Ordures Djerba Banniere

La crise des déchets en mal de gestion à défaut de décharge contrôlée n'a fait que des malheureux et des désespérés. Dont quatre jeunes de Sedghiane. Récit...

Par Naceur Bouabid*

Depuis son émergence sur la scène en avril 2012, date de la fermeture de la décharge contrôlée de Guellala, Djerba est noyée dans ses ordures; ses habitants, accablés de tous les maux, ne vivent qu'au rythme de la crise, avec la vue forcée des tonnes d'ordures amoncelées pêle-mêle à proximité des demeures, des établissements scolaires, enfin partout où le regard peut mener, et l'inhalation inévitable des odeurs nauséabondes ou des fumées asphyxiantes et nocives.

Une crise dont on ne compte plus les victimes

Cette grave crise, une première de son genre à Djerba, est lourde de conséquences et a coûté cher à l'environnement: quelques 150.000 tonnes d'ordures ont été déversées dans la nature, dans des dépotoirs de fortune, pendant bientôt trois longues années; la campagne djerbienne, jadis saine et rieuse, est aujourd'hui éventrée et enlaidie; la nappe phréatique dans certains endroits est contaminée; ses victimes, par centaines, par milliers, par dizaines de milliers, sont de tous âges, sans nulle distinction.

Les dernières victimes en date sont quatre jeunes qui ont payé de leur liberté pour avoir tenté de raisonner et d'assagir celui qui était à l'origine des maux et des malheurs de toute une communauté de paisibles villageois.
En effet, aujourd'hui, au moment où la population commence à entrevoir le bout du tunnel, suite à l'entrée en service de la solution provisoire du bassin étanche dans l'attente dans les semaines qui viennent de l'arrivée de la machine à compacter et à enrubanner à mettre en place quelque part dans l'île, eux, Mustapha Ben Younès (35 ans), Walid Fidha (32 ans père de 4 enfants), Abdelhamid Ben Maïz (25 ans), Akram Ben Othman (22 ans), quatre jeunes originaires du paisible village de Sedghiane, sont aux arrêts derrière les verrous à Harboub, la prison civile du gouvernorat de Médenine, accusés dans la mêlée d'avoir été parmi ceux qui ont agressé le dénommé Sami Ben Slama, alias Sagon.

Sagon, le roi des ordures

Rappel des faits : le 30 septembre dernier, le tout Djerba observait une grève générale décrétée par la cellule de crise en réaction à la prévalence de la crise des déchets qui était à son comble; l'irritation des citoyens était à son paroxysme, tous mus par le même souci de dire leur colère, leur exaspération et leur indignation vis-à-vis du piteux état des lieux.

Ce jour-là, comble de l'ignominie, ce bonhomme de Sagon avait d'autres chats à fouetter et il n'avait que faire de la grève générale et de la colère populaire, lui qui n'a toujours vécu que pour nuire, que pour puiser dans l'interdit. Il faisait fi des implorations des habitants du village qui n'en pouvaient plus, las de voir le mal ronger leurs terres et se taire, alors il n'hésitait pas à ameuter ses mercenaires agissant à sa solde pour terroriser sans discernement hommes, femmes, enfants, chaque fois qu'ils tentaient de se manifester. Il n'avait d'égard pour personne, et tout lui est ennemi. Il est de ceux qui ont vu leur commerce fleurir au détriment du malheur des autres; il est de cette mafia en verve enfantée par la crise, et qui s'est vite constituée pour offrir ses services, à certains hôteliers en particulier, en les débarrassant de leurs ordures pour les déverser ailleurs, loin de leurs yeux. Cet ailleurs, c'est les terrains d'autrui qu'on éventre effrontément à coup de bulldozer, sans foi ni loi.

L'affaire est juteuse, doublement bénéfique: le sable extrait est vite vendu au prix cher, car rare à Djerba en raison de l'interdiction d'extraction en vigueur, la fosse béante ouverte sur le flanc de la terre est vite exploitée pour stocker les ordures acheminées par les engins propriété de cet énergumène, moyennant des sommes conséquentes, et pour finir en beauté, on y met le feu, question de gagner en espace dans la perspective d'en stocker davantage.

Ce jour de grève générale, le tout Djerba était quasi à l'arrêt, hormis Sagon et sa horde, affairés à s'acquitter de leur sale besogne; une telle effronterie n'était que pour exaspérer davantage les jeunes du village de Sedghiane, déjà à bout de patience, intimidés par l'arrogance à répétition de cet hors-la-loi et ils se sont résolus à mettre fin à ses exactions. Ils se sont rendus sur les lieux de l'outrage et ont saisi les fauteurs en flagrant délit de nuisance. Une altercation s'en est suivie et s'est soldée dans la foulée par des dommages matériels causés aux engins mobilisés pour la besogne.

Quelques heures plus tard, la police intervenait pour arrêter ces quatre jeunes, soupçonnés, à tort ou à raison, d'être impliqués. Pourtant, auparavant, pour arrêter l'outrage à l'environnement, à la santé et aux biens d'autrui, pour sévir contre les contrevenants, on n'a pas jugé bon d'intervenir avec la même célérité, ce qui aurait pu donner aux habitants du village à se rasséréner et à dormir tranquilles, eux qui, pendant de longues années, ont usé de tous les moyens légaux pour dénoncer la nuisance et solliciter la réaction salutaire des autorités, tant locales que régionales, correspondances en bonne et due forme faisant foi.

La société civile se mobilise

Pour l'heure, l'instruction suit encore son cours, mais, entre-temps, ce récidiviste effronté de Sagon est dans l'air libre, sévissant impunément et à souhait, alors que ces quatre jeunes sans antécédents judiciaires croupissent en taule, pour payer au nom des autres leur sursaut d'orgueil, leur sens du devoir à accomplir vis-à-vis de l'environnement et du salut des êtres qui y vivent. Qu'ils aient perpétré ou non le forfait, il est à admettre que ces jeunes ne sont que des victimes de l'état d'impunité prévalant depuis quelque temps et de la gestion défaillante et inefficace de la crise des déchets par les pouvoirs publics.

Toutes les composantes de la société civile et les forces vives dans l'île sont sur le qui vive pour apporter leur soutien total aux jeunes incarcérés; un collectif d'avocat a pris en main leur défense, et il est à espérer que le juge devant statuer sur l'affaire se prononcera en leur faveur au vu des circonstances particulièrement atténuantes.

* Président de l'Association pour la sauvegarde de l'île de Djerba.

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