Mohamed Ridha Bouguerra* – Le mode de vie de la majorité des Tunisiens et leurs nobles valeurs doivent être pérennisées grâce à leur inscription dans la future Loi fondamentale. Avec le sage consentement des élus d’Ennahdha…


Plus de deux mois et demi après sa première séance plénière tenue le 22 novembre 2011, l’Assemblée nationale constituante (Anc) s’apprête, mais sans vraiment trop se presser, à entrer, enfin, dans le vif du sujet. Lundi 13 février, elle a mis, en effet, en place les commissions qui vont se charger de la rédaction des différents volets de notre future Charte nationale, raison première de sa création. Aussi, Ghazi Ghraïri, dans l’éditorial du quotidien ‘‘Le Maghreb’’ daté du 9 février, et Fadhel Moussa, dans une interview donnée à ‘‘La Presse’’ du même jour, viennent-ils opportunément nous rappeler l’importance capitale de l’enjeu de cette entreprise.

Le miroir d’une société

Les deux juristes et spécialistes de droit constitutionnel mettent en garde le parti religieux sorti relativement vainqueur des élections du 23 octobre dernier contre la dangereuse tentation d’établir une constitution qui ne répondrait qu’aux attentes des seuls Tunisiens qui ont accordé leur voix à Ennahdha, soit à peine un million et demi de nos concitoyens.

Le doyen Fadhel Moussa, par exemple, déclare explicitement dans ce sens : «La Constitution représente le texte fondateur de tout un pays et non pas d’un parti ou d’une coalition.».

Quant à Ghazi Ghraïri, il met particulièrement l’accent sur le fait que la Loi fondamentale ne se résume pas à son seul aspect technique, pour capital qu’il soit. Elle est, au contraire, affirme-t-il, le miroir d’une société dans la mesure où elle reflète les valeurs communes à l’ensemble des citoyens.

L’établissement du texte qui régira à l’avenir notre vie publique, et pour des générations probablement, doit obéir à la règle du consensus et non aux principes propres à chaque formation partisane à l’intérieur de l’Anc. Prendre de la hauteur, se détacher de l’idéologie stricte de son parti pour ne considérer que l’intérêt supérieur de la nation dans la diversité de ses composantes et de leurs sensibilités distinguera l’homme politique visionnaire capable d’embrasser le dessein national conçu par la plus large partie de la société du simple politicien au service d’une clientèle restreinte.

Il est ainsi évident qu’un rôle crucial incombe aujourd’hui aux différents acteurs de la société civile: s’investir dans l’action politique est aujourd’hui une nécessité absolue si l’on ne veut pas abandonner le terrain aux seules forces qui tentent de plus en plus clairement de détourner la Révolution de la Liberté et de la Dignité vers des objectifs qui ne furent jamais les siens.

Préserver les spécificités d’une société ouverte

La rédaction de la Constitution ne doit pas être l’occasion rêvée par les Chourou, Ghannouchi, Khedder et consorts pour faire main basse sur la Révolution du 14 janvier. Il est hors de question de les laisser seuls tracer, en nos lieu et place, l’avenir de notre peuple. Il nous revient de crier haut et fort ce qui a toujours fait la spécificité de notre société ouverte, moderne, tolérante et démocratique.

En face de la minorité active des salafistes rétrogrades et d’un autre siècle, les voix du progrès, de la modernité et de l’égalité pour tous, ont plus que jamais le droit et le devoir de se faire entendre.

Il faudrait convaincre tous ceux qui sont épris de liberté et qui ont à cœur de défendre les valeurs universelles d’équité et de réelle démocratie que le comportement hégémonique des élus du parti religieux doit être vigoureusement combattu. Il faudrait surtout rappeler ici qu’une bataille n’est jamais vraiment perdue avant d’avoir été livrée ! L’espoir doit être de mise pour qui se lance dans un combat d’idées dont dépend l’avenir du pays.

Gare, cependant, aux manœuvres de diversion et aux polémiques oiseuses et autres pièges qui risquent de nous détourner de l’essentiel pour nous focaliser sur le sort de la Syrie, la Palestine, le Grand Maghreb… Ou encore sur les propos stériles, mais dangereux, d’un Chourou ou d’un Ben Salem par exemple ! Sur l’excision même !

L’appel outrancier et irresponsable à considérer comme de dangereux malfaiteurs les indignés et les laissés-pour-compte de la prospérité à qui sont promis les plus sévères châtiments corporels ne doit pas seulement être dénoncé et condamné, mais servir d’occasion pour inscrire les droits des plus démunis dans le texte fondamental en préparation et principalement le droit au travail, à l’enseignement gratuit et à la santé. Quant à rejeter, comme le fait le ministre de l’Enseignement supérieur, sur le doyen de la Faculté des Lettres de la Manouba la responsabilité de la crise qui a fait perdre de précieuses semaines de travail aux étudiants pour cause de niqab est d’une indécence révoltante.

Résister aux menées salafistes

Au lieu d’appuyer, comme c’est là son devoir, les efforts d’application du règlement intérieur de l’institution universitaire, M. Ben Salem se réfugie derrière le faux paravent d’un juridisme de mauvais aloi, invoque à mauvais escient le recours au tribunal administratif, s’évertue à saper les fondements des saines relations pédagogiques et apporte ainsi son soutien aux fauteurs de troubles.

Encouragés par ce dangereux précédent et ce coupable laisser-faire, les fascistes en herbe qui ont perturbé pendant des semaines la marche des cours sont en passe de porter la contagion aux lycées et collèges. En témoignent les agressions violentes dont ont été récemment victimes des enseignants du collège Fatouma Bourguiba à Monastir pour avoir refusé l’accès de l’établissement à des adolescentes en niqab.

Ce sont là des faits qui ne nous apportent que davantage de détermination à résister aux menées salafistes qui menacent notre mode de vie basé sur l’ouverture à la modernité, le respect tolérant de nos différences et notre aspiration à l’égalité. Mode de vie de l’écrasante majorité de nos concitoyens et dont les nobles valeurs doivent être pérennisées grâce à leur inscription dans la future Loi fondamentale. Avec l’accord ou le sage consentement des élus d’Ennahdha? Inch’Allah!