Ali Larayedh Moncef Marzouki Basma Belaid

Dans une fausse démocratie, on vous laisse protester en pensant «Cause toujours», mais, comme dans une dictature, avec le temps, le peuple peut s'insurger, c'est ce qui se passera inéluctablement en Tunisie, grâce à ses jeunes indépendants et à sa société civile dynamique.

Par Ali Bakir*

J'en ai assez d'entendre partout ces derniers jours que les «choses» vont changer car il y a eu un «avant» et il y aura un «après» l'odieux assassinat de Me Chokri Belaïd, fasse Dieu que son âme repose en paix. J'ose espérer que son sacrifice puisse servir à assurer à son admirable épouse, Me Basma Khalfaoui, de voir la génération de ses filles vivre dans une Tunisie démocratique, moderne, prospère et progressiste garantissant à son peuple liberté, justice, équité et surtout savoir et culture conditions nécessaires pour recouvrir sa dignité.

Ennahdha continue son cinéma

Or, le comportement de nos responsables politiques, qu'ils soient de la majorité ou de l'opposition, ne semble pas évoluer après sa vive réaction à chaud. Finalement ils nous prennent toujours pour des idiots!!!

Ennahdha continue à nous faire son cinéma. Le chef du gouvernement nous a joué la comédie d'un homme d'Etat le soir même de la tragédie en déclarant que la situation n'était plus tenable, que le gouvernement avait failli à sa mission et qu'il ferait appel à des technocrates qui gèreraient les affaires courantes jusqu'aux prochaines élections. Il a voulu nous faire croire qu'il se démarquait du parti dont il est le secrétaire général et est allé même jusqu'à menacer de démissionner s'il n'arrivait pas à un consensus. A qui voulait-il faire avaler cette grosse couleuvre? Il ne fallait pas pousser le bouchon aussi loin...

Il y en a pourtant eu qui ont cru qu'Ennahdha était en cours d'implosion avec les «faucons» (que je qualifierais plutôt de vautours) qui, soit disant, s'insurgeaient contre les «colombes» et à leur tête M. Jebali, qui fit semblant d'accéder à ce que l'opposition demandait depuis octobre 2012.

Enfin, après plusieurs reports de la date de l'ultimatum, Hamadi Jebali a démissionné et le Conseil de la Choura a fait semblant de chercher un remplaçant et plusieurs noms ont circulé.

On pouvait s'attendre à ce que la «troïka» et l'opposition puissent tomber d'accord sur une personne crédible parmi les intellectuels «modérés» d'Ennahdha. Que nenni!! Le parti islamiste a osé évoquer des noms dont la simple proposition est une indécence et une insulte à notre intelligence. Il me paraissait que ces personnes évoquées ne pouvaient pas être acceptables pour un président responsable et clairvoyant ni pour une Assemblée nationale constituante (Anc) consciente que cela risquait de nous plonger dans une crise grave, d'autant plus que la division (?) de la «troïka» affaiblissait la majorité.

Comment cautionner un Noureddine Bhiri qui personnifie la malhonnêteté par ses manipulations de la justice ou un Ali Lârayedh qui a fait la preuve de son incompétence dans la gestion de notre sécurité, ou alors a joué de sa mauvaise foi en laissant faire devant les débordements et en ne tenant pas compte des menaces dont ont fait l'objet différentes personnalités de l'opposition, des médias et autres intellectuels. Si ce monsieur avait un brin de dignité, il aurait fait son mea-culpa, se serait excusé publiquement et aurait démissionné après le crime pour lequel il portera à vie une grande part de responsabilité. Dans les vrais pays démocratiques, de grands hommes ont été obligés de démissionner pour des erreurs de loin moindres. Or, le comble, Ennahdha propose ce dernier comme chef de gouvernement et le pseudo président de la république approuve ce choix insolite. Il est vrai que la Tunisie a ses spécificités parmi lesquelles le culte du paradoxe.

Une comédie burlesque de bas étage

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Mohamed Chammam fait part de son étonnement face aux accusations du journaliste  Zied El Hani dans une vidéo partagée sur sa page Facebook.

Lorsqu'on voit M. Jebali, le soir même de sa démission, faire allégeance au chef des vautours en lui baisant le front, il n'est point nécessaire d'être une lumière pour voir que tout s'éclaircit. Cette mise en scène d'une comédie burlesque de bas étage permettait de faire d'une pierre plusieurs coups :

- détourner l'attention pour amortir le choc qui a ébranlé le peuple;

- faire croire qu'Ennahdha s'effrite;

- débarrasser M. Jebali de ce qui l'empêcherait de se présenter aux présidentielles et lui donner la stature d'homme d'Etat crédible, modéré et rassembleur;

- et, surtout, impliquer l'opposition en la mettant dans une situation ambiguë et inconfortable où elle se trouve confrontée à deux choix: se compromettre et hypothéquer l'avenir en entrant dans un gouvernement qui ne pourra de toutes les façons rien apporter en 6 ou 9 mois, ou alors refuser de participer à cette comédie et elle sera accusée de ne pas vouloir coopérer avec la majorité alors que c'est elle-même qui l'a demandé!

