Abdallah Jamoussi écrit – La révolution est un processus afférent à un déficit structurel ayant généré un blocage à des niveaux superposés de la société en affectant, par voie de conséquences, la communication entre l’Etat et société.


A son stade crucial, l’obstruction devient insurmontable sans l’usage des moyens répressifs dont dispose l’institution politique en place.

Et comme l’institution politique est de par sa nature fixiste, du fait qu’elle prétend incarner des valeurs considérées stables – raison pour laquelle elle s’affiche comme étant le gardien de l’ordre et de l’identité –, il n’est pas exclu qu’elle adopte une attitude coercitive systématique face à ses détracteurs.

La culture de l’Etat

Un tel comportement d’apparence protecteur pourrait paraître, à certains égards, paradoxal, du moment où l’on sait que l’ordre sociétal se refuse à la stabilité de par son interaction avec les circonstances liées au déroulement du progrès et des besoins croissants dans le monde, mais ce sera occulter la réalité, qui consiste à considérer qu’il y a deux modes de culture: celui de l’institution politique d’une part et celui du peuple, de l’autre. Et cela fait des millénaires qu’on ne parle que d’une entité appelée culture de la nation, lors même que nous savons que l’appareil de l’Etat a sa propre culture; une culture qui n’a cessé d’évoluer, depuis le chamanisme jusqu’à nos jours et dont les mécanismes et les coutumes véhiculés à travers les générations sont tenus pour objets secrets.

Il est donc déplacé de conférer à l’Etat la recette culturelle du peuple, lequel n’ajuste des instruments culturels que pour préserver de la domination de ceux qui n’ont d’autres soucis que le dominer. Et c’est toujours au nom du faux protectionnisme que l’Etat se substitue au peuple dans la production culturelle; ce qui n’est point de son ressort, quoiqu’on me dise à propos des intellectuels qui ont régné. La preuve est que les révolutionnaires, une fois arrivés au pouvoir, font la mue. La culture, c’est du côté du peuple qu’il faut la regarder!

S’agissant de gouvernance, les gouvernants usent de tout moyen leur permettant de prétendre à la place du chef du panthéon dans la culture de leurs peuples; c’est pour ce faire que les dictateurs imposent la censure et dressent des barbières sur la voie de tout changement susceptible d’affecter la stabilité des normes; celles qui justifient leur statut de superviseurs, maintiennent leur règne et garantissent leurs intérêts. Le protectionnisme dépassant parfois les limites, le chef se transforme en référence ou plutôt en frontière-terminus.

Cette situation, aussi absurde que néfaste, ne tardera pas à se transformer en source de tensions diverses, jusqu’à frapper de sclérose l’institution politique qui se serait vue trop en retard, par rapport au peuple, d’où la nécessité de la remplacer ou de la changer!

Libérer l’élan sociétal

Mais étant donné le climat politique dans le monde et la crise économique conjuguée avec un statu quo culturel qui perdure depuis près d’un siècle, des mesures préventives pourraient s’avérer, par moments nécessaires, du point de vue de l’Autre voisin – partenaire ou hégémonie extérieure –. La transformation qui échoue de l’extérieur est appelée transformation exogène. Dans le cas où le besoin émane de l’intérieur, la transformation est dite endogène.

Mais, généralement, le démantèlement d'un régime est dicté par une nécessité endogène, laquelle nécessité est inhérente à la fin de l’utilité des normes adoptées dans le fonctionnement d’une société: telles que les valeurs motrices, les moyens de production et le système de pilotage... Sachant que la mainmise sur la culture serait la cause de la stérilité et du blocage de l’élan sociétal qui nourrit de sa créativité tous les secteurs de l’activité économique, sociale et culturelle.

On pourrait, toutefois, imputer certains cataclysmes politiques à un décalage, ayant causé l’incapacité de l’institution à assimiler la réalité et à communiquer avec l’environnement universel. L’intervention de la classe au pouvoir aux dépens des classes démunies pourrait effectuer un décalage qui affecte le tissu de relations citoyennes: respect mutuel, solidarité et appartenance.

A chaque fois qu’un cataclysme catégorique se produit – du genre révolution, déportation forcée ou colonisation du territoire –, il s’en suit un enchevêtrement sociétal à l’image d’une panique générale. C’est une attitude normale, étant donné qu'à l’effondrement de l’institution, les repères se brouillent ou s’effondrent; ce qui génère un désarroi identitaire. Les stratèges le savent et en tiennent compte pour redéfinir la carte politique et gérer la situation dans le sens qui favorise certains bénéficiaires, sans songer à ce qui pourra en découler – souvent trop dramatique.

