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Un président de la république provisoire, sans réels pouvoirs et qui se comporte comme un éléphant dans un magasin de porcelaine…

Par Béchir Turki*


Que fait M. Marzouki depuis qu’il occupe le palais déserté par Ben Ali? Il s’agite, gesticule, prend une initiative aujourd’hui et son contraire demain, traite de microbes les salafistes aujourd’hui pour s’excuser auprès d’eux le lendemain. Il voyage à l’étranger et se déplace à l’intérieur du pays sans que l’on sache l’objet et sans que l’on voie les résultats de ces voyages et de ces déplacements. Il s’ennuie dans son vaste Palais de Carthage. Aussi propose-t-il à une journaliste, Isabelle Mandraud, et à un photographe, Nicolas Fauqué, de leur faire le tour du propriétaire du palais, et de se transformer ainsi en guide (Cf. ‘‘Le Monde’’ du 22 mars 2011). Une semaine avant, il recevait le célèbre dessinateur Plantu, et le même journal reproduit le 15 mars 2011, les critiques des dessins présentés. A leur lecture on se rend compte que la perception artistique de notre héros s’arrête au premier degré et n’apprécie que peu l’humour des tableaux. Une chose est sûre, ses agitations et ses initiatives irréfléchies ont causé et continuent de causer du tort aux intérêts du pays et à son image auprès des pays frères et amis.

 

Moncef Marzouki sur son nuage, par le peintre Hanafi

Des occasions pour se taire, d’autres pour parler…

En effet, qu’il s’agisse de ses bourdes relatives à la question syrienne, de ses attaques gratuites contre la France qui l’a accueilli et protégé, ou encore de son engagement malvenu dans une médiation entre le Maroc et l’Algérie que ni Rabat ni Alger n’ont apprécié, le président provisoire a incontestablement raté plusieurs occasions de se taire.

Sa plus grande occasion de se taire était incontestablement son invitation à Bachar El Assad de quitter le pouvoir et son pays et de s’installer en Russie. Il a montré ses carences en matière de diplomatie et d’analyse des paramètres et des forces qui régissent les événements du monde.

La réaction du ministère russe des Affaires étrangères était foudroyante pour M. Marzouki et humiliante pour le pays. La colère des Russes est compréhensible. Quel pays accepte qu’un autre, sans même le consulter, lui envoie des «clients» en difficulté avec leurs peuples? Nous l’avons fait et les Russes ont raison de nous conseiller vertement d’accueillir chez nous Bachar El Assad si cela nous chante…

Mais M. Marzouki a raté aussi plusieurs occasions de parler, de crier sa colère, de taper fort sur la table et, pourquoi pas, de menacer de démissionner au cas où ceux qui l’ont nommé président continuent de faire preuve de complaisance pour ne pas dire de complicité avec les courants extrémistes religieux et avec les prédicateurs à la solde du wahhabisme saoudien qu’ils accueillent à bras ouverts et regardent ailleurs quand un Wajdi Ghanim traîne dans la boue les hommes et les femmes de ce pays et les incite à s’entretuer.

Si le gouvernement nahdhaoui préfère laisser pourrir la situation à la faculté de la Manouba plutôt que de s’opposer sérieusement aux hordes salafistes, c’est qu’il a ses raisons que la raison ne reconnaît pas. On ne voit aucune raison en revanche de nature à forcer le président de la république à garder le silence face au drame que vivent les milliers d’étudiants et le calvaire enduré par le doyen Habib Kazdoghli.

 

Marzouki et les familles des martyrs à Carthage

Un président sous influence

Peut-être la seule raison est qu’il est un président sous influence. En d’autres termes, il lui est interdit de prendre des positions, de lancer des initiatives ou de faire des discours publics qui dérangent son principal allié, c'est-à-dire le parti islamiste Ennahdha. Les seules initiatives auxquelles on a droit de la part de ce président atypique est qu’il décide de vendre les palais présidentiels, à l’exception de celui de Carthage, comme s’il s’agit d’un héritage personnel. La raison invoquée est tout aussi absurde: utiliser l’argent provenant des ventes pour créer des emplois…

Mais pour être tout à fait juste, M. Marzouki est sorti de ses gonds, a frappé très fort sur la table, s’en prenant avec virulence aux profanateurs du drapeau national à l’occasion d’une réception, organisé le lundi 12 mars au Palais de Carthage, en l’honneur de l’étudiante Khaoula Rachidi. Celle-ci, en volant au secours du drapeau national, a non seulement sauvé l’honneur de la nation agressée par le geste criminel abominable des salafistes, mais elle a grandi encore plus l’image de la femme tunisienne.

