Des bourguibistes, des libéraux, des centristes et gauchistes ont répondu présents à «l’Appel de la Nation», samedi, à Monastir (littoral centre-est), pour faire front commun contre l’obscurantisme qui menace le pays.

Par Rachid Barnat


Avant d’aller au stade, j’ai voulu rendre hommage à Habib Bourguiba et visiter son mausolée au Monastir. Deux visiteuses ont déposé une très belle gerbe de fleurs sur le tombeau du président Habib Bourguiba. Beaucoup de Tunisiens mais aussi des étrangers visitaient ce mausolée très beau et bien tenu.

Puis rassemblement au stade pour l’«Appel de la Nation» où Béji Caid Essebsi était attendu pour 15h30.

Un rassemblement de tous les déçus d’Ennahdha

Ce premier meeting qui se veut le rassembleur de tous les bourguibistes, dont certains ont poursuivi leur action sous la nouvelle appellation de Rcd (Rassemblement pour le changement démocratique), remplaçant celui de Parti Destourien, mais aussi de tous les démocrates et les progressistes, de tous les déçus des islamistes qui découvrent le vrai visage de Ghannouchi et de ses amis salafistes. Bref de tous les inquiets devant la montée du salafisme en Tunisie.

Le choix de la ville de Monastir évidemment n’est pas un hasard : c’est aussi un hommage au bâtisseur de la Tunisie nouvelle, dont c’est la ville natale.

Les organisateurs ont été surpris par l’affluence : le stade était comble, et dehors semble-t-il, il y avait encore plus de monde qu’à l’intérieur.

Sur l’estrade trône une photo de Habib Bourguiba sous le titre évocateur : «Le pouvoir de l’élégance et l’élégance du pouvoir». Feu Bourguiba y est élégant dans un beau costume, comme pour rappeler l’inélégance de Moncef Marzouki, qui fait honte aux Tunisiens par sa façon de s’habiller en burnous, col toujours débraillé, comme pour se rapprocher des bédouins du Golfe et d’Arabie, à qui lui et son ami Ghannouchi veulent livrer la Tunisie et son amateurisme politique.

Avant l’arrivée de M. Caïd Essebsi, un incident a failli tourner au lynchage. Le journaliste d’Al Jazira, Lotfi Hajji, a été hué et la foule lui demandait de dégager aux cris de «Al-Jazira dégage», «Le Qatar dégage, la Tunisie n’est pas à vendre»... Il a été exfiltré par le service d’ordre.

Ont répondu présents nombre d’hommes politiques dont Taieb Baccouche, très apprécié par les Tunisiens, d’anciens bourguibistes, des intellectuels dont le juriste Yadh Ben Achour, et des chefs de partis qui souhaitent se regrouper pour faire front commun contre l’obscurantisme qui menace la Tunisie.

On dénombre plus de 50 partis qui souhaitent le rapprochement. Mais aussi des personnalités de la société civile telles que Emna Menif présidente de l’association Kolna Tounes, puisque plus de 500 associations civiles soutiennent l’initiative pour le rapprochement des partis.

L’émouvant hommage au drapeau national

La cérémonie a débuté par le salut au drapeau, que l’étudiante Khaoula Rachidi a levé devant une salle chantant en chœur l’hymne national : émouvant hommage à notre drapeau et à la jeune fille, drapée elle-même dans le drapeau tunisien. Melle Rachidi, rappelons-le, s’était opposée, à la faculté des lettres de Manouba, au retrait du drapeau par un salafiste qui voulait le remplacer par le drapeau noir de son mouvement.

Puis la parole a été donnée à 4 représentants de partis, dont Kamel Morjane, ancien ministre des Affaires étrangères de Ben Ali (parti Al Moubadara), mais aussi à Néjib Chebbi (leader du Parti démocratique progressiste), dont les bourguibistes attendent le ralliement : chacun a rendu un hommage à Bourguiba qui a façonné la Tunisie moderne et redit la nécessité de préserver les acquis bourguibiens.

