Plusieurs événements vécus ces cinq derniers mois laissent poser des questions sur les valeurs républicaines de la Tunisie nouvelle.

Par Hatem Mliki*


Loin des polémiques académiques des chercheurs travaillant autour de la signification de la république, notons le consensus de tous  autour de l’idée que dans une république «l’autorité de l’Etat, qui doit servir le ‘‘bien commun’’, s’exerce par la loi sur des individus libres et égaux».

Ce constat simple ouvre droit à des questions de plus en plus pressantes: sommes-nous dans un régime républicain? Étions-nous dans une république? Nous dirigeons-nous vers une république?...

Bourguiba et la dissolution des règles républicaines

Sous Bourguiba, la Tunisie a mis en place des institutions dont le fonctionnement était clairement défini par des lois. Au début l’Etat exerçait son autorité sur la base de ces lois sauf qu’il avait une perception erronée du bien commun.

Habib Bourguiba et Wassila Ben Ammar.

Le traitement égal des citoyens a cessé de fonctionner et commence déjà la logique de ceux qui sont avec et ceux qui sont contre le régime. L’obstination de Bourguiba, le choix du parti unique et de la présidence à vie ont ouvert la porte à de multiples dérives du Psd. La liberté garantie par la république a ainsi pris un sale coup. L’honnêteté de Bourguiba, ses mains propres et son charisme n’ont pas pu empêcher la dissolution des règles républicaines qui ont cédé la place au favoritisme et à la répression.

Bilan de l’époque bourguibienne: l’autorité de l’Etat sert le bien commun tel que défini par le «Chef Suprême» et l’exerce à travers des lois républicaines sur des individus libres et égaux à l’intérieur du système et opprimés et inégaux dès qu’ils s’opposent au régime en place.

Sous Ben Ali l’autorité de l’Etat sert le bien du clan au pouvoir

Sous Ben Ali, la Tunisie a connu deux phases. La première avait la prétention de remédier aux dérives du Bourguibisme. Cela n’a duré que quelques mois pour que les Tunisiens se rendent compte que sous la nouvelle ère la liberté et l’égalité des citoyens sont de plus en plus menacées. Une dictature policière vient de s’installer avec un recul flagrant des libertés fondamentales. Mais contrairement aux dernières années de Bourguiba, les nouveaux gouvernements, désormais technocrates et moins politisés, ont pu améliorer le service rendu au bien commun en contrepartie d’une montée de la répression qui a fini par toucher tous le monde. En somme on était sous une «autorité de l’Etat qui sert le bien commun et s’exerce par des lois sur des individus égaux dans la répression».

La deuxième phase de l’ère Ben Ali a connu un tournant grave: il n’y a plus de bien commun. Entouré par une mafia de Trabelsi mal éduquée et déchainée, grâce à l’oppression de tous, le système de Zaba a plongé le pays dans un gouffre: l’autorité de l’Etat sert le bien des Trabelsi et Ben Ali et s’exerce par des lois sur des individus égaux dans la répression.

Zine El Abidine Ben Ali et Leila Trabelsi.

Ennahdha et le retour du favoritisme et des menaces sur les libertés

Enfin il y a eu la révolution tunisienne du 14 janvier 2012 qui a annoncé la fin de la dictature, la genèse de la démocratie et le retour aux valeurs républicaines. Libertés d’expression, droit de grève, indépendance des institutions et même des élections transparentes ont pu être organisées (on se rappelle tous des visages rayonnants des Tunisiens, le 23 octobre 2011, au moment du vote pour l’Assemblée nationale constituante, Anc).

Cinq mois après ce vote historique, les Tunisiens sont beaucoup moins optimistes qu’ils étaient le 14 janvier et le 23 octobre 2011. La cause de ce début de déception, voire inquiétude, n’est pas difficile à deviner.

Le favoritisme revient à la surface: des nominations partisanes à grande échelle viennent d’être décidées. Des signes de traitement de faveur partisane de la population en termes de libertés d’expression, d’emploi et de faveurs (indemnités) commencent également à apparaitre.

Menaces sur les libertés: manifestations réprimées, locaux de l’Ugtt saccagés, salafistes déchainés menaçant des civils et des étrangers, menaces de mort contre des responsables politiques et des intellectuels, oppression des médias et tant d’autres événements inquiétants.

Plus grave encore cette nouvelle étape semble toucher aux deux seuls «survivants» de la première république tunisienne: l’Etat et la loi.

Quelques exemples suffisent pour illustrer la menace sur l’Etat. En plus de la profanation du drapeau national et les demandes de changement de l’hymne national, il y a lieu d’évoquer le porte-parole de la présidence de la république participant à un débat politique télévisé, le conseiller politique du chef de gouvernement faisant ouvertement la guerre aux ennemis de son parti et, plus grave encore, le chef d’Ennahdha recevant ses invités personnels dans le salon d’honneur de l’aéroport de Carthage.

Rached Ghannouchi et sa fille Soumaya épouse Bouchlaka.

Encore plus grave, la présente étape est marquée par une caractéristique exceptionnelle: alors que les anciens textes de lois sont suspendus, le pays ne dispose pas de nouvelles règles juridiques (la constitution est toujours en cours d’élaboration). Voilà un cas unique au monde avec un gouvernement sans loi défini et qui traite les affaires du pays au cas par cas selon sa volonté.

En somme et en matière de république, la situation actuelle se présente comme suit. L’autorité (sans état) sert le bien de clans et s’exerce sans lois sur des individus livrés à eux!

* - Consultant en développement.

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