Les islamistes se trompent de combat. Au mieux, ils feront des déçus au pire ils vont transformer des millions d’individus en idiots utiles asservis à l’ordre économique dominant.

Par Karim Ben Slimane


 L’islam politique désigne les courants et les mouvements politiques qui défendent un projet de société ou une réforme de celle-ci en se référant à une tradition d’interprétation de l’islam. Dans son acception la plus récente, l’islam politique a rompu les liens institutionnels entre le pouvoir politique et l’institution religieuse traditionnelle des ulémas. En cela, il est donc moderne, considérant par là même comme ancienne l’époque de la tutelle des ulémas qui fréquentaient les universités de théologie.

Action politique et en mouvement social

Les porte-étendards et les figures de proue de l’islam politique ont suivi deux itinéraires. Les prédécesseurs ont fait leurs classes au sein même de l’institution traditionnelle avant de la critiquer et d’en être exclus à l’instar de Jamal Eddine El Afghani, Mohamed Abdou ou encore Ali Abderrazek.

Les suiveurs s’appellent Hassan El Banna, Abou El-Âla El Mawdoudi, ou encore Saïd Qotb. Ils ont incarné et mis en branle le mouvement réformateur de l’islam qui s’est érigé d’abord contre l’institution des ulémas et des exégètes devenue vermoulue et inerte et de surcroît compromise avec le pouvoir politique et ensuite avec le colonisateur. Faut-il rappeler que Hassan El Banna a été instituteur et Said Qotb critique littéraire et professeur de littérature ?

Il est important de situer l’islam politique dans le contexte historique et géopolitique de sa naissance. La renaissance, mouvement essentiellement intellectuel, est apparu comme un sursaut de fierté devant la déliquescence de la oumma (nation) comparée à la grandeur retrouvée de l’occident chrétien. La campagne de Napoléon en Egypte a joué beaucoup dans cet émoi.

Ce courant intellectuel s’est transformé par la suite, au début du 20e siècle, en action politique et en mouvement social mêlant le combat local pour l’indépendance à l’utopie globale du redressement et de la réunification de la oumma.

Aujourd’hui, ces deux thèses ont un accent d’anachronisme puisque les peuples musulmans ont retrouvé leur indépendance et que les nations et les nationalismes se sont solidement installés dans les esprits.

Force est de constater que l’islam politique depuis sa naissance n’a pas du tout évolué sur le plan intellectuel. Il est donc resté arcbouté sur les thèses qui ont été le produit du contexte historique et politique dans lequel il est né. Ainsi, après de longues années de déshérence et d’extermination physique et idéologique voulue par des régimes forts, c’est l’Afghanistan occupé par les Russes qui allait redonner à l’islamisme son nouveau souffle et ses nouveaux ténors.

L’islam politique carbure donc à l’émoi ; il est catalysé par les sursauts de fierté qui nous frappent au gré des situations qui rappellent aux musulmans que l’Histoire de l’humanité se fait sans eux et qu’ils subissent la domination des mécréants. C’est pour cette raison que l’islam politique apparaît comme une idiotie utile car il noie l’individu dans la communauté, l’éloigne de sa situation de citoyen, de travailleur, de consommateur, d’homme et de femme et en cristallisant son attention sur le combat identitaire il tait et occulte d’autres formes de domination bien plus pernicieuses.

Regardez un peu comment les jeunes salafistes et les nahdhaouis sont accoutrés et vous comprenez comment l’islam politique les a transformés en fantoches. Jellaba made in China, chaussures Nike fabriquées par des petites mains pakistanaises, iPod avec chansons rap et la canette de Coca à la main : tel est l’accoutrement de ceux qui, aujourd’hui, prétendent nous guider vers la voie du salut.

Droit dans ses bottes

Alors que le monde est secoué par une crise financière sans précédent, alors que les Etats vacillent sous la domination douce des argentiers, alors que les crises environnementales se succèdent et s’aggravent de plus en plus, l’islam politique reste droit dans ses bottes, fidèle à ses thèses originelles de chasser les mécréants des terres d’islam, réunifier la oumma et bloquer l’horloge du progrès à l’heure de l’hégire pour nous faire ressembler à nos aïeux.

En engourdissant la conscience des individus et en jouant sur le pathos, l’islam politique est incontestablement le meilleur allié de l’ordre mondial dominant sous réserve qu’il délaisse la violence. Les grandes puissances financières, les grandes firmes et les patrons véreux peuvent dormir tranquilles, ce n’est pas l’islam politique qui va renverser l’ordre mondial.

Aujourd’hui le premier défi de l’islam est avant tout intellectuel, ceux qui ont choisi l’action politique et sociale se trompent de combat. Au mieux, ils feront des déçus au pire ils vont transformer des millions d’individus en idiots utiles asservis à l’ordre dominant.

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