«La liberté pour nous et pour les autres», in memoriam Mahmûd Muhammad Taha (1909-1985), le penseur réformiste soudanais condamné à mort pour apostasie et exécuté par les sbires de l’ex-président Jaafar al-Nimayri.

Par Néjib Baccouchi* (Traduit de l’arabe par Abdelatif Ben Salem)


 

A l’heure du souvenir, vingt-sept ans après l’assassinat de Mahmûd Muhammad Taha, combien il est malheureux de constater que les choses n’ont guère changé dans nos contrées. Les ténèbres progressent et envahissent la noblesse de la pensée et l’aristocratie de la plume. Malheur à ceux qui seront foudroyés par la malédiction des shaykhs de l’excommunication !

«Vaticanisation» de l’institution religieuse

Aujourd’hui plus que jamais, il faut s’affranchir de la tutelle de la «cléricature islamique» exercée sur la sacralité de nos peuples et combattre la «vaticanisation» insidieuse de l’institution religieuse. Il est vrai que nous avons perdu la bataille des idées, le jour où nos «charlatans» mirent main basse sur notre patrimoine, sans que nous bougions le petit doigt, le jour où ils allumèrent le feu à «la Maison de la sagesse» (Dâr al-Hikma) et élevèrent sur ses décombres sous nos yeux leur «Mosquée rouge». Nous nous sommes barricadés à l’intérieur de nos «forteresses idéologiques» désertés par les «fidèles», méditant nos manuscrits monocolores. Nous n’avons rien fait pour remettre sur les rayons de nos bibliothèques le Kitâb al-Tawâsîn (Fragments dogmatiques) de Husayn Mansûr al-Hallâj, les Luzûmiyyât-s de Ma‘arrî, et Kitâb al-Futuhât-s al-Makkiyya (Illuminations mecquoises) du Shaykh al-Akbar Muhyî-d-Dîne Ibn ‘Arabî, nous avons tardé à dépoussiérer la sagesse des Mu‘tazilites et les Wasâyas-s (Testaments) d’Ibn Rushd. Nous n’avons pas appris à nos enfants que les livres ont une seule couleur, celle du savoir, une seule saveur, celle de la connaissance et une seule odeur, celle du questionnement et que le crime d’al-Hallâj c’est d’avoir abrité Dieu «dans l’immensité de sa mante» (fî rihâbî jubbatihî) et que le pêché de Râbi‘a al-Adawiyya, martyr de la «passion éperdue de Dieu» c’est d’avoir adressé les plus belles compositions à Celui dont elle est éprise :

Je suis éprise de Toi de deux amours : un amour de la passion  
Et un amour de Toi parce que tu le vaux bien
Quand à l’amour de la passion
Invocation qui m’absorbe et me distrait de Toi
Quand à l’amour de Toi
Dévoilement de Ton mystère divin pour que je puise Te voir
Nulle éloge pour moi ni pour celui-ci ni pour celui-là
Et louange à Toi toute tant pour celui-ci que pour celui-là
Est-ce justice que de jeter l’anathème sur Râbi‘a rien que parce qu’elle a composé des strophes de cette splendeur.

L’excommunication est l’arme la plus redoutable du «terrorisme intellectuel», en tant qu’elle cible à la fois la vie et la raison. Elle ne se contente pas de lancer des appels au meurtre, elle met ses menaces à exécution. Le combat des idées ne peut se faire qu’à travers les idées et rien d’autres, voilà pourquoi un «pacte civil pour la liberté de création et de pensée» – engageant l’ensemble de la société, le monde politique, les artistes, les écrivains et les créateurs dans toutes les disciplines, avec pour finalité de criminaliser l’anathème tant du  point de vue du droit que de l’éthique – devient une impératif absolu, pour permettre le surgissement d’une nouvelle génération qui n’applaudira plus aux meurtres des intellectuels et des créateurs, mais élèvera haut, l’étendard de la liberté de création comme «l’oxygène de la liberté» et exiger d’ouvrir grandes les portes du ciel, fussent devant un seul papillon (farâsh) afin qu’il puisse voleter, voleter, en toute liberté.

Fin

* - Doctorant en sciences politiques.

Lire aussi :
Hommage Mahmûd Taha le martyr de la liberté de pensée  (1-4)
Hommage Mahmûd Taha le martyr de la liberté de pensée  (2-4)
Hommage Mahmûd Taha le martyr de la liberté de pensée  (3-4)