«Les conditions sont exceptionnelles et historiques. Pas de temps à perdre. Nous allons continuer le travail, peu importe le risque (les embûches et les menaces). Le peuple a le droit de tout savoir», a dit aujourd’hui à la presse, Abdelfattah Amor.


Pourquoi le président de la Commission nationale d’établissement des faits sur les affaires de malversation et de corruption a-t-il lancé ces propos? C’est sans aucun doute pour expliquer aux médias les contraintes qu’il subit, lui et son équipe, en travaillant sur des dossiers des plus pourris. Et c’est aussi (et surtout) pour lever le voile sur la décision de suspension de l’activité de la commission prise samedi dernier par le tribunal de première instance.
«Il s’agit de défis énormes et nous essayons d’être à la hauteur de cette responsabilité. Nous travaillons dans des conditions délicates et sous pression. Mais nous devons le faire et rendre compte aux générations futures de ces dossiers. Nous laissons la justice, que nous respectons, faire son travail. Notre commission est légale avec le décret de sa création qui remonte au 18 février dernier», a expliqué M. Amor. Et de se demander, avec une pointe d’ironie, si le président Ben Ali avait mandaté quelqu’un pour porter cette plainte! De dire aussi entre les lignes qu’il y a encore des zones d’ombre autour des dossiers de la famille Ben Ali, qu’ils ont besoin d’écouter tous les concernés et que leur mission n’est pas une sinécure.

Qui fait pression sur la commission?
«Nous sommes deux comités qui s’occupent des dossiers, rassemblent des détails, écoutent des témoins – une liste infinie de responsables, sous-responsables du gouvernement déchu –, ou de la famille et des amis des Ben Ali. Pour le moment, nous sommes en étroite coopération (et coordination) avec le premier ministère, ceux de l’Intérieur, de la Justice, des Finances, mais aussi avec la douane. Comme vous le saviez déjà, les dossiers ont besoin d’une enquête minutieuse. Plusieurs dossiers qui concernent la famille du président déchu, son administration et autres dépassements au niveau des biens publics et des conseils municipaux manquent des documents précis. Pour ce faire, notre commission va s’élargir avec de nouveaux représentants. Je viens de contacter des membres de la société civile, de l’Ugtt, de l’Utica, du bureau des avocats… et je vais contacter aussi des associations», a expliqué M. Amor, avant de passer en revue les travaux de la commission.
Celle-ci a travaillé, du 30 janvier au 7 mars, sur 5.196 dossiers, 42 (1% des dossiers) en lien avec la politique, 766 (15%) portent sur les derniers évènements et 4.239 (84%) concernent les affaires de malversation et de corruption. «Après avoir étudié 519 autres dossiers, il s’est avéré qu’ils ne relèvent pas de nos compétences et nous avons fini par saisir d’autres comités spécialisés», a relevé M. Amor.

Le butin du palais de Sidi Dhrif
Le président de la Commission n’a pas omis de s’arrêter longuement sur des reproches qui lui ont été faits à travers les médias. De quel droit, les membres de la Commission ont-ils pénétré au palais de Sidi Dhrif appartenant à l’ex-président? «Après examen de plusieurs dossiers, nous avons découvert des pièces manquantes. Et comme vous le saviez déjà, l’ex-président ne travaillait au palais de Carthage que quatre ou cinq heures par jour, tout au plus. On nous a dit qu’il existe trois bibliothèques au palais de Sidi Bou Saïd (construit par l’argent du peuple, érigé par l’armée et doit revenir aux Tunisiens). Nous avons contacté le président par intérim afin d’avoir l’autorisation. Il nous a dit ‘‘allez-y, faites votre boulot’’. Nous étions accompagnés par des huissiers de justice, par l’armée, par les agents de sécurité, par deux représentants de la Banque centrale de Tunisie (Bct) et tout a été enregistré en vidéo. En ouvrant les armoires scellées, notre surprise fut grande. L’argent et les bijoux ont été déposés dans les caisses du Trésor public. Nous avons trouvé aussi des cartes de crédits dans des banques étrangères dont deux comptes. L’un en dollars dans une banque à Washington et l’autre en euros dans une banque parisienne. Ces deux comptes sont alimentés par les fonds destinés aux campagnes électorales. Un autre compte à numéro avec 27 millions de dollars américains (près de 40 milliards de nos millimes). Ce document date du 22 mars 2010. Ce qui est certain c’est qu’il existe d’autres dépôts dans d’autres pays au nom de Leïla, son fils Mohamed et ses filles. Au total 41 millions de dinars ont été découverts. Le 22 février 2011, nous avons mis la main sur 30 millions de dinars, 20.000 euros et 95.400 dollars. Le 23 février 2011, on a découvert encore, dans ce même palais, 3,961 millions de dinars, ainsi que cinq euros, et le 24 février, encore 7. 980 dinars. Cet argent a été déposé dans la trésorerie générale».
Par ailleurs, M. Amor a insisté sur les multiples problèmes que rencontre sa commission. «On cherche à perturber son travail ou même de la faire disparaître. Il y a des responsables qui veulent échapper à la justice. Mais nous allons continuer nos investigations, sans épargner personne, et nous faisons tout cela pour le pays. C’est pour l’intérêt général qui est au dessus de tous les intérêts particuliers. Après, nous passerons la parole à la justice avec des dossiers fondés et c’est à elle de dire son dernier  mot».

Zohra Abid