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La Tunisie marque son dépit face à la faiblesse du soutien de l'Union européenne (UE). Celle-ci, qui n'ignore pas l'existence d'un malentendu (mauvaise communication, multiplicité des canaux, polyphonie...), va-t-elle enfin parler d'une seule voix à la révolution tunisienne?

Par Fathi B'Chir*

Stefan Füle, le commissaire en charge notamment de la politique de voisinage, a entamé, jeudi 13 mars, une visite de deux jours à Tunis qui s'apparente à une «mission de clarification», alors que de sérieux doutes semblent animer la scène tunisienne, liés à l'ampleur et la qualité du soutien apporté par l'UE à ce pays, nouvel accédant à la démocratie.

Le soutien apporté par l'UE est jugé en-deçà des promesses faites. Les Tunisiens observent avec dépit la mobilisation qui entoure la révolte ukrainienne et, déjà, pointent du doigt ce qu'ils perçoivent comme une pratique de «deux poids, deux mesures». La Tunisie estime mériter elle aussi un sérieux «coup de pouce» pour sortir de l'ornière.

Rassurer les Tunisiens

En préalable, il est affirmé à Bruxelles que l'UE a la volonté de «continuer à aider la Tunisie à transformer les attentes légitimes de son peuple en résultats concrets. La volonté serait de rassurer les partenaires tunisiens face aux défis actuels de la sécurité et de l'emploi».

La visite de M. Füle, la cinquième dans ce pays, serait opportune, si elle permettait de corriger le sentiment de dépit ambiant et pour rassurer. Les médias du pays font état ces dernières semaines de sentiments réservés vis-à-vis de l'Europe, accusée d'être «chiche» dans son soutien financier, alors qu'elle a promis aux pays méditerranéens «méritants» (capacité démocratique en progrès et rôle accru concédé aux sociétés civiles) un appui substantiel.

Le pays a besoin d'un «coup de pouce» budgétaire salutaire, répète le nouveau Premier ministre, Mehdi Jomâa, qui souligne le taux d'endettement jugé handicapant (le service de la dette y représente plus de la moitié du budget de l'Etat). Or, la dette risque, selon des avis formulés à Tunis, d'augmenter à cause de l'aide de l'UE récemment annoncée sous la forme de prêts (300 millions d'euros).

De plus, l'UE est perçue comme voulant impliquer le pays dans des négociations «stratégiques» (sur le commerce, sur les services, sur les transports aériens et sur la «mobilité»), alors que le pays est dans une phase d'instabilité institutionnelle, dans l'attente des prochaines élections qui auront lieu sans doute fin 2014. Sans mettre en doute de tels objectifs, la Tunisie, candidate à un «statut avancé», estime qu'ils sont pour l'heure inopportuns.

Dissiper les malentendus

Il ne s'agirait cependant, selon des avis autorisés à Bruxelles, que d'un malentendu que le commissaire souhaite dissiper lors de ses entretiens avec notamment le nouveau Premier ministre et, surtout, avec la société civile. Cette dernière est en pointe dans les critiques croissantes à l'encontre de l'UE. Une première clarification sera donnée pour expliquer que l'appui européen ne sera pas limité aux 300 millions d'euros de prêt au titre de l'aide macro-économique (aide à la balance des paiements), qui ne se substitueront pas à l'aide «classique». Celle-ci continuera à être accordée sous forme non remboursable (sans, donc, le risque d'alourdir la dette). Elle est de l'ordre de 445 millions d'euros au total pour la période 2011-2013 (150 millions d'euros en 2011, 160 millions d'euros en 2012 et 135 millions en 2013).

L'aide de l'UE est répartie de la manière suivante: 22 millions d'euros pour l'éducation et le social, 218 millions d'euros pour des projets de développement et de gouvernance économique et 205 millions d'euros en faveur d'actions de type société civile. 39,7 millions d'euros de plus sont programmés au titre d'instruments financiers thématiques (droits de l'homme, démocratie, jeunesse, etc.). Un appui électoral est annoncé. Il reste à savoir cependant ce que sera cette aide (budgétaire, en dons) pour l'exercice à venir. Elle était de 330 millions pour la période 2007-2010.

Rappelons aussi que des appuis sont indirectement fournis via la BEI et la Berd (devenue opérationnelle dans ce pays), sous forme de prêts aux taux du marché. Mais, dans l'ensemble, les Tunisiens estiment que les promesses de Deauville (G8) n'ont été que de «la fumée».

Clarifier le tableau

La tâche la plus urgente sera surtout de clarifier le tableau et de répondre aux sentiments de déception exprimés à Tunis. Il faudra aussi clarifier la relation avec l'UE dans sa nature, brouillée en raison:

- d'une «polyphonie» européenne (entre les services 'classiques' de la Commission et l'envoyé spécial de l'UE qui agit 'hors cadre', donnant le sentiment de s'impliquer plus que souhaité dans la gestion politique du pays;

- d'une représentation de l'UE sur place, critiquée à Tunis, car elle est perçue comme peu transparente dans ses relations avec les forces vives du pays. Ces critiques ne semblent pas surprendre dans les milieux européens.

Ce sont autant de nuages accumulés que le commissaire aura à dissiper en attendant que l'ensemble du dossier soit mis sur la table à l'occasion de la prochaine session du Conseil d'association, en avril.

* Journaliste tunisien basé à Bruxelles.

Source: Agence Europe ©

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