Pour Ennahdha et ses membres au sein du gouvernement, les salafistes ne sont pour rien dans les problèmes qui secouent, depuis trois mois, la faculté de Manouba. La faute en incomberait au doyen et aux enseignants !

Par Imed Bahri


Cette position est, en tout cas, exprimée de manière on ne peut plus claire et brutale par le ministre de l’Enseignement. Pour Moncef Ben Salem, en effet, c’est l’historien Habib Kazdaghli, doyen de la faculté de Manouba, qui a mis le feu aux poudres, en se prononçant clairement contre le port du niqab, le voile islamique intégral, par les étudiantes dans les salles de classe à l’université.


Habib Kazdaghli

Ben Salem renvoie la patate chaude à Ben Jaâfar

Pour M. Ben Salem, qui appartient à l’aile dure d’Ennahdha, le port du niqab à l’université est «un faux problème». «J’accuse clairement mes collègues de ne pas être à la hauteur. Le doyen n’a pas fait ce qu’il fallait pour résoudre le problème pacifiquement et il a des arrière-pensées politiques», a déclaré M. Ben Salem, par allusion à l’appartenance de M. Kazdaghli à Ettajdid (parti centre-gauche de tendance laïque).

Non content d’absoudre ainsi les agitateurs salafistes et de tenir les enseignants pour seuls responsables, M. Ben Salem semble vouloir fuir ses responsabilités ministérielles en se défaussant – très courageusement – sur l’Assemblée nationale constituante. Celle-ci – qui peine encore à préparer la Loi de finances complémentaire de 2012 et à entamer la rédaction de la nouvelle constitution – devrait, selon lui, statuer sur le port du voile intégral à l’université. On imagine les débats houleux auxquels donnerait lieu ce débat sous la coupole du Palais du Bardo ! Mustapha ben Jaâfar, président de l’Assemblée, dont le parti, Ettakatol, s’est clairement prononcé contre le port du voile par les étudiantes dans les salles de classe, appréciera beaucoup ce cadeau empoisonné.

Par ailleurs, et tout en évitant de se prononcer lui-même pour ou contre le port du niqab à l’université – précaution utile pour ne pas énerver les salafistes proches d’Ennahdha –, M. Ben Salem tient cependant à rappeler que dans certains pays du Golfe – un modèle absolu pour la Tunisie d’aujourd’hui ! – toutes les filles le portent sans que cela ne pose problème. Suivez mon regard…


Moncef Ben Salem

Le gouvernement joue-t-il au pyromane pompier ?

En présentant ainsi les salafistes, qui empêchent les cours et agressent les enseignants, comme des victimes, et les enseignants, qui cherchent à faire respecter la loi interdisant de fait le voile intégral dans les salles de classe, comme des agresseurs, M. Ben Salem ajoute de l’huile sur le feu. Et confirme de manière on ne peut plus claire la position de son parti et de son gouvernement : favorable aux salafistes et opposée aux enseignants, un peu trop progressistes et laïcs à leurs goût.

Voilà qui ne va pas aider à calmer les esprits au sein de la faculté de Manouba et parmi les enseignants et les étudiants, qui craignent la poursuite des provocations et des agressions. Et la poursuite aussi du laisser-faire et du laxisme du gouvernement. Le fait que les forces de l’ordre refusent d’intervenir pour mettre fin aux agressions dont sont victimes les professeurs et les étudiants (et surtout les étudiantes non voilées) est, à leurs yeux, un signe clair de la volonté du gouvernement de laisser pourrir la situation.


Un salafiste profane le drapeau national

Reste à savoir à quel dessein. Pour détourner l’opinion publique des vrais problèmes du pays : insécurité, crise économique, chômage, etc. ? Pour maintenir les salafistes dans le giron d’Ennahdha, en les laissant faire ce qu’ils veulent tant que cela ne porte pas atteinte au gouvernement ? Pour occuper (et épuiser) les intellectuels progressistes et modernistes, qui résistent à l’«islamisation» rampante du pays, par d’interminables guéguerres avec les salafistes ?

La réponse est à rechercher dans l’une, l’autre ou les trois hypothèses à la fois.