Puis vint le tour d’un avocat représentant d’un collectif d’avocats qui se sont portés volontaires pour défendre Béji Caïd Essebsi. Mais très vite les organisateurs ont jugé inopportun et inutile de le laisser développer l’axe de défense, puisqu’à l’évidence c’est une mascarade de la part des avocats pro-Ennahdha, qui n’ont rien trouvé de mieux pour faire taire un opposant de taille que de lui intenter un procès politique ! Reprenant des méthodes déjà usitées par Ben Ali et dont ils ont souffert eux-mêmes dans une autre vie. Ce qui confirme qu’ils veulent perpétuer les pratiques de celui que les Tunisiens ont dégagé. Preuve aussi qu’ils n’ont rien compris aux Tunisiens ni à leur révolution. Et pour cause : ils vivaient à l’écart de ce peuple depuis des années dans l’exil ou en prison. Leur histoire, qu’ils ne cessent de ressasser et qu’ils n’ont toujours pas digérée, s’est arrêtée ; alors que les Tunisiens ont fait du chemin depuis. D’où leur décalage !

Puis ce fut le tour du chanteur Lotfi Bouchnaq de déclamer deux poèmes : un en arabe littéraire et l’autre en dialectal avec l’accent bédouin : très beaux textes nationalistes.

Caïd Essebsi sur un plateau

A la fin la parole fut donnée à M. Caïd Essebsi, qui a lancé à l’intention des journalistes, qu’il refuse qu’on les maltraite et qu’on les empêche de faire leur travail, même si on n’est pas d’accord avec eux. Une manière de clore l’incident de l’agression dont a été victime le correspondant d’Al Jazira.

L’orateur a décoché ensuite quelques flèches à l’actuel gouvernement en espérant qu’il laissera la Tunisie à l’équipe suivante dans un état moins catastrophique qu’ils disent l’avoir trouvée. Il a également rappelé que le mandat accordé aux constituants est d’un an pour la rédaction d’une constitution. Et dénoncé la cacophonie introduite par Ennahdha à propos de la chariâ dans la constitution, contraire à leur discours durant la campagne électorale. Alors qu’il suffit de se mettre d’accord sur le maintien de l’article premier de la constitution de 1959, pour que tout aille très vite, puisque, dit-il, le consensus sur le reste est acquis à plus de 90% ! Béji Caïd Essebsi propose la tenue d’un référendum, si besoin est, pour trancher cette question.

L’ex-Premier ministre exige que le processus démocratique se poursuive et que le gouvernement Hamadi Jebali mette en route la deuxième phase de ce processus, en permettant à l’Instance supérieure indépendante pour les élections (Isie) de finir son travail et préparer les prochaines élections.

A propos de M. Marzouki, Béji Caïd Essebsi trouve qu’il en fait trop, quand pour s’occuper, il multiplie les actes symboliques de «revisitation» de notre histoire. Il le rassure que les Yousséfistes et les Bourguibistes ne l’ont pas attendu pour se réconcilier. Pour preuve : ils dorment les uns à côté des autres dans le même cimetière. L’ex-Premier ministre remercie, néanmoins, M. Marzouki pour ses bonnes intentions de maintien de la cohésion sociale, alors qu’Ennahdha fait tout pour diviser les Tunisiens.

Une allocution empreinte de sagesse dans une langue bien de chez nous, truffée d’anecdotes, de dictons populaires et de citations du Coran.

On sent l’homme d’expérience avec une réelle épaisseur politique. Toujours égal à lui-même. M. Caïd Essebsi a été ovationné à plusieurs reprises.

J’espère qu’il sera la locomotive pour tous les chefs de partis qui rejettent l’obscurantisme.

A la sortie, tous les présents semblaient reprendre espoir : M. Caïd Essebsi les a sûrement boostés et rassurés qu’il sera leur rempart contre l’obscurantisme.

Cet «Appel de la Nation» sera réédité dans de nombreuses villes de Tunisie avant le 23 octobre 2012 date de fin de mandat pour les constituants, disent les organisateurs.

Crédit photo : Le courrier de l'Atlas et facebook