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Khadija Katja Wöhler-Khalfallah écrit – Pour éviter que la 2e république tunisienne ne finisse en une farce, il est indispensable de trouver un bon équilibre entre les pouvoirs et éviter le cumul de trop de pouvoirs entre les mains d’une personne.

Actuellement, en Tunisie, ce n’est pas le califat qui est en question, mais l’impression s’impose que la façon de gérer les affaires de l’État s’inspire de certains protagonistes de la scène politique attachés à ce système qui au long de 1.400 ans a montré une résistance impressionnante à l’évolution constructive et qui renferme en lui-même le germe de sa défaite.

Un pouvoir limité par la loi

Il suffit de reprendre chez Abderraziq le droit de tout musulman de critiquer le calife quand il voit que celui-ci commet une erreur. Omar était un de ces rares personnalités qui toléraient la critique sans prendre revanche de celui qui osait le faire. La réalité pourtant était bien différente. En général celui qui osait contredire celui qui possédait toutes les prérogatives du pouvoir était anéanti physiquement et moralement, jeté dans les geôles, mutilé, et s’il avait de la chance finalement tué.

L’argument avancé le plus souvent pour justifier le châtiment barbare était celui que la victime était devenue athée et qu’elle a quitté la voie de l’islam.

Cet exemple montre que l’islam n’avait pas imaginé un pouvoir absolu, mais un pouvoir limité par la loi, valable aussi bien pour les sujets que pour le plus haut représentant de l’État. Ce qui saute à l’esprit c’est le fait que l’idée existait, mais les méthodes pour l’appliquer manquaient. L’une des meilleures méthodes que le génie humain ait trouvées est l’équilibre entre les pouvoirs, en d’autres termes les mécanismes qui permettent de contrôler le pouvoir et d’empêcher qu’on en abuse.

De la même façon, on peut citer un bon nombre d’idéaux issus de notre culture, dont l’application pourtant ne peut être garantie qu’en cessant de persister à refuser de profiter des expériences d’autres civilisations et de tirer les leçons de notre propre histoire, à condition de la revoir de manière critique.

Les valeurs du gouvernement selon l’islam

Selon les valeurs de l’islam traditionnel non fondamentaliste:

- Il doit y avoir consentement sur le représentant d’un peuple, parmi ceux qui sont concernés.

- Les représentants d’un peuple n’ont pas le droit de détourner le bien public. Dieu leur promet le pire des châtiments dans l’au-delà s’ils contreviennent à cette détermination.

- Le représentant du peuple doit supporter d’être mis en cause par le peuple.

- Le représentant du peuple est tenu de garantir la protection de tout citoyen de tous abus et tous arbitraires.

- La justice doit être rendue à toute personne qui se présente à une cour judiciaire. Un souverain ou un juge n’ont pas le droit de présenter un faux témoignage pour se débarrasser, sous de faux prétextes, d’une personne qui les dérange.

- Omar exigeait que la porte des représentants du peuple doit rester grande ouverte pour que les sujets puissent avancer leur détresse.

- Le représentant du peuple est considéré comme le premier entre des égaux, mais il est soumis aux mêmes lois que la communauté.

- La Charia doit être adaptée à la modernité.

- Les «hududs» n’ont pas été souvent appliqués. Le dédommagement d’une victime par un certain montant d’argent était toujours perçu comme une option. Aujourd'hui des pays comme l’Iran ou l’Arabie Saoudite infligent ces châtiments pour, en vérité, se débarrasser d’opposants qui, souvent, ne font qu’exprimer une légitime critique.

- Déjà au 14e siècle Abu Ishaq as-Shatibi a développé une nouvelle méthode pour élargir     le processus d’interprétation, les «maqasid asch-charia» (objectifs, fins et intention de la Charia.

Le nécessaire équilibre des pouvoirs

Face aux autres civilisations, les musulmans ont dû constater que le Coran et la sunna n’offraient pas de réponse à toutes les situations rencontrées, ce qui les a incités à emprunter une nouvelle voie. Celle-ci ne mettait plus l’accent sur les énoncés conventionnels des textes de la révélation et de la tradition mais sur le sens le plus profond et le but lointain que Dieu ait poursuivi avec sa révélation.

Ce qui manque finalement aux musulmans ce n’est pas un amas de bons principes de justice sociale. Ils n’ont pas besoin d’outils pour réajuster certaines notions de la religion. Ce qui leur manque c’est une conscience du fait qu’avoir des règles éthiques constructives ne suffit pas pour assurer que celles-ci trouvent leur application. De même, le fait de prétendre être un homme ou une femme pieuse ne suffit pas pour garantir qu’on ne tombe pas sous l’emprise du pouvoir. Et cela pour deux raisons. Premièrement, une religiosité quelconque peut être seulement affichée. Deuxièmement, il faut se demander par quel droit une personne se permet-elle d’imposer sa vision de la religion à une autre qui la comprend autrement.

A ceux qui utilisent toujours des arguments religieux, disons que Dieu garantit la liberté de conscience et n’autorise pas de médiateurs entre lui et le croyant.

Finalement, pour éviter que la deuxième république tunisienne ne finisse en une farce, il est indispensable de trouver un bon équilibre entre les responsabilités consacrées aux différents postes à décisions, éviter d’accumuler trop de pouvoirs entre les mains d’une seule personne et surtout ne pas contourner l’autonomie des différents pouvoirs – exécutif, législatif et judiciaire.

Cet équilibre est essentiel, soit pour se garder de l’arbitraire, soit pour garantir un développement positif de l’économie, aujourd’hui si vital pour le bien-être des Tunisiens privés de travail. Car, finalement, pour avoir le courage d’investir, la garantie d’un Etat de droit est la condition prédominante. Aussi est-il surprenant de constater que la question de l’habit de la femme, son comportement et le contrôle de ses désirs présentent toujours un plus grand intérêt que le souci de réduire les moyens d’abuser du pouvoir, de réduire la corruption, de lutter contre l’arbitraire et de lancer l’économie. Cherche-t-on à donner au Tunisien des lois contre sa libre volonté?

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