Son nom ne vous dit peut-être pas grand chose. Mais il mérite d’être connu et sa mémoire réhabilitée. Chedly Hammi a eu le malheur de croiser la route de Ben Ali, qui l’a broyé. Récit…
Par Ridha Kéfi


Chedly Hammi alias Mohamed Ali Mahjoubi ou encore Mohamed Larbi Mahjoubi est, comme son nom l’indique, originaire de Hamma, près de Gabès (littoral sud-est).
Au lendemain de l’indépendance de la Tunisie, en 1956, le jeune homme du sud a intégré le ministère de l’Intérieur. Il a ainsi côtoyé les détenteurs successifs de ce portefeuille: Mongi Slim, Taïeb Mehiri, Ahmed Mestiri, Béji Caïd Essebsi, Driss Guiga, Tahar Belkhodja, etc. Sa spécialité: les renseignements généraux (écoutes, contre-espionnage…), dont il n’a pas tardé à se voir attribuer la direction générale. Et c’est tout naturellement qu’il a été amené à gérer les différentes crises politiques et sécuritaires que le pays a traversé.

L’ennemi intime des Libyens
La première a éclaté au lendemain du traité d’union entre la Tunisie et la Libye, signé à Djerba en janvier 1974. Hammi, qui se méfiait beaucoup du gouvernement révolutionnaire mis en place par le colonel Mouammar Kadhafi quelques années plus tôt, était opposé à ce projet. C’est lui qui en a informé le Premier ministre, Hédi Nouira, alors en mission Téhéran, en Iran, via l’ambassade de Tunisie à Paris, dirigée par Hédi Mabrouk.
A l’époque, le nom de Ben Ali, qui était un haut gradé de l’armée, a figuré sur la liste des membres du gouvernement d’union. Avait-il, dès cette époque, des relations secrètes avec Kadhafi ou ses collaborateurs? C’est possible, et même probable. Quoi qu’il en soit, on peut se demander si Ben Ali n’avait pas tenu rigueur à Hammi de s’être opposé à un projet qui le propulsait membre de gouvernement. Ce qui est sûr, en revanche, c’est que les Libyens, à commencer par Kadhafi, n’ont pas apprécié le rôle joué par Hammi dans l’échec du projet d’union. Ils lui en tiendront longtemps rigueur. C’est ce qu’affirme à Kapitalis la veuve de l’ancien directeur général des renseignements généraux, Khadija Hammi, qui nous reçut dans sa maison de La Marsa.
Les Libyens n’ont pas apprécié non plus le rôle joué par Hammi au lendemain de l’attaque d’un groupe armé contre la ville de Gafsa, en janvier 1980. Ce groupe était formé de Tunisiens entraînés en Libye et manipulés par les services de ce pays, qui cherchaient alors à déstabiliser le gouvernement de Hédi Nouira, le tombeur – avec l’épouse de l’ex-chef  d’Etat, Wassila Bourguiba – du projet d’union.

Un homme de confiance de Bourguiba
«Mon mari avait procédé à l’arrestation de dizaines de Libyens qui travaillaient pour les services de leur pays à partir de la Tunisie», raconte Khadija. Ce qui n’a pas amélioré l’image de Hammi auprès des Libyens, ces derniers ayant inscrit son nom sur la liste de leurs ennemis intimes en Tunisie.
Hammi travaillait directement avec Bourguiba, même à l’époque où Ben Ali avait été désigné secrétaire d’Etat chargé de la Sûreté, puis ministre de l’Intérieur, puis Premier ministre (1986-1987), et jusqu’à la prise du pouvoir par ce dernier, le 7 novembre 1987.
A l’exception d’une courte période durant laquelle Ben Ali avait réussi à l’éloigner des services de renseignement au lendemain de l’attaque de Gafsa – il avait été nommé à la tête du Centre de détention de Bouchoucha (Le Bardo) –, Hammi était resté l’un des hommes de confiance de Bourguiba. Ce qui ne le rendait pas particulièrement sympathique aux yeux de Ben Ali. Il n’a donc pas trempé dans le coup d’Etat médico-légal qui a permis à Ben Ali d’accéder à la magistrature suprême. Il ne l’a pas vu venir non plus, puisqu’il était tenu dans l’ignorance de ce qui se tramait alors entre Ben Ali, Saïda Sassi, nièce de Bourguiba, le général Habib Ammar, l’homme d’affaires Kamel Letaief, cousin de Ben Ali et son futur conseiller de l’ombre.

Tripoli demande la tête de Chedly
Après le départ de Bourguiba, les relations entre Tunis et Tripoli n’ont pas tardé à s’améliorer. Hammi n’a pas tardé lui aussi à céder son poste, dès le 8 février 1988, à Ali Noureddine. Une semaine plus tard, le 15 février, les relations entre Tunis et Tripoli, rompues depuis 1985, sont officiellement renouées. Les délégations tunisiennes se succéderont en Libye. Et vice versa. La première visite de Ben Ali en Libye, en 1988, sera un succès total. La preuve: Ben Ali est rentré en Tunisie avec une aide financière conséquence pour relancer l’économie du pays en crise, et une promesse d’ouverture des frontières libyennes devant les travailleurs tunisiens. «Les Libyens avaient demandé la tête de Chedly. Mais Ben Ali a préféré temporiser. ‘‘J’ai besoin de le débriefer avant de le limoger’’, avait-il alors répondu à ses voisins», raconte Khadija.
Sous Ben Ali, Hammi a été successivement directeur général de la Sûreté nationale, puis Secrétaire d’Etat chargé de la Sûreté nationale. Cette fonction, il l’assumera durant cinq mois, entre mars et août 1990.
En cette année 1990, pour se débarrasser d’un homme qui n’a pas montré du zèle à servir ses desseins et qui, de surcroît, ne plaît pas à ses alliés libyens, Ben Ali a fait accuser son ex-secrétaire d’Etat d’avoir trempé dans l’assassinat du leader palestinien Khalil Al-Wazir (dit Abou Jihad), le 16 avril 1988.
L’homme est arrêté le jour même de son anniversaire et mis en prison. Les médias sont utilisés pour faire accréditer l’accusation à travers des articles pour le moins expéditifs, visiblement soufflés par les services et, pour cette même raison, non signés.

Demain : La descente aux enfers de Chedly Hammi (2/2)