Nos confrères du journal électronique "24h.tn" ont déniché des photos et un compte-rendu de la dernière réunion tenue au siège du Rcd, le 14 janvier, quelques heures avant la fuite de l’ex-raïs. Kapitalis les publie avec leur aimable permission.


Le vendredi 14 janvier, vers 11 heures, alors que la foule grossissait sur l’avenue Habib Bourguiba et rugissait devant la bâtisse grise du ministère de l’Intérieur, dernière citadelle du système répressif de Ben Ali, une réunion -la dernière sans doute dans l’histoire de l’ex-parti au pouvoir, le Rassemblement constitutionnel démocratique (Rcd)- se tenait, à une centaine de mètres de là, dans le hall central de la tour de verre de l’avenue Mohamed V, siège de ce parti tristement célèbre.

Un équipage bigarré au cœur de la tempête

A cette réunion d’urgence, présidée par le secrétaire général du Rcd, Mohamed Ghariani, ont pris part plusieurs cadres du parti, au premier rang desquels, comme le montrent les photos, Saïda Agrebi, l’inénarrable ex-présidente de l’Association tunisienne des mères (Atm), officine qui dispensait des services très particuliers à l’ex-président-dictateur, l’homme d’affaires Hedi Djilani, ex-président de l’Union tunisienne de l’industrie, du commerce et de l’artisanat (Utica), Abir Moussa, ancienne secrétaire générale adjointe du Rcd, et Salwa Tarzi, ex-présidente de l’Union nationale des femmes tunisiennes (Unft).

Le premier est aujourd’hui incarcéré à la caserne de l’Aouina, la seconde est en fuite à l’étranger, alors que les trois autres sont en liberté.

Nous comptons sur les lecteurs pour reconnaître les autres personnes surpris ce jour-là par le photographe au milieu de cette réunion où ils donnent tous l’impression d’être les passagers d’un bateau qui tangue dangereusement et menace de couler. Et qui coulera, d’ailleurs, quelques heures plus tard, lorsque le timonier, pris de panique, prendra la poudre d’escampette, abandonnant son équipage bigarré au cœur de la tempête.

Les participants à la réunion, ramenés des régions du Grand Tunis à bord de bus prêtés par la Transtu, ont demandé – est-ce le mot d’ordre lancé ce jour là ? – la poursuite de toutes les personnes qui ont trompé le président, par allusion à l’allocution prononcée, la veille au soir, par Ben Ali, et où ce dernier disait : «Ghaltouni» (Ils m’ont trompé).

«Ben Ali Raissouna Wa Tajammo Hizbouna»

Selon des témoins, la réunion a été marquée par des cris, des vociférations et des échanges d’accusations, dans une atmosphère très électrique. Pour calmer ses camarades, dont les nerfs étaient à fleur de peau, Riadh Saâda, secrétaire général adjoint du Rcd chargé du programme présidentiel (sic !), a pris la parole pour dire que le parti demeure fort et qu’il se remettra de cette nouvelle crise, demandant aux présents de considérer la situation avec un esprit calme et pondéré.

Le secrétaire général du parti, Mohamed Ghariani a enchaîné en disant que le parti est fort de la direction de son président Ben Ali, que sa base et ses cadres sont capables de dépasser les circonstances difficiles et que l’avenir du parti, dont la création remonte à plus de 70 ans, n’est pas tributaire d’une personne ou d’un nom. Le speech de Ghariani a été coupé par des applaudissements et des cris exprimant un «attachement indéfectible», comme on disait alors, à la personne de Ben Ali : «Ben Ali Raissouna Wa Tajammo Hizbouna» (Ben Ali notre président et le Rassemblement notre parti) ou encore : «Arbaâtach Baâd Alfine, Ma Inajemha Ken Ezzine» (La présidentielle de 2014, seul Zine peut la gagner).

Salem Mekki, président de l’Organisation tunisienne de l’éducation et de la famille (Otef), a pris ensuite la parole pour calmer les participants dont certains ont accusé les dirigeants de rester confinés dans leurs bureaux alors que les militants dans les régions et les quartiers populaires sont en train de faire face aux actes de pillage et de dégradation des sièges des cellules, des fédérations et des comités de coordination du parti.

Le secrétaire général du parti, qui craignait sans doute des affrontements entre ses troupes et les opposants au régime et au parti qui manifestaient non loin de là, a demandé aux militants de ne pas sortir manifester dans la rue, comme cela était prévu, pour exprimer l’attachement des «Tajammouin» (militants d’Ettajammo, ou Rcd) aux choix du chef de l’Etat. Il les a informés que des militants syndicalistes manifestaient au centre-ville de Tunisie et que des instructions émanant des sources sécuritaires les mettaient en garde contre une sortie dans la rue.

«Ils sont allés à l’avenue Habib Bourguiba»

Le représentant du Comité de coordination de l’Ariana a pris ensuite la parole pour dire que le siège de cette instance est le seul à n’avoir pas été mis à feu parce qu’il était gardé par les «Tajammouine Shah» (Rcédistes authentiques) et s’est demandé où sont allés les Rcédistes ramenés de l’Ariana en bus, avant de lâcher : «Ils sont allés à l’avenue Habib Bourguiba», signifiant par là qu’ils se sont défilés et laissant entendre qu’ils auraient peut-être rejoint la foule des manifestants contre le régime, ou pour voir ce qui se passe là-bas.

Peu après midi, tous ces gens ont quitté le siège du Rcd. Ils se sont terrés chez eux jusqu’à la fin de l’après-midi. Vers 18 heures, ils ont appris, comme tous les Tunisiens, que la partie était terminée.

I. B.

Crédit photo : 24h.tn