce aux lois de Dieu.

Par Monia Mouakhar Kallel*

Deux mois après l'assassinat de feu Mohamed Brahmi et les événements de Chaambi, le paysage politique est en passe de se reconfigurer: l'opposition s'unifie, en revanche la troïka, la coalition au pouvoir, se fissure, et Ennahdha, le parti qui la domine, implose... Son chef signe sans condition l'accord de la feuille de route proposée par le quartet (UGTT, Utica, LTDH et COAT), et presque au même moment le chef du gouvernement provisoire, issu du même parti, annonce qu'il ne démissionnera pas.

Qui perd gagne

On est donc loin du grand théâtre d'Ennahdha où les rôles sont savamment distribués. Il ya les faucons et les colombes, les provocateurs et les raisonneurs, les fanfarons et les pathétiques mais tous défendent les même opinions, usent des mêmes arguments et citent les mêmes exemples.

Ce changement est réel et observable depuis le début des négociations avec le quartet. Alors que l'opposition essaie de régler ses (nombreuses) divergences internes et d'harmoniser ses prises de position, la troïka, notamment le Congrès pour la république (CPR) et Ennahdha, participent au dialogue sans s'y engager réellement. Les brouillages, les diversions, les faux-fuyants se sont multipliés et enchevêtrés: diviser l'adversaire politique, vider la feuille de route de son sens, discréditer l'UGTT, mettre en doute ce qu'on appelle son «objectivité», mot confondu (naïvement ou volontairement) avec impartialité, neutralité et rationalité.

Or rien n'est plus néfaste au déroulement d'un dialogue (qui, par définition, oppose deux parties ou individus aux opinions différentes) que l'inégalité dans le degré d'engagement des participants. Mieux encore, l'échange est un jeu particulier qui est souvent réglementé par l'étonnante loi (évangélique) de «qui perd-gagne».

Offres et contre-offres

Au bout de neuf semaines de tergiversations, on voit que le «marché discursif» de la troïka et plus exactement d'Ennahdha est surchargé d'offres et de contre-offres, discours et contre-discours. Les déclarations du leader Rached Ghannouchi sont contrecarrées par le chef du gouvernement provisoire Ali Larayedh ou «son» ministre de la Santé Abdellatif Mekki, dans la catégorie du langage, la logorrhée de Noureddine Bhiri, ministre conseiller politique du chef du gouvernement, n'étant ni classable, ni analysable.

Voilà qui explique l'abondance de la glose et la verve des gloseurs qui sont chargés de parler de (ou sur) la parole, de l'expliquer, la nuancer, la «mettre dans son cadre».

Le recours à un discours d'accompagnement témoigne de l'échec du discours politique qui se doit d'être clair, rationnel et percutent. On se rappelle que les dernières allocutions de Ben Ali étaient chargées d'un métadiscours justificateur dont l'impact était contraire au but escompté...

A propos de la démission du gouvernement avant le commencement des négociations (objet central du dialogue avec le quartet), certains chefs la présentent comme un don, un «sacrifice» dans l'intérêt du pays, alors que d'autres (et toujours au nom de l'intérêt du pays) y voient plutôt un manquement au devoir et une «trahison» du peuple qui leur a «confié» la direction du pays, une «amana» (mission) disent les récalcitrants (le mot a l'avantage de combiner le religieux, le politique et l'éthique). Les premiers mettent l'accent sur «l'accord» qui sauvera la situation, les seconds sur le «vide» qui menace le «parcours» démocratique.

Le double registre politico-religieux

La divergence n'est pas relative à la ligne idéologique, tous puisent dans le même (double) registre politico-religieux, mais aux fonctions et aux postes qu'occupent les uns et les autres. Il ne fait aucun doute que le chef et les membres du parti qui agissent en arrière-plan sont moins exposés aux critiques et à l'éventuelle vindicte populaire que les ministres en exercice, notamment le chef du gouvernement actuel et ex-ministre de l'Intérieur, qui a les mains dans le cambouis. Voilà qui explique leur attachement au pouvoir et la raideur de leurs discours. Dans une allocution récente, le ministre du Transport, Abdelkerim Harouni, a élevé Ennahdha au niveau de Dieu; elle est, dit-il, «au dessus des lois et au dessus de la constitution».

Dans un instant d'exaltation et de vérité, M. Harouni, comme bien d'autres avant lui, vient de nous révéler le programme des islamistes: accéder au pouvoir par les lois humaines et y rester grâce aux lois de Dieu.

* Universitaire.