Hédi Chenchabi* écrit – Le printemps arabe, né le 17 décembre 2010 à Sidi Bouzid, a propulsé au pouvoir en Tunisie, en Egypte, en Libye et au Maroc, des islamistes qui ont pris tous le ton de la «modération». Décryptage…


Le décryptage du discours islamiste, sous toutes ses formes, montre, par exemple, qu’à travers les déclarations de leurs chefs charismatiques sur des sujets de société, les islamistes ont un autre visage. Dans tous les pays du printemps arabe, on constate une défense ambiguë des salafistes qui sont aussi les «fils de ce peuple» qui peuvent dans une démocratie «s’exprimer» et que nous ne devons pas «exclure» mais les laisser défendre leurs valeurs...

Les islamistes s’appuient partout sur le même socle idéologique

La démocratie devient le maître mot dans les débats, souvent polémiques et caractérisés par la contestation et la remise en cause des valeurs communes. Tout ceci s’inscrit dans le cadre d’un projet sociétal et idéologique qui va, par petites touches, tenter de modifier les bases des sociétés qui aspirent à la modernité, dans le respect de leur identité arabo-musulmane mais aussi de la diversité, dans une région où les migrations, vecteur de développement, jouent un rôle à la fois économique mais aussi d’ouverture aux autres cultures. Pour qui s’y connaît en décryptage politique et pour qui sait lire entre les lignes, pas de leurre : les intégristes islamistes tentent de saper les fondements d’une société attachée à son histoire, à ses valeurs et à la modernité qu’ils n’ont jamais acceptés, depuis Bourguiba ou Nasser.

Dans tous les pays du printemps arabe, les islamistes ont les mêmes arguments, ils sont nourris par la même source : le «Wahhabisme», leurs arguments sont identiques, ils se déploient à travers les thèmes récurrents de l’arabité, de l’identité et de l’authenticité, puisés dans la culture politique nationaliste et «Baassiste».

Partout où les islamistes ont accédé au pouvoir, de l’Iran à Gaza en passant par le Sud Liban, le progrès social et économique n’est pas au rendez-vous : corporatisme, népotisme, inégalité et libéralisme sauvage sont de mise. La charité quant à elle, a remplace l’Etat Providence.

L’Etat moderne et démocratique ne doit pas les laisser reproduire ce schéma utilisé en Egypte, pour toucher les catégories les plus paupérisées. Il doit être le seul à mettre en place et à garantir la mise en œuvre de politiques de solidarité, de lutte contre les exclusions, avec l’appui d’associations humanitaires de la société civile, qui ne doivent être le relais ni d’un parti ni celui d’une obédience religieuse. L’Etat social, pour lequel sont tombés les nationalistes lors de la période coloniale, les jeunes martyrs d’aujourd’hui, doit veiller à cette neutralité pour empêcher toute instrumentalisation des associations et encourager l’action citoyenne indépendante. Les Ong sont aujourd’hui les cibles principales de l’aide intéressée des monarchies du Golfe.

L’option ultralibérale des islamistes arabes

Dans le domaine de l’économie et des finances, ce n’est certainement pas le recours aux principes religieux qui aidera à la résolution des problèmes de pauvreté, des déséquilibres entre les régions(6).

En effet, seule la mobilisation de toutes les ressources est la solution, au service du développement durable, tant souhaitée par les couches précarisées de la population, car il est un vecteur de progrès.

La morale même islamique, ne suffira pas pour s’attaquer aux sources des inégalités, aux injustices sociales, politiques et culturelles que connaissent les sociétés arabes, en ébullition depuis longtemps et plus particulièrement au cours de cette année 2011.

Ce que veut une grande majorité des peuples arabes, c’est que l’islam reste dans les mosquées et que celles-ci ne se transforment pas en espaces d’endoctrinement sous la coupe des salafistes. Ces agissements intégristes qui se multiplient sont contraires à la religion, c’est la porte ouverte à la division des peuples d’une même nation.

Partout, les islamistes arabes ont les mêmes réponses pour l’économie et les finances : une ouverture promise et certaine au capital international, le même slogan : enrichissez vous à l’ombre de l’islam politique libéral ! La recherche forcenée d’alliances avec les puissances occidentales et leur défense de la mondialisation libérale qui n’a aucune pitié pour les peuples exploités à travers la planète, nous donne une idée sur les orientations stratégiques et politiques, loin des attentes des peuples.

Partout dans le monde arabe et musulman, les islamistes ont compris que l’accès au pouvoir passe par la démocratie. Le recours à la force et au terrorisme est laissé à Al-Qaida et aux factions salafistes qui veulent imposer leur foi par la force.

S’agit-il d’un partage des rôles entre tendances qui se retrouvent sur l’essentiel ? Est-ce que l’acceptation du jeu démocratique est un réel tournant dans la vision islamiste de la société ? Est-ce que l’arrivée des islamistes est une impasse ou une étape nécessaire pour installer des régimes démocratiques dans les pays arabes ? Les islamistes arabes sont-ils dans un schéma de rupture ou de continuité avec les mêmes systèmes économiques ultralibéraux qui ont conduit à l’impasse et aux désespoirs de la jeunesse ? Quelle est leur posture, dans les faits, quant au maintien de la domination de la région arabe par l’impérialisme américain et l’Europe avec leur volonté de poursuivre l’exploitation des ressources et des cerveaux arabes tout en consacrant cette idée que les Arabes et les musulmans sont fondamentalement contre l’avènement de systèmes démocratiques ?

Face à la déferlante islamiste, les démocrates arabes divisés font jeu égal et même plus, parfois, si l’on tient compte du poids électoral en termes de voix. Il est temps de tenir compte des réalités, du conservatisme d’une partie de la population, de la distance réelle entre peuple et élite, pour défendre un choix différent, celui d’un Etat séculier, combattre le populisme et donner à notre jeunesse des réponses concrètes en la replaçant au centre des options nouvelles et des alternatives aux dérives islamistes ou aux migrations suicidaires.

Fin

* Militant associatif, co-fondateur du Collectif citoyen pour des élections libres en Tunisie et de l’association Collectif Culture-Création-Citoyenneté, co-auteur de ‘‘Un siècle d’immigration en Ile de France’’, 1993 et de ‘‘Cités & Diversités : l’Immigration en Europe’’, 1996.

Notes :
6 - Lire l’entretien « Il n’est pas sûr que les Salafistes soient capables de gérer un Etat » avec Bernard Haykel dans le Monde, Cahier Géo & Politique, numéro spécial "Tour du monde des élections en 2012", daté du samedi 24, dimanche 25 et lundi 26 décembre 2011. Pour plus de precisions, consulter son ouvrage, Revival and Reform in Islam: Cambridge University Press, 2003.

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