Ce qu’Ennahdha ne réalise pas, c’est que son silence complice vis-à-vis des extrémistes fera que l’intolérance et la haine de ces derniers risquent de devenir incontrôlables.

Par Rafik Mzali


‘‘Persépolis’’ est l’un des meilleurs films que j’ai eu l’occasion de voir. Je vous le conseille, il est disponible sur Youtube. Il retrace de façon pédagogique la dérive totalitaire toujours possible d’une révolution initialement idéalisée, comme ce fut le cas en Iran.

Certes, on aurait pu, par respect aux limites communément admises, «couper» les quelques secondes où Dieu est figuré, mais de là à ignorer le message fondamental du scénario et réclamer «l’échafaud» au directeur de Nessma, parce qu’une fillette, entre rêve et réalité, a dialogué avec Dieu, cela n’est que pur délire.

Ridicule de l’accusation et lourdeur de la sentence

Qui, enfant, ne s’est pas interrogé sur le visage, la forme et la puissance de Dieu? Tous les parents du monde ont été confrontés aux interrogations innocentes de leurs enfants, et chaque père et chaque mère, avec la recette du moment, ont tenté avec plus ou moins de patience ou de nervosité voire de colère, d’abord de convaincre puis souvent de faire admettre, par la peur de l’enfer, la chose métaphysique, pourtant bien floue.

L’écart vertigineux entre le ridicule de l’accusation et la lourdeur de la sentence requise (peine capitale), ne peut se comprendre que si on prend en considération la volonté d’islamisation forcée de la société tunisienne. Or ‘‘Persépolis’’, au delà de la figuration de Dieu, contient un message plus inquiétant aux yeux des islamistes et qui pourrait expliquer leur acharnement: si la révolution iranienne a mal tourné, pourquoi ce ne serait pas le cas en Tunisie avec Ennahdha, pourrait-on se demander? Le fait que le Tunisien risque de se poser cette question est peut-être ce qu’Ennahdha veut éviter à tout prix!

De plus, dans sa stratégie globale, Ennahdha veut contrôler les médias, et ‘‘Persépolis’’ était un bon alibi pour mettre à terre Nessma, car son cas est celui qui urge le plus, puisqu’on voit passer sur ses plateaux les esprits les plus indépendants et les moins soucieux de souscrire aux thèses religieuses.

Ainsi, plutôt que de convaincre, il est malheureux de constater chaque jour, et avec plus d’acuité, qu’Ennahdha a profité d’un processus démocratique, issu d’une révolution que ce parti n’a pas conduite, pour imposer son modèle de société au grand mépris de la démocratie qui lui permit d’exister sur l’échiquier politique.

Le Tunistan qu’on veut nous imposer

Ce qu’Ennahdha ne réalise peut-être pas, c’est que son silence complice vis-à-vis des extrémistes fera que l’intolérance et la haine de ces derniers risquent de devenir incontrôlables, pour ne plus se calmer et se rassasier que le jour où il y aura, dans chaque ville tunisienne, une place publique où des têtes tomberont, des mains s’arracheront et des femmes se verront ensevelies vivantes.

N’a-t-on pas déjà appelé à l’assassinat de Béji Caïd Essebsi et des juifs et agressé des hommes et des femmes affichant leur libre arbitre.
On a beau déclarer que l’homme a été créé à l’image de Dieu, rien aujourd’hui ne paraît moins vrai dans le Tunistan qu’on veut nous imposer.

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