Les Tunisiens sont fiers de leur «tunisianité» et n’ont pas de leçon à recevoir de qui que ce soit sur leur foi et la manière de la pratiquer. Ils ne veulent pas servir de faire-valoir au Qatar pour lui permettre d’exister.

Par Rachid Barnat


La politique étrangère tunisienne est visiblement dictée par l'émir du Qatar qui instrumentalise la révolution tunisienne dans son intérêt (‘‘Les ambitions démesurées d’une micromonarchie’’). Faut-il rappeler, à cet égard, que le ministre des Affaires étrangères, Rafik Abdessalem, gendre de Rached Ghannouchi, président du parti Ennahdha (parti dominant au sein de la troïka, alliance gouvernementale avec le Cpr et Ettakatol) travaillait à Al Jazira TV, salarié de l’émir ? De là à penser que c’est l’émir qui l’a voulu à ce poste, il y a un pas que beaucoup franchissent allégrement. M. Ghannouchi, dont les accointances qatariotes sont un secret de polichinelle, l’aurait-il imposé à son premier ministre Hamadi Jebali ? Le parti Ennahdha ne serait-il pas très redevable à l’émir qui le finance et finance ses activités et ses compagnes électorales ? Faut-il rappeler que l’émir a mis au service des islamistes tunisien sa «télévision personnelle», Al-Jazira en l’occurrence pour faire sa promotion et propagande (''Quand Al-Jazira roule pour rached Ghannouchi'') ? N’est-ce pas l’émir aussi qui a suggéré le renvoi de l’ambassadeur de Syrie, prélude à l’organisation, à Tunis, de la Conférence des amis du peuple syrien ? Le président Moncef Marzouki et le gouvernement Hamadi Jebali l’ont fait. Quant à l’impunité de Bachar El Assad et son renvoi en exil en Russie, le scénario proposé par M. Marzouki, sans demander l’accord de la Russie, est celui-là même que les Qatariotes envisagent comme une sortie de crise. De là à parler d’amateurisme d’un président provisoire…

Tout cela trahit, hélas, une certaine hégémonie du moins une influence du Qatar sur la Tunisie.

Détourner et contenir les révolutions arabes

En contrôlant la Tunisie, l’émir veut récupérer la révolution des Tunisiens pour la faire avorter, ce à quoi il œuvre depuis le début de la révolte des Tunisiens. Il y parvient grâce à l’allégeance de Ghannouchi qui lui doit tout.

C’est exactement ce que fait aussi fait le roi Ibn Saoud pour le Yémen. Après avoir étouffé dans l’œuf la révolte des Bahreinis par l'envoi de ses chars, le roi a bien fini lui aussi par faire avorter la révolution des Yéménites. Puisqu’il maintient chez lui l’ex-président Ali Abdallah Saleh à qui l'impunité est acquise, et impose le vice-président pour lui succéder.

Au final, les Yéménites conservent tout ce contre quoi ils se sont révoltés : le système Saleh et ses hommes. Le roi leur demande d’«élire démocratiquement» son bras droit. Ce qu’ils feront «à plus de 90%» ! Exactement ce que voulait le roi Ibn Saoud depuis le début de la révolte au Yémen. Pourquoi ?


L'exécutif provisoire

Tout simplement parce que de véritables démocraties dans ces pays en révolte sont une menace pour l’existence même de ces régimes autoritaires d’un autre âge. Ils veulent par la force et grâce à leurs milliards, éviter la contagion chez eux ! De qui se moque-t-on en nous présentant ces monarques comme «protecteurs de révolution démocratique» ?

Ce n’est donc pas tant le fond des positions de la Tunisie que l’on conteste mais le fait que le pays soit manipulé par le Qatar et se fasse son porte-parole.

Par ailleurs, et là il faut être clair, cette ingérence du Qatar dans la vie politique tunisienne ne saurait perdurer, car elle devient carrément insupportable pour beaucoup de Tunisiens. Ces derniers n’accepteront jamais, eux qui se sont battus pour leur indépendance et qui ont chassé un tyran, de se voir dicter un mode de vie et une façon «d’être musulman» qui n’est pas la leur et qui heurte leur identité tunisienne.

Le gouvernement en place saurait-il ignorer plus longtemps cette exigence absolue de son peuple sans courir le risque de se voir dégager par les Tunisiens, comme ils ont dégagé Ben Ali et sa camarilla ?

Tout récemment encore, le bruit court que le général serait mis à la retraite de l’armée et serait nommé ambassadeur auprès de l’émir du Qatar.