La réaction d'une grande partie de l'opposition a été curieusement tiède devant la désignation de M.L ârayedh. Un fait a attiré mon attention : sur le plateau TV d'Ettounissia de Jeudi, Khaled Tarrouch, chargé de la communication du ministère de l'Intérieur, s'indigne avec Zied Ladhari, élu d'Ennahdha à l'Anc, à grands cris, en déclarant que c'était honteux d'accuser Mohamed Chammam d'être impliqué dans le meurtre de feu Belaid, affirmant que le dit Chammam n'avait plus remis les pieds en Tunisie depuis au moins 27 ans. Le soir même, une vidéo circulait sur Facebook et montrait le chef des faucons, Rached Ghannouchi, accueillir, en personne et en compagnie de l'inévitable député nahdhaoui Habib Ellouze, ce même Chammam avec un discours des plus élogieux faisant de ce terroriste un héros national!

Le samedi, autre plateau TV de Nessma où on retrouve le même Zied Ladhari et aucun des opposants ni des journalistes et chroniqueurs présents n'a eu la présence d'esprit de lui demander: comment se faisait-il qu'une vidéo montrait M. Ghannouchi accueillant, en décembre 2011, à Tunis-Carthage l'obscure Chammam, qui n'avait plus remis les pieds ici depuis plus d'un demi siècle? Etait-il entendu, en coulisses, que ce sujet ne serait pas évoqué sur la demande du représentant d'Ennahdha?

Lors des tractations avec M. Jebali, on a pu noter quelques points de dissension entre des responsables de certains partis de l'opposition qui pourtant venaient de décider de former une coalition électorale; ce qui fait bien le jeu d'Ennahdha.

La nouvelle génération ne se laissera plus faire

Bref, à quel jeu joue-t-on? Il est vrai qu'en politique tous les compromis sont possibles mais quand ils sont grossiers, ils deviennent compromission; ce qui est inacceptable car cela sous-entendrait que l'on pense que le peuple est idiot et que, même s'il y a une minorité qui risque d'entrevoir des vérités cachées, ce n'est pas grave car nous sommes dans une fausse démocratie. En effet :

- dans une démocratie l'opinion publique et la liberté de presse ne pardonnent aucune erreur et le responsable se démet;

- dans une dictature on vous demande de «fermer votre gueule» mais c'est idiot car on ne peut empêcher les gens de dire tout bas ce qu'ils pensent et, avec le temps, l'oppression devient insupportable et le peuple fait sauter la marmite;

- dans une fausse démocratie on vous laisse protester en pensant «Cause toujours» mais, comme dans une dictature, avec le temps, le peuple peut s'insurger, c'est ce qui s'est passé ce samedi avec les jeunes indépendants qui se sont à nouveau manifestés.

Cette réaction de la jeunesse nous redonne de l'espoir car il semble se confirmer que la nouvelle génération ne se laissera plus faire et ne sera plus abusée par les politiciens de quelque bord qu'ils soient.

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Des slogans anti-Ennahdha lors d'une marche organisée par des jeunes samedi à Tunis.

Faut-il être optimiste? Certes oui, mais à condition de rester vigilant, de ne pas avoir peur de se manifester lorsque les conditions l'exigent et, surtout, de continuer à travailler sur le terrain pour faire prendre conscience à ceux qui se lamentent sur Facebook et qui n'ont pas voté en 2011 qu'ils sont en grande partie responsables de la situation actuelle (plus de 60% des jeunes de 18 à 25 ans n'ont pas rempli leur devoir civique!!). Par ailleurs nombreux sont ceux qui considèrent avoir été trompés par Ennahdha et qui déclarent qu'ils ne croient plus en personne et qu'ils n'iront plus voter. Ceci représente un grand danger et il faut aller vers eux pour leur expliquer que le fait de s'abstenir ou de ne pas voter équivaut à voter encore une fois pour Ennahdha.

Alors, il échoit à l'opposition de jouer réellement son rôle et de ne pas commettre à nouveau les mêmes erreurs qu'en 2011. Quant aux jeunes et aux associations civiles qui sont plus crédibles que les partis, car seul l'intérêt de la Tunisie les préoccupe et les motive, je dis : continuez et ne lâchez pas le morceau pour être dignes du sacrifice du GRAND CHOKRI en combattant au côté de la GRANDE DAME qu'est son épouse BASMA.

* Prof. en médecine.