Elections-legislatives-2014-Banniere

Les premières leçons des législatives tunisiennes du 26 octobre 2014, qui se sont déroulées dans un climat d'union et d'entente nationales.

Par Mohamed Salah Kasmi*

 La menace terroriste n'a pas dissuadé les électeurs

Mohamed-Salah-KasmiDimanche 26 octobre 2014, les bureaux de vote ont ouvert leurs portes sous la protection de 80.000 policiers et militaires. Les opérations de vote se sont déroulées normalement. L'assaut lancé, il y a deux jours, par les forces sécuritaires contre une maison à la cité El-Ward, à Oued Ellil, dans la banlieue ouest de Tunis, a fait 6 morts parmi un groupe armé, dont 5 femmes. La garde nationale avait déploré, la veille, la perte d'un gendarme dans l'échange de tirs.

Le jeudi 23 octobre, les forces sécuritaires ont désamorcé un attentat terroriste contre des bus de touristes planifié à Kebili et Tozeur, information annoncée puis démentie par les autorités.

Ces incidents n'ont pas empêché les Tunisiens d'aller voter massivement. Au contraire, ils leur ont donné l'occasion d'exprimer, par leur vote, leur souhait de continuer la lutte contre les terroristes.

Des défaillances dans certains bureaux de vote à l'étranger

Certains électeurs n'ont pas pu voter en raison de leur non inscription sur les listes électorales. Ainsi, des diplomates en Belgique et au Koweït n'ont pas trouvé leur nom sur le registre des inscriptions. Deux cas de figure se présentent: ceux qui ne sont pas vraiment inscrits et qui ont pensé pouvoir voter comme en 2011 sans être inscrit sur les listes électorales. Cette mesure dérogatoire n'a pas été prorogée. Elle était remplacée par une nouvelle mesure électorale consistant à l'inscription volontaire dans le bureau de vote de domicile.

L'Instance supérieure indépendante pour les élections (Isie) a invité les non inscrits à ne pas se rendre aux bureaux de vote. Ce travail de sensibilisation aurait dû être mené davantage pendant la période d'inscription.

Le deuxième cas de figure concerne ceux qui étaient inscrits en 2011 et avaient même voté et ne trouvent pas leur nom parmi les inscrits. D'autres électeurs n'ont pas pu voter parce qu'ils sont mal inscrits. Il s'agit pour la plupart de changements de certains bureaux de vote par l'Isie sans avertir les électeurs déjà inscrits.

On a observé, samedi 25 octobre 2014, au Japon, des électeurs découvrant leur bureau de vote à une distance de 300 km de leur lieu de résidence. Tout cela est de nature à semer le doute sur la neutralité de certains responsables des bureaux de vote.

Un taux de participation honorable mais insuffisant

La participation au scrutin permet de donner un aperçu de l'implication des Tunisiens dans l'exercice de la démocratie. Les élections législatives doivent être normalement mobilisatrices car elles expriment le choix des électeurs à l'échelle de leurs territoires. En 2011, la participation aux élections de la constituante a été de 54,1% ce qui correspond à un niveau d'abstention important pour un pays qui venait de couvrir sa liberté.
A la fermeture des bureaux, le taux de participation a atteint 60% dans 65% des bureaux, selon les chiffres officielles de l'Isie.

Ce taux prouve que la population tunisienne ne se désintéresse pas des grands enjeux de la vie publique. C'est un bon indice de la bonne santé du système politique et de la confiance que les Tunisiens accordent à la transition démocratique. Car un faible taux de participation pourrait poser le problème de la légitimité des institutions et des élus. Dans ce cas, on observe une fragilité des vainqueurs aux élections. Si on ajoute les non-inscrits sur les listes électorales, une autre forme de non implication, le résultat prend parfois une défiance à l'égard des gouvernants. On a vu ce scénario se produire lorsque les Tunisiens ont chassé du pouvoir la troïka début 2013.

Je rappelle que si on ramène les voix remportées par Ennahda à la population totale en âge de voter, on obtient en 2011 un taux de 17,7%. Il s'avère donc que la victoire d'Ennahdha était très relative parce que sur 100 Tunisiens seulement 17,7 ont voté pour ce parti.

Les causes de l'absence d'une forte participation

Les causes sont multiples. Je citerai en premier lieu le manque de culture politique. Quand on discute avec des personnes qui n'ont pas voté, elles expliquent leur désaffection par leur manque d'intérêt. Elles ne voient pas l'intérêt de l'élection sur leur quotidien.

En second lieu, je pointerai la déficience de la sensibilisation des électeurs pour aller aux urnes. Cette charge a été laissée en grande partie à la société civile qui manque énormément de ressources ainsi qu'aux partis politiques dont certains, comme Hizb Ettahrir, appellent à ne pas voter.

En dernier lieu, j'insiste sur la formation citoyenne. Il y a un déficit à combler notamment auprès des jeunes en axant les cours d'éducation civique sur le civisme, le vote et les institutions pour les aider à comprendre les enjeux de la vie publique.

Le futur parlement tunisien

Le paysage politique risque de demeurer confus. 195 partis politiques dont 5 seulement sont présents dans les 33 circonscriptions territoriales dont 6 à l'étranger. La multiplication des listes électorales (1.326) dont 365 listes indépendantes et la nature du scrutin à la proportionnelle en un seul tour, au plus fort reste, auront deux conséquences graves.

La première se situe au niveau du morcellement des voix En 2011, 34% des voix ont été perdus parce que les électeurs ont voté pour des listes qui ne n'étaient pas représentées au sein de la constituante. Ce taux a atteint une moyenne de 47% à l'étranger dont le pic a été enregistré en France 1 (57%).

A priori, Ennahdha et Nida Tounès vont arriver en tête du classement, loin devant les autres formations politiques. Ennahdha fera le plein auprès de son électorat resté fidèle. Nida Tounès bénéficiera du reflexe vote utile et de la machine électorale de l'ex-RCD. La seconde conséquence est la fragmentation attendue de l'Assemblée des représentants du peuple ce qui va pousser certains partis à faire des coalitions contre-nature; opposant des projets de société diamétralement contraires.

La fragmentation des voix ne risque pas de générer un chaos parlementaire

La Tunisie demeure le seul espoir de la transition démocratique qui fonctionne encore dans les pays du Printemps arabe dont la plupart ont été enseveli sous l'anarchie. En cas de dysfonctionnements, la constitution est là pour parer aux difficultés en termes de solutions constitutionnelles pour retrouver une majorité.

* Diplômé en gestion de ressources humaines et organisationnelles, de l'Institut d'études judiciaires en criminologie et licencié en histoire de la Faculté de lettres et des sciences humaines de Nancy. Ecrivain, auteur de ''L'Islam local face à l'Islam importé'' (L'harmattan, Paris 2014).

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