Dr Lilia Bouguira, médecin et bloggeuse, a assisté mardi à la cérémonie officielle organisée, mardi, par la présidence de la République, à l’occasion de la Journée nationale de la liberté d’Internet. Elle témoigne…


 

Mardi, j’ai été au palais. C’était la première fois que j’y mettais les pieds et certainement la dernière. La suite vous le confirmera.

Je ne peux pas dire que je n’ai pas été subjuguée par autant de faste et de beauté. Un édifice somptueux sur un site hors pair prenant la baie de Carthage et de Sidi Bou Saïd mais surtout un mythe encore plus fort : pénétrer un jour au palais, fouler ce sol que le dictateur se réservait à lui et sa bande de mafieux.

En y pénétrant au début de cette belle matinée, nous sommes pour la plupart surexcités comme des gosses devant un très beau cadeau. Nous parlions à voix basse puis le frein se levait progressivement à mesure que nous prenions place dans la grande salle où Zaba donnait ses fameux discours violets et où l’assistance buvait ses paroles, guindé,e éblouie et faisant presque dans son froc.

Le temps des lèches-bottes est révolu

Vite nous nous débridons, rigolons de tout, de ce palais autrefois si mystifié, des meubles des plinthes mal entretenues, de la couleur de certains murs, des lustres ébréchés et surtout du goût des anciens pensionnaires de ces hauts de hurle-dictature. Certains même ont pris la peine de filmer. Nous avons surtout beaucoup ri.

Le président est apparu, a fait son discours, commémoré le défunt (le cyber-résistant Zouhair Yahyaoui, décédé en 2005, Ndlr) et sa famille. Pour la première fois dans l’histoire du palais, je crois un président fait son allocution et pas une personne n’applaudit. Non pas par manque de respect mais parce que ce temps est révolu définitivement derrière nous celui de la koffa et des lèches-bottes.

Nous avons applaudi lorsque la mère de Zouhair a reçu les honneurs et étions tous émus lorsqu’elle s’est mise à nous parler de son enfant, de son combat, de sa grève de la faim, d’Internet et de tout le chemin qu’il avait, de sa santé et de sa vie, ouvert et tracé pour nous pour arriver à cet état de liberté dont nous avons été gratifiés par cette révolution, une ébauche de Zouhair, elle répétait écrasée par la douleur et les sanglots.

Le président s’éclipse rapidement, escorté de ses spahis en costards cravates, à notre grande déception car nous avons tous pensé qu’il allait rester débattre avec nous de l’Internet, de la censure et de nos attentes.

Nous passons à une grande salle annexée où une fastueuse pause-café nous attend.

La «gamine» qui a mis le feu à la poudre

Puis vient la conférence-débat que nous attendions le moins parce qu’en réalité nous sommes tous venus pour tout sauf pour une conférence ou pour écouter une quelconque leçon. Pourtant, une jeune professeure s’est prêtée en donneuse de leçon, mettant le feu à la poudre, embrasant, servitude des femmes, sexologie et hadith du prophète. Elle n’a pourtant pas fait tout faux la gamine, comme j’ai aimé la qualifier, parce qu’en plus, elle fait son speech, quitte la salle et ne revient qu’en fin de séance après que le tout soit embrasé, se souciant peu des critiques et de nos avis.

Des blogueurs s’emportent crient que c’est du hors-sujet, ce qui était vrai, que le vrai débat est la liberté d’Internet, appellent leur président pour discréditer les propos haineux contre la religion et les barbus comme elle les a traités. Ils quittent également la salle bien avant elle, boycottant la conférence qui, j’avoue, a tourné au ridicule. Personne n’écoute personne, des nerfs à fleur de peau des outrages à l’auditoire dans une hystérie sans précédent.

Au bout d’un moment, les boycotteurs reviennent, reprennent leurs esprits assistent jusqu’à la fin du débat pour prendre la parole, s’excuser avec diplomatie de l’incident, expliquant tour-à-tour qu’ils n’ont fait que répondre à des provocations stériles et hors-sujet, juste dans le but de les provoquer.

Plusieurs personnes sont encore intervenues, puis j’ai pris la parole, me présentant d’abord, expliquant qu’en médecine, il existe un phénomène, la catharsis, qui permet la libération, des émotions, toutes nos émotions pour ensuite se sentir mieux.

Ces blogueurs échauffés n’étaient que la preuve vivante du processus de libération et de meilleure santé à venir. Ceci d’un côté thérapeutique s’ajoute auquel ce côté désacralisant du palais et de la présidence sans manque de respect aucun mais dans une finalité que la liberté d'expression a été importée en ce jour même où on la célèbre jusqu’au palais. Que de plus belle preuve que celle que l’impensable se réalise !

Le combat pour la liberté continue

Je m’adresse ensuite à la maman de Zouhair, lui demande pardon au nom de tous ces gens, continue et l’intime de leur pardonner en ce jour où ils devaient se réunir juste par reconnaissance à son fils et ses idéaux son combat pour la libération d’Internet.

Je lui dis encore : vous, madame, êtes en droit d’être en colère contre Zaba qui a muselé votre enfant et l’a emprisonné jusqu’à amener sa mort par cette non liberté, mais moi madame qui dois-je qualifier de non libérateur lorsque mon fils a encore été torturé pour la liberté parce qu’il a voulu filmer des abus des policiers et mettre encore la vidéo sur ce foutu Internet. Par deux fois, il a été torturé après un an de la révolution, un certain 13 novembre 2011 et un 1er février 2012 parce qu’il a encore voulu filmer et mettre sur Facebook. J’ai failli le perdre pour cette liberté d’Internet que M. Marzouki a libéré et fêté mardi. Dois-je me réjouir ou encore m’inquiéter ?

Pour cela, j’accuse mon président d’être maintenant absent et me répondre de cette vérité : oui ou non Internet est-il libéré ?