La crainte des islamistes c’est la résurgence progressive du courant bourguibiste, qui n’a pas disparu de la culture de beaucoup de Tunisiens, parce qu’il colle le mieux à leurs mentalités et leurs spécificités.

Par Tarak Arfaoui


L’anniversaire de la mort de Bourguiba, le 6 avril, a constitué cette année un événement bien particulier. Longtemps occulté sous le régime de Zaba, cet anniversaire n’a pas laissé insensible une bonne frange de Tunisiens en remettant au devant de la scène cet homme au destin particulier, qui a su façonner à partir de rien une Tunisie moderne au diapason du progrès, et dont le combat politique, la stature et l’envergure quoi qu’en disent ses détracteurs, l’ont fait entrer dans le gotha des grands hommes politiques du vingtième siècle.

Une haine pathologique envers Bourguiba

Néanmoins, Bourguiba a aussi ses détracteurs qui, pour des raisons idéologiques  ou personnelles, ne sont pas prêts à lui pardonner certains choix politiques et dérives autoritaires, qui ont terni un tant soit peu l’aura du personnage au début et à la fin de son règne. A ce sujet, ses pourfendeurs actuels les plus acharnés, bien qu’ils n’étaient pas les plus lésés, sont à recruter dans les rangs des islamistes dont la haine envers Bourguiba, désormais étalée au grand jour, frise parfois le délire pathologique.

Certes, Bourguiba n’était pas un saint, et comme tout homme politique, il avait des adversaires qui  ne partageaient pas la même vision et qu’il avait combattus à sa manière aussi. Certaines de ses dérives étaient regrettables. Pour faire aboutir son projet de société, il avait aussi choisi sa méthode et utilisé ses moyens qui lui ont permis d’édifier un Etat moderne, reconnu par tous et dont les fondements ont permis justement sa pérennité dans les moments difficiles que connait actuellement le pays.

Il est inutile de revenir sur les réalisations de Bourguiba dans tous les domaines de l’Etat, jugés avant-gardistes à l’époque par tous les observateurs, tant au niveau de l’éducation, de la santé, de l’infrastructure, des droits de la femme et j’en passe. Mais ses détracteurs ne l’entendent pas de cette oreille: Youssefistes, nationalistes et islamistes.

Ces derniers, plus que d’autres opposants ne portent pas du tout Bourguiba dans leur cœur. Leur mépris pour Bourguiba n’a d’égal que leur peur du personnage. Le chef islamiste Rached Ghannouchi, en premier lieu, ne laisse pas passer une occasion pour nous faire étaler sa haine de Bourguiba, qu’il a qualifié à maintes reprises de premier destitué, de mécréant, refusant même publiquement de se recueillir sur sa mémoire.

D’autres leaders islamistes n’acceptent pas la vision avant-gardiste de Bourguiba surtout dans le domaine civil et lui vouent un mépris implacable. Moncef Ben Salem, ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique, le traite publiquement de tous les noms d’oiseaux et le qualifie  ouvertement de «Juif sioniste»! Sadok Chourou, membre de la Constituante, qualifie le règne de Bourguiba d’années noires de la Tunisie.

Le dernier pourfendeur en date, le prédicateur Habib Bousarsar ne veut même pas invoquer son nom en parlant de l’avenue Bourguiba, en qui il voit Satan personnifié.

Le moteur de l’union des Tunisiens

Comment les islamistes arrivent-ils à renier tous les acquis du bourguibisme? Pourquoi tant d’acharnement dans les dénigrements systématiques du personnage et de son action?

Ben Ali, qui avait emprisonné et martyrisé les islamistes plus que ne l’a fait Bourguiba, mais n’avait aucun projet social, ne véhiculait aucune idéologie, est très vite oublié. Il n’a laissé aucune  trace. Mais le spectre de Bourguiba est bien là et doit certainement hanter les  hommes politiques actuellement  au pouvoir.

Le véritable danger pour certains islamistes vient de l’esprit même de Bourguiba, de sa pensée politique qui est aux antipodes de celle des islamistes. La crainte de ses derniers est la résurgence progressive du courant bourguibiste qui n’a pas disparu de la culture de beaucoup de Tunisiens parce qu’il colle le mieux à leurs mentalités et leurs spécificités, parce qu’il est capable de fédérer beaucoup de Tunisiens. Il pourrait constituer dans les prochains mois le moteur de l’union des Tunisiens pour un projet  social moderne progressiste se posant comme une alternative sérieuse au projet islamiste.