N’y aurait-il pas là comme une machination machiavélique de la part de l’émir du Qatar pour écarter un homme aimé des Tunisiens pour son esprit républicain parce qu’il a refusé de tirer sur le peuple ? Non seulement il l’écarterait du pouvoir mais le tiendrait sous son contrôle chez lui au Qatar. Laissant ainsi le champ libre à M. Ghannouchi pour le remplacer par un autre qui lui obéira sans se poser de question pour imposer son idéologie islamiste par les armes à un peuple qu'il sent la lui refuser !

J’espère que le général refusera cet éloignement car il a tout à y perdre et notamment son image auprès des Tunisiens pour gagner un éloignement doré auprès du Qatar.

Voilà donc comment ces pétromonarchies veulent tenter d’étouffer toute velléité de changement, parmi les peuples qui aspirent à la démocratie.

Il n’y a que des islamistes naïfs ou dominés par leur ambition personnelle pour croire que ces monarques autoritaires veulent aider des républiques et les voir progresser ! Alors que tout ce qu’ils veulent c’est étouffer tout désir de démocratie et toutes révoltes qui pourraient devenir contagieuses pour leur propres peuples, lesquels risqueraient à leur tour de les dégager !

Qui pourrait croire que ces monarques veulent aider à lutter contre la corruption, eux qui sont le symbole même de la corruption et qui hébergent des corrompus qui ont spolié et volé les Tunisiens :

- puisque Ben Ali est l’hôte du roi Ibn Saoud, prétendu défenseur de l’islam, mais qui accueille des voleurs et des assassins ;

- son gendre Sakher El Matri est l'hôte de l’émir du Qatar, autre prétendu défenseur de l’islam !

Qui peut croire que ces monarques œuvrent pour le bien d’une «oumma» arabo-musulmane que fantasment les rêveurs ? Toutes leurs actions ne visent que la défense de leurs propres intérêts !!

Intolérable ingérence.

Trois utopistes apprentis sorciers

Le danger pour la Tunisie est, malheureusement, d’avoir trois utopistes apprentis sorciers à la tête de l’Etat, prêts à sacrifier son indépendance et son identité tunisienne sur l’autel du panarabisme pour les uns ou du panislamisme pour les autres. Comme s’ils n'avaient pas retenu les leçons de l’Histoire qui a montré l’impasse des ces deux utopies, puisque :

- Moncef Marzouki pense pouvoir réaliser le rêve de Nasser : le panarabisme, en relançant le projet du Grand Maghreb arabe en panne depuis plus de 20 ans. Il vient de recevoir le gendre de Gamel Abdel Nasser : tout un symbole de la part d’un nostalgique du nassérisme ;

- Hammadi Jebali rêve de réaliser le panislamisme, pour installer son guide spirituel (Ghannouchi ?), Calife du VIe Califat comme il l’a claironné au lendemain des élections ;

- Rached Ghannouchi ne cache plus son ambition de Califat et sa volonté de soumettre les Tunisiens au wahhabisme d’Arabie, qu’un bey husseinite sage avait rejeté en son temps (vers 1830) en répondant à l’imam Abdelwahhab, qu’il n’avait rien à apprendre aux Tunisiens, après que les imams de l’université Zitouna l’aient mis en garde contre la dangerosité de cette doctrine obscurantiste et belliqueuse, inadaptée pour le peuple tunisien.

Est-ce que les Tunisiens laisseront ces rêveurs sacrifier leur révolution, leur indépendance et leurs acquis pour préserver les trônes de ces monarques ? Ne voient-ils pas que pendant ce temps, pendant que l’on s’occupe de ces chimères géostratégiques, que le pays va à veau l’eau ?

Tout cela donne à l’étranger une image déplorable qui va nuire, de toute évidence, au tourisme et aux investissements, et entraîner une division de la société alors que le pays devrait s’unir pour faire face aux difficultés ; plutôt que de s’occuper de savoir comment on doit être musulman alors qu’on l’est depuis des siècles !

Les Tunisiens semblent déterminés à reprendre leur destin en main et à défendre bec et ongle les objectifs de leur révolution qui sont : LIBERTÉ, DIGNITÉ et TRAVAIL. Ils n’ont jamais douté de leur foi ni de leur identité et n’ont aucune intention de changer leur obédience malékite par la wahhabite et d’accepter le modèle sociétal «arabo-musulman» d’Arabie ou du Golfe et tout les accoutrements qui vont avec, comme le leur propose Ennahdha !

Les Tunisiens sont fiers de leur «tunisianité» (‘‘Les Tunisiens, leur-identité plurielle et leur nouvelle constitution’’) et n’ont pas de leçon à recevoir de qui que ce soit sur leur foi et la manière de la pratiquer. Ils ne veulent pas servir de faire-valoir au Qatar pour lui permettre d’exister.