Dr Lilia Bouguira écrit – Que signifient ces cris acharnés pour un drapeau devant ceux étouffés pour des vies qui s’éteignent petit-à-petit parce qu’un homme diminué n’est plus en mesure de se regarder ou de vivre ?


Un illuminé se prend pour Dieu et plante son drapeau à la place du drapeau. Les autres sont pires, ils veulent en faire une Jeanne d’arc. Les esprits s’enflamment, les colères se déchaînent laissant place à la médiocrité et à la surenchère. Bizarrement, je ne me sens pas concernée. Au contraire je me sens dégoûtée extrêmement dégoutée.

Qu’il n’en déplaise à certains mais dans toute petite ou grande chose dans nos vies, nous faisons revenir tout par rapport à nous même, nos égos, nos douleurs, nos déceptions, nos bravoures, nos frustrations et nos aspirations, et nous tendons toujours à croire que le vrai est dans ce que nous voulons ou pensons.

Dans nos emportements et nos comportements, nous oublions souvent de dépoussiérer de décontaminer, de déblayer, de prendre cette minute de réflexion pour ne pas en rajouter, pour ne pas défigurer les indices, pour ne pas escamoter les preuves, défaire à jamais des possibilités de discussion et de mise à plat et parfois ignorer parce que l’essentiel la priorité est non dans ce geste farfelu répréhensible certes mais tellement secondaire lorsque nous osons bafouer à chaque instant les emblèmes de ce drapeau.

Que signifie un drapeau sinon un vulgaire carré de tissu lorsque les enfants de la nation sont laissés pour compte, oubliés ou même rudoyés voire torturés ?

Que signifie la patrie lorsqu’elle est capable d’infanticide et d’ignominie ?

Que signifie un Etat lorsqu’il se drape du sang de ses héros pour en faire de longues et interminables démarches pour les soigner ou les transférer ?

Que signifie un carré flottant lorsque tous les carrés du pays se resserrent de plus en plus étroitement rendant des gosses infirmes à bout de patience presque dans la mendicité et le manque de dignité ?

Que signifie cette marée montante de colère et de soulèvement hier encore à l’Assemblée constituante lorsque, normalement, le souci de la santé de nos blessés de la révolution est presque passé sous silence s’il n’est du zèle de certains bons citoyens pour entretenir les mémoires ?

Que signifie cette mascarade ou encore ce coup théâtralisé à max lorsque chaque jour un des héros de cette patrie hésite douloureusement devant son appartenance, arrive à douter et devient fou parce que jusqu’à aujourd’hui encore les démarches pour faire la vérité sont lentes très lentes voire interminables ?

Que signifient ces cris acharnés pour un drapeau devant ceux étouffés pour des vies qui s’éteignent petit à petit parce qu’un homme diminué de sa dignité ou de son honneur n’est plus en mesure de se regarder ou de vivre ?

Que signifie ce déloyal patriotisme non taré lorsque votre patrie ou votre Etat se désolidarise de ses défendeurs pour sa liberté qui ont prêté vaillamment leur corps comme bouclier contre les balles des snipers et de Ben Ali ?

Eh bien qu’elle aille au diable et encore moins ce pays !

La nation est un bien grand mot et pour bien le comprendre, il faut réaliser que si nos affects, nos sentiments, arrivent un jour à nous quitter, nous ne serions plus en mesure d’être des humains et le monde deviendra infiniment barbare et  dépeuplé.

Je ne cautionne ni la désacralisation de nos emblèmes voire même d’aucune liberté.

Je suis pour le débat et que celui qui a quelque chose dans le ventre ou les méninges l’exhibe ou qu’il se taise à jamais.

Notre peuple, le vôtre et le mien, il y a un peu plus d’an, a été des plus capables de se retenir lorsque les tirs des snipers et des flics opéraient sur les civils. Les opérations de vandalisme n’ont pas eu de grosses répercussions si ce n’est de comprendre que tout était pour faire diversion sur le peuple sur son attention pendant que les autres, les sans face, récupéraient tout ce qui pouvait encore les compromettre.

Nous étions alors loin très loin des différences de race de rang ou d’intellect mais tous unis devant nos quartiers à défendre nos cités.

Je me rappelle encore d’un voisin redouté pour être un pickpocket, combien il était honorable dans ses guets à chaque veillée.

La révolution, la chasse au dictateur avait réveillé les ardeurs, transformé nos mœurs, régularisé nos cœurs pour les faire battre au même rythme.

Nous avons été tous des vaillants !

Qu’est-ce qui a changé en nous en si peu de temps et pourquoi ? Là se posent les vraies questions !

Pourtant nous restons ces mêmes gens toujours prêts à nous lever pour la moindre catastrophe que ce soit chez le pays voisin ou chez l’autre à côté.

Quoi de plus fabuleux, mieux ENCORE, plus belle, plus historique que cette leçon de solidarité que nous avions enseignée aux Italiens lorsqu’ils remettaient en mer ou malmenaient nos enfants réfugiés alors que leur nombre n’excédaient pas les centaines tandis que nos frontières et bras étaient des plus hospitaliers pour des milliers de réfugiés libyens !

Qu’est ce qui nous pousse depuis à nous déchirer entre nous, à aiguiser les couteaux sur le dos des uns et des autres se souvenant peu de notre passé proche, ne retournant que des slogans vides édulcorés de propos haineux et sans âme ?

Qu’est-ce qui nous propulse dans la médiocrité et le non dialogue alors que la force est au mot, la réflexion et à la persuasion ?

Ne tombons pas dans les pièges des contre-révolutionnaires, ne soyons pas l’apanage des mafieux et surtout ne soyons pas les propres fossoyeurs de nos acquis car il n’y a pas plus terrible que la folie meurtrière des frères ennemis !

Sauvons-nous, sauvons nos blessés, regroupons nous autour d’eux pour les aider à émerger.

Faites de leur sauvetage, leur survie et leur guérison votre combat sinon au diable ce foutu drapeau et tous les autres qui suivront.

Suivons Hugo dans «avoir pour patrie le Monde et pour nation l’Humanité».