S’il ne cesse de commettre erreur sur erreur, le Cpr risque de n’être qu’un feu de paille dont la lueur s’éteindra aussi vite qu’elle a pu briller en octobre dernier.

Par Nizar Chabbi


 

Comme beaucoup de ceux qui m’entouraient, après la révolution et surtout pendant la campagne électorale, je me suis engagé corps et âme dans l’activité politique. J’ai participé à la campagne électorale du Congrès pour la république (Cpr ou Al-Moatamar) la joie au cœur, et en y mettant de ma personne, de mon temps et de mon argent. Depuis mes années d’université, le Dr Marzouki était pour moi un exemple, une voix courageusement audible brisant un silence national emprunt de peur, de lâcheté et souvent de complaisance.

La victoire en chantant

La campagne électorale était empreinte d’une ambiance bon enfant propre aux novices en matière de politique et de campagnes pour tous ceux qui y ont participé et tous partis confondus. Les déclarations et les prises de position de l’unique star du Cpr étaient parfaites, et la surprise que ce parti créa en s’imposant en tant que 2ème force du paysage politique avec 29 sièges dans l’Assemblée constituante était là pour en témoigner.

Jusque là, les (le?) leader(s) du Cpr ont fait preuve d’un sens tactique hors du commun. Être tacticien est une bonne chose… mais être aussi stratège est encore mieux et surtout plus important. Et c’est bien là que le bât blesse.

Revoyons d’abord quelques positions phares du Cpr avant les résultats des élections, et voyons ce qu’elles sont devenues une fois nos dirigeants confortablement installés dans leurs nouveaux fauteuils.


Le Cpr, après l'union, les ambitions qui divisent

Un os à ronger

Le Dr Marzouki a clamé haut et fort, qu’il n’utiliserait pas le parti Ennahdha «comme paillasson» (ce sont ses termes) pour se faire une popularité pendant la campagne, comme le firent d’autres partis, et qui leur coûta cher. Ce fut une très bonne décision. Mais l’électorat du Cpr s’attendait à un peu plus de fermeté et à un meilleur talent de négociateur. Une fois les dés jetés, nous en avons été pour nos frais. Non seulement les postes gouvernementaux et de prise de décision concédés par Ennahdha au Cpr sont ridiculement minuscules, mais en plus les prérogatives dévolues au poste de président accordées à notre cher docteur sont quasi insignifiantes. Nous avons l’impression qu’on nous a jeté un os à ronger !

Tandis qu’Ennahdha caresse son électorat dans le sens du poil, et même les franges les plus extrémistes de celui-ci, nous autres membres et sympathisants du Cpr avons comme l’impression que notre parti nous a oubliés. Et ce ne sont pas les quelques communiqués fades et ambigus sur Facebook qui y changeront quoi que ce soit.

Un silence assourdissant

Tandis que le grand vainqueur de ces élections façonne le gouvernement à son image (et ce sont là les règles du jeu), qu’il lâche à intervalle régulier des petites bombes médiatiques encore une fois pour galvaniser ses troupes (la non condamnation de l’occupation d’une université par des salafistes, les attaques régulières contre le statut des femmes, les relations ambiguës avec le Qatar qu’on ne prend même plus la peine de cacher ni de nier, le positionnement de proches parents à des postes stratégiques et extrêmement sensibles, etc.) ; pendant ce temps, le champion des droits de l’homme, de la femme et de l’enfant nous sert un silence assourdissant. Le docteur qui fut le plus ardent défenseur de l’indépendance et de la souveraineté de la décision politique ne dit mot.

Le Dr Marzouki a averti l’Europe et notre bonne vieille France en particulier, avant et même après son avènement aux affaires : «Les choses ont changé !». Comprenez par là que les relations basées sur la complaisance, les services rendus, les pots de vins, et surtout la relation de maître à élève sont finies. Mais ne voilà-t-il pas que le Dr Marzouki investi président et drapé de son burnous – désormais emblématique – reçoit en grande pompe monsieur l’ex-maire de Paris Bertrand Delanoë.

Ce même ex-maire de Paris, qui fut avec d’autres noms très connus du cirque politique français un des plus grands soutiens du régime déchu, allant jusqu’à déclarer sur France 24, quelques jours avant la fuite de Ben Ali : «On ne peut pas dire que le régime tunisien soit une dictature».

Feu de paille

Outre le fait que plusieurs personnalités françaises devraient être déclarées persona non grata sur le sol tunisien pour leur soutien à Ben Ali, nous aurions aimé que le désormais président drapé dans sa cape ne reçoive pas en grandes pompes un des symboles de la corruption et du népotisme d’outre Méditerranée.

Par ailleurs, le spectacle donné par messieurs Mohamed Abbou et Abderraouf Ayadi à quasiment s’étriper, lorsque l’ambition personnelle fut exacerbée, n’est vraiment pas élogieuse pour un parti naissant.

Pour finir, et de par mon expérience personnelle au sein de la cellule Cpr de la ville de l’Ariana et une fois l’euphorie de la bataille passée, quelques mots me viennent à l’esprit : arrivisme, incompétence, et absence totale de conscience politique.

Bref, tout ceci pour dire que si le Cpr, et par le biais de ses multiples têtes, ne redresse pas la barre, ne s’adresse pas véritablement à son électorat et non à celui de ses partenaires, ne rassure pas ceux qui l’ont mené où il se trouve, s’il ne cesse de commettre erreur sur erreur, le Cpr risque de n’être qu’un feu de paille dont la lueur s’éteindra aussi vite qu’elle a pu briller en octobre dernier.

A bon entendeur.