Pour une fois donc, M. Marzouki a fait un discours par lequel il s’est nettement démarqué de la position timorée, pour ne pas dire complaisante, du gouvernement vis-à-vis du danger que représentent les salafistes. «Ceux-ci , a dit M. Marzouki, ne sauront déterminer notre avenir. Nous avons une armée puissante, des services de sécurité qui ont retrouvé leur efficience, une société civile compacte et irréductible, une classe politique acquise à un Etat moderne, un courant islamique modéré qui ne jette l’anathème sur personne et une jeunesse qui défend le drapeau et sa symbolique, refuse la bipolarisation idéologique et a eu le mérite d’avoir déclenché la révolution

C’est un beau discours, certes. Mais cette tirade fait sourire tous ceux ayant pris connaissance du programme qu’il a imaginé pour l’avenir de la Tunisie, programme rédigé en langue arabe en date du 2 avril 2009 et énonçant, trois changements radicaux:

- remplacer la dénomination «république tunisienne» par «république des tunisiens»;

- transfert de la capitale Tunis à Kairouan;

- changer le drapeau national, dont la création remonte à 1842 sous le règne d’Ahmed Bey, par un nouveau, avec un dessin à l’appui.

En 2009 il a fait paraître un article où il prône l’arabisation de tout l’enseignement y compris celui scientifique, alors que ses propres enfants n’usaient pas le dialecte tunisien et fréquentaient l’école de la mission française.

Mais M. Marzouki a-t-il les moyens d’exiger de ses alliés nahdhaouis l’utilisation de la force publique contre ces barbus qui semblent déterminés à afghaniser la Tunisie plutôt que de contribuer à sa démocratisation et son développement? A-t-il la détermination d’imposer enfin l’ordre à l’université de la Manouba et le jugement des profanateurs du drapeau national? En un mot, le président provisoire est-il prêt à engager un bras-de-fer avec ce gouvernement tout aussi provisoire, mais prompt à sévir contre les journalistes et à regarder ailleurs dès qu’il s’agit des délits des extrémistes religieux?

 

Le petit somme du grand homme à la Constituante

A l’ombre des nouveaux maîtres

Les réponses à ces questions nécessitent un choix clair de la part de M.

Marzouki. Sera-t-il du côté de la majorité des Tunisiens épuisés par l’anarchie qui sévit dans le pays depuis plus d’un an et qui appellent de leurs vœux le retour à la vie normale? Ou continuera-t-il à se ranger du côté de ces nouveaux hauts responsables de l’Etat qui font preuve d’une irresponsabilité impardonnable en laissant sévir sans broncher les extrémistes religieux à l’université, dans les mosquées et autres lieux publics et qui poussent l’arrogance jusqu’à exiger la libération des terroristes de Bir Ali Ben Khalifa?

Certains collègues et étudiants au Centre hospitalo-universitaire (Chu) et à la faculté de médecine de Sousse qualifient Moncef Marzouki de mégalomane, d’opportuniste et d’assoiffé du pouvoir. Il ne fait rien pour les démentir.

En effet, il a annoncé sa candidature à la présidence dès le 15 janvier 2011, soit le lendemain de la désertion de Ben Ali, qui plus est, sur les chaînes européennes, comme s’il était l’âme de la révolution, alors que des Tunisiens tombaient encore sous les balles.

Des vidéos circulaient, où l’on entendait dire que la Tunisie n’avait pas besoin d’un président, mais d’un directoire de six ou sept personnes chargées de la gestion des affaires courantes en attendant la naissance d’une nouvelle constitution. «Construire la république, c’est introduire l’alternance», disait-il. Aujourd’hui il s’accroche de toutes ses griffes à la présidence.

Si Moncef Marzouki n’a pas été élu par le peuple, mais placé sur le trône par Ennahdha pour servir des intérêts particuliers et étrangers, où baigne encore la corruption.

Au lendemain de sa désignation, il a promis de publier son état et bilan de santé. On sait qu’au cours de son séjour en France, il a subi des dépressions nerveuses. Jusqu’à ce jour, les Tunisiens n’ont rien vu venir à ce sujet. Cependant, et comme il est aujourd’hui le chef de l’Etat, on est en droit de lui demander de consulter ses confrères neurologues ou psychiatres, et ce pour son propre intérêt et celui de la Tunisie.

Et si le peuple s’est fait duper par des renards, des lions surgiront pour les chasser. Telle est la loi de la nature.

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