Entretien avec Vincent Valaï, l’avocat mandaté par le Collectif Tunisien au Canada pour diligenter le dossier du gel des biens et des avoirs de Belhassen Trabelsi au Canada et de son extradition en Tunisie.

 

Entretien réalisé par Sarra Guerchani, correspondante à Montréal


Lundi 2 avril, le porte-parole de la Gendarmerie Royale du Canada (Grc), le Caporal Luc Thibault, annonçait à Kapitalis par téléphone que le rôle de son institution se résumait à assister la Tunisie dans l’enquête concernant les avoirs de Belhassen Trabelsi, le beau-frère de l’ex-président, au Canada, où il s’est réfugié depuis la mi-janvier 2011.

Le gendarme a souligné qu’il appliquait la loi C-61 et que, cependant, la Grc serait encore en attente de documents officiels de la Tunisie prouvant que les biens et les avoirs de Belhassen Trabelsi, au Canada, ont été mal acquis.

Afin de mieux comprendre ce dossier, Kapitalis s’est entretenu avec l’avocat mandaté par le Collectif Tunisien au Canada, Vincent Valaï. Ce dernier, qui est spécialisé en droit international et en immigration, nous éclaire sur la législation canadienne par rapport aux dossiers d’extradition et du gel des biens et des avoirs de Belhassen Trabelsi au Canada.

Kapitalis : Quels sont les critères pour geler les avoirs et les biens mal acquis au Canada ?

Vincent Valaï : Comme vous le savez, grâce à la pression du Collectif Tunisien au Canada et certains députés du Québec, le Canada a passé une nouvelle législation en mars 2011 pour geler les biens et les avoirs des étrangers corrompus. Cette loi oblige beaucoup d’intermédiaires à dévoiler des informations de nature financière et autres au gouvernement canadien. C’est ensuite à ce dernier de prendre les mesures nécessaires pour geler les avoirs et éventuellement par la suite de les restituer à l’État qui en a fait la demande, en l’occurrence la Tunisie dans le cas de l’affaire Trabelsi.

Avant l’existence de cette législation, on disait qu’il n’y avait pas de véhicule juridique qui pourrait aider le Canada à geler les avoirs de ces personnes.

Cependant, il se trouve que le Canada est signataire d’une convention internationale contre la corruption, donc même si la loi C-61 n’existait pas, la convention obligerait le Canada à prendre des mesures pour retracer ces biens, ensuite les geler et enfin faire le nécessaire pour les restituer.

Ainsi le Canada consolide la démocratie dans un pays qui vient de faire une révolution pour faire valoir ses droits et mettre un terme à toute sorte de corruption.

Ce n’est pas juste avec des formules creuses, où le Canada dit qu’il va aider la Tunisie et qu’après plus d’un an on se demande où sont passés ces biens. Belhassen Trabelsi a sûrement eu beaucoup de temps pour liquider une grande partie de ses biens.

Aujourd’hui on parle de beaucoup de biens sans savoir vraiment ce qu’ils représentent.

Donc, aujourd’hui, nous n’avons toujours pas une estimation des biens et des avoirs mal acquis de Belhassen Trabelsi au Canada ?

Il semble y avoir un manque de transparence du Canada dans cette affaire. Plusieurs personnes ont demandé d’identifier ses biens. Pour plusieurs raisons, ses biens n’ont pas été identifiés. La dernière personne qui a fait une demande officielle était la députée québécoise du Nouveau Parti Démocratique (Npd), Hélène La Verdière, porte-parole des Affaires étrangères au sein de ce parti.

Finalement, ces biens et ces avoirs n’ont toujours pas été identifiés, à part la maison de Sakhr El Matri. Ce qui rend les choses difficiles, c’est qu’il y a beaucoup de façades corporatives. Il y a des compagnies où ces personnes sont actionnaires. Des fonds ont déjà été saisis, en décembre, auprès de l’avocat qui défendait les acquis de Belhassen Trabelsi. En vertu de la loi C-61, il y avait une obligation de dévoiler ces fonds appartenant à Belhassen Trabelsi et cet avocat semble avoir omis de le faire. Cela a donc permis au gouvernement de saisir une partie des biens. Il y a probablement d’autres biens, mais on n’a pas d’autres informations pour savoir combien de temps ça va prendre pour finaliser tout ça. Le gouvernement canadien doit avoir suffisamment d’informations sur tout cela. C’est de l’argent et il n’est souvent pas facile d’en retracer les mouvements. Ça demande toutes les ressources d’un gouvernement pour le faire. La Gendarmerie royale du Canada et la Fintrac* retracent toutes les transactions, qu’on appelle douteuses, et doivent certainement avoir des traces. Parce que si cet argent a quitté le Canada, que ce soit à l’arrivée de Belhassen Trabelsi ou quelques mois après son arrivée, il y a certainement des transactions qui ont été faites par des banques. On peut donc savoir où est allé cet argent et pourquoi il n’a pas été gelé, alors que l’on savait qu’il émanait de cette personne-là.