A cet effet, les encadreurs se servent d’instruments culturels tels que la psychologie comportementale, le pouvoir de la croyance, l’attribution des mérites, la médiatisation de personnalités-modèles, et même de situations générant la paralysie de l’activité mentale par le biais de la peur... Mais nous connaissons peu sur ces méthodes qui font partie du patrimoine culturel de l’Institution/Etat.

Un processus fatidique

De retour à la révolution que nous avons qualifiée comme étant un processus fatidique, et surtout, lorsqu’elle s’avère le résultat de facteurs endogènes endommagés; elle s’apparente à un flux; une force avec ce que la force implique comme notion de loi. Ce phénomène est comparable à un fleuve qui ne saura que suivre son cours!

C’est pour cette raison, que lorsque les déchus en perte de vitesse tentent de bloquer le cours, il s’ensuit un débordement. En cas d’engorgement, on pourrait s’attendre à un désastre. Tout travers posé sur le lit du fleuve est susceptible de dérouter le flux, mais tôt ou tard, l’eau reviendra par des affluents et se déversera dans le lit du fleuve qui poursuit sa course en aval. Ce constat, qui revêt l’aspect d’une évidence, pourrait être confirmé, en regard de certaines conséquences désastreuses qu’ont subies certaines révolutions ayant connu des déboires. De telles incidences apparaissent, dans le cas où l’on injecte à la révolution des concepts intrus d’apparence révolutionnaire, alors qu’il aurait été question de ne pas intervenir sur le processus ou entacher son caractère. Que dire, alors, de la pratique sophistiquée appliquée dans le but de tracter la conscience en arrière en usant de factice, autrement dit, des leurres? Des méthodes de diversion, il y en a à la pelle, mais presque toutes s’accordent à utiliser des éléments conjecturels, afin de substituer aux besoins réels, une utopie extratemporelle. Hegel annonça l’Homme la conscience parfaite et fut stigmatisé par les adeptes de Marx, lequel à son tour promit le paradis terrestre, sans parler de Nietzsche, qui avait attendu le Surhomme...

Ce qui est commun aux littératures «révolutionnaires» est le projet d’un monde meilleur; un rêve pour lequel, on se bat et on accepte de mourir. Cependant, ce qu’on remarque sur le terrain contraste avec l’apriori qu’on se fait de la révolution. Pas facile d’intervenir sur l’ordre sociétal, sans encourir de très hauts risques.

L’exemple de la révolution française est éloquent, car il dépeint une période caractérisée par des troubles: une vraie oscillation entre la proclamation de la république et le retour de la monarchie jusqu’à l’année 1871 date de l’intervention meurtrière de l’armée, juste après la fin du dernier règne monarchique. A cette instabilité s’ajoutait la guerre entre la France et l’Allemagne. Il faut dire que l’accès de la bourgeoisie ne fut pas possible sans qu’on ait prodigué des promesses aux petites classes bénéficiaires légitimes de la révolution.
Les exploits et les échecs de Napoléon Bonaparte ne fussent qu’une tentative de sa part dans le but de concrétiser un tant soit peu de l’opulence promise au rêve révolutionnaire. N’oublions pas aussi le front qui flamboyait pendant des décennies entre la Prusse sur le fond de toile d’une révolution ayant pris une dimension excentrique.

L’Allemagne dut connaitre à son tour, des moments terribles, à la suite de la fin de l’Empire de Guillaume II et la proclamation au Reichstag de la république présidée alors par un socialiste. L’armée fut divisée, les nationaux-socialistes s’affrontaient aux groupes communistes, dans des combats de rue quasi-incessants. La constitution parlementaire de Weimar devrait être suspendue pendant des années, jusqu’à ce qu’Hitler ait accédé au pouvoir pour décider lui-même ce qu’il fallait faire pour assouvir le rêve de ses alliés. Et ce fut «le monde en feu». La folie de l’Utopie serait plus sévère que la folie de la grandeur!

Les exemples sont nombreux au sujet des révolutions qui ont effectué des fuites en avant en s’empêtrant dans des guerres intestines ou coloniales. L’histoire nous renseigne sur les faits, mais garde le secret sur les causes réelles de ces guerres qui ont été nourries par la rancœur, l’annihilation et l’exclusion de l’autre différent. L’envers des révolutions cachait toujours des promesses populistes dictées par les surenchères politiques, et qu’il avait fallu honorer, au prix de vies humaines.