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Après l'assassinat du député de l'opposition Mohamed Brahmi, que vont faire les «collaborateurs» démocrates d'Ennahdha? Continuer à jouer sur les mots et à édulcorer la situation en fermant les yeux sur ce qui se passe autour d'eux? Sans doute...

Par Monia Kallel*

Le théoricien construit un système à partir de ses références et ses convictions alors que l'homme politique est aux prises avec le réel qu'il veut transformer et qui le transforme. La confusion des rôles et des postures aboutit à l'échec.

Les Frères musulmans à la trappe

Après l'agonie des régimes communistes, on assiste au déclin du règne des islamistes. La chute spectaculaire du président égyptien a ébranlé les partisans d'Ennahdha, filiale tunisienne du mouvement international des Frères musulmans, qui se sont lancés à corps perdu dans la défense de leurs «Frères» et donné de l'espoir aux jeunes révolutionnaires qui reconduisent le mouvement Tamarrod. Le parallélisme semble donc bien établi de part et d'autre, et la situation peut déboucher sur l'affrontement...

Pourtant la révolution tunisienne aurait pu connaître un parcours différent si le pays était gouverné par une «troïka», ou si la «troïka» n'était pas une petite scénographie voire un gros mensonge. Il ne faut pas être un expert en politique pour voir que le parti de Rached Ghanouchi est l'unique maître à bord, et que ses collaborateurs essaient depuis le début de revêtir son costume; taille trop large, manches trop longues, épaules étriquées, coutures visibles..., qu'importe, on s'habitue à tout surtout lorsqu'on occupe le fauteuil d'un ministre et qu'on se sent menacé...
Carthage, Bardo et Kasbah, même combat... d'avant-garde.

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Khalil Zaouia trop occupé à courir derrière la locomotive d'Ennahdha.

L'épreuve de l'assassinat de Chokri Belaid a ressoudé le bloc au pouvoir. A Carthage, au Bardo, et à la Kasbah, c'est le même discours et la même ligne de conduite. On a vu avec quelle rapidité et quelle ferveur le président provisoire de la république a condamné, sans la moindre nuance, la levée populaire en Egypte et l'action des militaires nommée «coup d'Etat».

L'assassinat de Mohamed Brahmi, survenu 5 mois après le premier, a choqué autant par son horreur que par sa symbolique : le jour de la fête de la république, le député de Sidi Bouzid, berceau de la Révolution, est abattu en plein jour sous le regard de sa famille. Plus choquants encore les résultats des premières investigations : les deux crimes ont été commis par la même arme et les mêmes extrémistes religieux qui étaient déjà connus, fichés et pourchassés par la police.

Dans les propos de ministre de l'Intérieur, il y a le dit et le non dit, et malgré sa délicatesse, malgré ses précautions oratoires – ii insiste sur le caractère «personnel» de ses déductions – la réalité apparaît au grand jour : les assassins jouissent d'une protection, et oeuvrent en accord avec certains chefs qui connaissent bien le terrain et tirent les ficelles. La réaction des députés est immédiate et de la rue également. La foule gronde plus déterminée que jamais à se débarrasser du «gouvernement de l'échec», et de la constituante devenue, depuis quelques mois, la risée des Tunisiens et l'incarnation de la «honte». Or la «Troïka» voit et juge autrement la situation. Mustapha Ben Jaâfar et les ministres issus de son parti (Ettakatol) tiennent un discours qui se veut lisse, rassurant, centré sur la sacro-sainte «légitimité» et coupé du réel.

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Sahbi Atig entend «massacrer» dans les rues tous ceux qui contestent la «légitimité» d'Ennahdha.

Les champions de l'ambiguïté et de la connivence

Le palmarès de la connivence au sens premier du terme (regarder dans la même direction) revient à Khalil Zaouia, ministre des Affaires sociales. Ne craignant pas le ridicule, il affirme que si l'arme qui a tué feu Chokri Belaid est celle-là même qui a abattu feu Mohamed Brahmi, c'est que les assassins ne disposent que d'une seule arme. Et pour justifier le besoin de poursuivre les travaux de l'Assemblée nationale constituante (ANC) et le danger du «vide» (mot pendant à «légitimité» et aussi galvaudé que lui), il ne trouve pas de mieux que la métaphore de la voiture qui avance lentement et qui se trouve à quelques mètres de la ligne d'arrivée. On peut répliquer que la «voiture» de la Troïka, qui était dysfonctionnelle dès le départ, s'est arrêtée et ne peut plus atteindre sa destination. Par conséquent parler de la distance restante (et parcourue) n'a aucun sens. Mais le recours au langage figuré à un moment aussi décisif de l'Histoire prouve le manque d'engagement de notre ministre.

De l'homme politique on s'attend à un discours rationnel et précis avec des arguments, et des preuves à l'appui et non à des images malléables à volonté... Le langage a sa logique et sa vérité que M. Zaouia ne connaît pas, trop occupé à courir derrière la locomotive d'Ennahdha.

Le cauchemar du parti unique est encore trop vivace dans la mémoire des Tunisiens pour qu'ils se laissent faire. En témoignent les derniers sondages – Ennahdha est à 12,5% des intentions de vote – et la forte mobilisation de la foule dans tous les gouvernorats.

Forts de leurs Ligues de protection de la révolution (LPR), des milices violentes déchaînées contre les opposants, les islamistes choisissent la fuite en avant. Ils entendent «massacrer» dans les rues tous ceux qui contestent la «légitimité» comme l'a affirmé Sahbi Atig, président du groupe parlementaire d'Ennahdha, dont le message a été immédiatement saisi par les assassins. Que vont faire leurs collaborateurs démocrates? Continuer à jouer sur les mots et à édulcorer la situation en fermant les yeux sur ce qui se passe autour d'eux?

«Le temps ne respecte pas ce que l'on fait sans lui», dit un politicien européen.

*Universitaire.