Il faut accélérer cette procédure pour que l’État tunisien puisse utiliser ces fonds pour le bien du peuple tunisien.

Le gouvernement canadien a annoncé, en janvier dernier, qu’il souhaitait garder une partie des actifs saisis du clan Trabelsi-Materi. Est- ce que c’est légal ?

Si Belhassen Trabelsi a été jugé coupable de corruption, le montant appartient au peuple tunisien. Ces montants ne sont pas négociables. J’ai du mal à comprendre comment le gouvernement canadien, dans le cadre des négociations qu’ils avaient avec l’État tunisien, ose annoncer cela.

Pour que le Canada soit dans la légalité, il faudrait que les biens de Belhassen Trabelsi soient gelés et restitués au peuple tunisien. Il y a des frais qui sont attachés à la gestion du dossier du gel des avoirs. Ils sont, cependant, minimes.

Pourquoi le gel des avoirs de Belhassen Trabelsi prend tout ce temps,  alors que les avoirs de Mouammar Kadhafi, au Canada, ont été gelés en quelques jours ?

C’est étonnant que le gouvernement canadien ait pris les devants pour geler les avoirs de Kadhafi en l’espace de quelques jours. Pourtant, à l’époque, le Canada ne s’était pas basé sur la loi C-61, mais juste sur les résolutions du conseil de sécurité des Nations Unies, donc sur le droit international.

Il semble, en effet, que le Canada semble ne pas vouloir appliquer le droit international contre la corruption en bonne et due forme dans le cas de la Tunisie. Une même résolution a été rapidement appliquée dans le cas libyen, mais pas dans celui tunisien. On peut se poser beaucoup de questions sur la volonté d’agir du gouvernement canadien.

Le cadre législatif ne semble donc pas être très cohérent pour le blocage de la totalité des avoirs de Belhassen Trabelsi ?

Il y a une loi très claire et sévère. Une forte pression a été mise sur le gouvernement canadien par la diaspora tunisienne et des députés québécois. Cependant, il y avait une législation suffisamment claire avant que la loi C-61 n’existe. On ne peut pas dire qu’il y avait un manque de cadre législatif pour agir. Le Canada a ratifié la résolution des Nations unies contre la corruption, qui rentre dans la législation interne du pays. Ils sont donc dans l’obligation d’agir de bonne foi.

La Grc a sûrement plusieurs pistes. Cependant, ce qui reste incompréhensible, c’est pourquoi les autorités ne dévoilent pas plus d’informations pour justement montrer que le Canada est en train d’agir de bonne foi. Le gouvernement se doit de dire ce que Belhassen Trabelsi possède au Canada, ce qui a été saisi, ce qui reste à saisir, ce qui va être restitué et enfin quand cela va être remis à la Tunisie.

Le Canada doit répondre à ce genre de questions.

Dans la presse canadienne, on a lu qu’un certain Elias Noujaim, promoteur immobilier, était ou est associé avec Belhassen Trabelsi dans la compagnie Tucan Inc, quelles peuvent être les conséquences pour cet agent immobilier en vertu de la loi C-61 ?

En vertu de la loi du blocage des biens de dirigeants étrangers corrompus, il est dans l’obligation de dévoiler toutes ces informations et transactions à la Grc. S’il ne le fait pas, il y aura des conséquences financières et il pourrait, probablement, être emprisonné.

Pourtant, le ministère des Affaires étrangères canadien a publié en décembre dernier la liste des personnes dont les biens sont soumis au gel sous le règlement du blocage des biens de dirigeants étrangers corrompus.

Oui, le gouvernement tunisien se devait de donner une liste de ces personnes au gouvernement canadien. Ce dernier avait l’obligation de revérifier cette liste et de rajouter, en annexe, une liste de personnes avec qui on ne doit pas faire des affaires au Canada.

Vous êtes aussi spécialiste en immigration, le 23 avril prochain, Belhassen Trabelsi devra se présenter à l’audience de la commission de l’immigration et du statut de réfugié. Dans quelle mesure toutes les accusations de la justice tunisienne à son égard peuvent remettre en cause son statut au Canada ?

Ces accusations peuvent avoir de lourdes conséquences sur sa demande d’asile. Cependant, au jour d’aujourd’hui on ne sait pas s’il a présenté une demande d’asile à l’immigration canadienne.

Ce qui est sûr c’est que Belhassen Trabelsi n’a pas respecté son obligation de résidence. En sachant qu’en ayant le titre de résident permanent, il était dans l’obligation de résider au Canada pour chaque période quinquennale au moins deux ans, soit (720 jours), et si vous ne respectez pas cette obligation de résidence vous perdez votre statut.

Cependant, le lendemain, la personne peut faire appel de cette décision auprès de la section d’appel de la Commission du statut de réfugié. C’est ce qui s’est probablement passé pour Belhassen Trabelsi puisque qu’il y a une audience le 23 avril à la section d’appel de l’immigration au niveau de son obligation de résidence. Donc ce dernier est toujours résident permanent au Canada. Il pourra, bien-sûr, faire d’autres demandes par la suite, notamment celle de réfugié, et s’il n’a pas de dossier criminel, il aurait une facilité à obtenir son statut d’asile. Sauf que Belhassen semble avoir un casier judiciaire assez lourd.

Belhassen Trabelsi se présentera le 23 avril devant le tribunal pour récupérer son statut de résident permanent

Y aurait-il des parades pour que Belhassen Trabelsi s’en sorte durant l’audience du 23 avril, et qu’il récupère son statut de résident permanent ?

S’il se présente le 23 avril prochain à la section d’appel et qu’il tente de faire valoir qu’effectivement il n’a pas résidé au Canada durant la période nécessaire, mais qu’il justifie son absence par des motifs humanitaires, qui auraient fait en sorte qu’il ne pouvait pas résider plus longtemps sur le territoire canadien.

Ce sont des arguments que l’on voit souvent au niveau de la section d’appel. Si la commission accepte cet argumentaire, Belhassen Trabelsi pourrait récupérer sa résidence permanente. Rien ne l’empêche de se défendre, mais il a un dossier criminel assez lourd, et ça risque de lui compliquer la tâche.

Y a-t-il un risque pour que Belhassen Trabelsi ne se présente pas à son audience ?

Il doit y assister, car il devra répondre directement au juge. Son avocat ne pourra pas le faire à sa place. L’audience a été annoncée comme étant ouverte au public, cependant, rien n’empêche Belhassen Trabelsi d’y assister par téléconférence. Son avocat peut aussi demander un huis-clos pour une question de sécurité.

Des rumeurs racontent que sa femme et ses enfants ont quitté le Canada depuis plusieurs mois. Ont-ils le droit de revenir, si c’est le cas ?

Si Belhassen Trabelsi a la résidence permanente, toute sa famille l’a, car ce sont des demandes regroupées. La carte de résidence est valable 5 ans. S’ils sont en appel aujourd’hui, c’est qu’ils ont chacun une carte de résidence d’un an. Avec celle-ci ils ont le droit de sortir et rentrer comme ils le souhaitent du territoire canadien.

Même s’il a une assignation à résidence et ou qu’Interpol ait émis un mandat d’arrêt international contre la famille Trabelsi ?

Belhassen Trabelsi a le droit de voyager pendant un an avec sa carte de résidence, qu’il aurait eu suite à l’appel fait par son avocat au ministère de l’Immigration. En fait, se sera ensuite à la discrétion du pays où il se rend de le laisser rentrer ou pas.

Certains pays pourront prendre plus au sérieux la demande de la Tunisie présentée à Interpol, et donc prendre des mesures pour arrêter cette personne. Sinon il est libre de voyager. D’ailleurs, avec cette carte il pouvait très bien durant toute l’année voyager et placer son argent hors du Canada.

Est-ce que la situation d’instabilité politique et juridique prévalant aujourd’hui en Tunisie pourrait jouer en sa faveur pour justifier le refus de son extradition ?

Les ministres de la Justice et des Affaires étrangères tunisiens savent très bien qu’ils doivent donner des assurances au Canada que si on extrade Belhassen Trabelsi, il sera traité correctement ; que ses droits seront respectés, qu’il sera face à une justice juste et équitable.

Si ces conditions sont respectées, il y aura probablement une entente entre les gouvernements canadien et tunisien.

Qu’est-ce qui garantit que la Tunisie respecte ces conditions ?

Si un gouvernement ne respecte pas ces engagements, cela pourra entacher les relations diplomatiques entre les deux pays.

Vous êtes mandaté par le collectif Tunisien au Canada pour suivre cette affaire du gel des avoirs et de l’extradition de Belhassen Trabelsi, depuis plus d’un an. Les choses ne bougent pas comme les Tunisiens le souhaiteraient. Que faut-il faire ?

Si je représentais les intérêts du gouvernement tunisien au Canada, j’adopterais d’autres approches pour faire avancer plus rapidement le dossier. C’est complètement anormal que depuis plus d’un an ce dossier traine.

Encore une fois, le Canada a les ressources pour agir et suffisamment d’informations. Il y a plusieurs institutions au niveau des cellules financières qui savent très bien ce qui rentre et ce qui sort du Canada. J’espère que le gouvernement tunisien va faire un suivi en bonne et due forme pour finaliser ce dossier. Je souhaite aussi que le gouvernement canadien comprenne mieux ses responsabilités pour assurer ses procédures.

Le collectif Tunisien au Canada a aussi son rôle à jouer. Il représente la société civile. Il doit continuer à mobiliser les gens pour mettre de la pression sur les deux gouvernements.