Tunisie : Moncef Marzouki navigue entre deux eaux

L'allocution du président de la république provisoire Moncef Marzouki, vendredi soir, sur les chaînes nationales, suite aux évènements de Siliana, n'apporte rien de nouveau. Duplicité, faux-semblant, opportunisme...

Par Rachid Barnat

Ce vieux loup solitaire ne sort de sa tanière, aujourd'hui le palais de Carthage, que lorsque le pays passe par une grave crise: c'est, somme toute, son rôle de président de la république, un costume décidément trop grand pour ses épaules!

Et pour dire quoi? Des banalités dans une phraséologie impeccable qu'il maîtrise bien, mais pour dire des évidences censées faire sa pub pour les élections à venir!

Un coup de barre à gauche, un coup de barre à droite

Qu'a dit cette fois-ci celui que ses compatriotes appellent «tartour» (guignol) – avec de moins en moins d'affection et de plus en plus d'ironie assassine?

Il reconnait que le gouvernement a failli sur toute la ligne... mais il reste toujours solidaire avec Hamadi Jebali et son équipe!

Il reconnaît que les promesses d'Ennahdha étaient excessives et ont suscité trop d'espoir! Mais, se ressaisit-il, il n'y a pas de baguette magique: il faut attendre... Il évite donc d'ajouter que promettre ce que l'on sait ne pouvoir tenir c'est tout simplement de la démagogie et du populisme, et il y a sciemment participé lui-même.

M. Marzouki réitère la proposition de l'opposition – faite depuis le 28 mai dernier par Maya Jeribi, secrétaire générale du Parti républicain – et de l'Ugtt relative à la formation d'un gouvernement restreint composé de technocrates habitués à la gestion des dossiers économiques et sociaux! Il recommande, à ce propos, que les nominations ne se fassent plus entre copains mais selon un critère de compétence!

Les évènements de Siliana, aussi déplorables qu'ils soient, ne doivent pas dégénérer, sinon c'est le chaos pour tous, explique le président de la république provisoire, en mettant en garde ainsi les «contre-révolutionnaires» qui voudraient les exploiter! Car si le gouvernement sombre, c'est tout le pays qui sombrera avec lui! Et M. Marzouki d'exhorter le gouvernement de «se reprendre» et de changer de politique! Rien que çà!! Puis, un petit rappel pour faire diversion, de l'impunité dont jouissent les anciens du Rcd, contre lesquels le gouvernement n'a toujours rien fait ... Et bla-bla-bla... et bla-bla-bla...

Pas de condamnation de la violence de la police

Mais que propose-t-il au juste?

La constitution d'une commission d'enquête (une autre?), technique bien rodée pour enterrer les problèmes, et les dossiers avec... pour passer le gué, gagner du temps et voler celui, ô combien précieux, des Tunisiens!

On remarquera, en passant, que le président de tous les Tunisiens ne condamne pas, mais alors pas un mot, à propos des tires de grenailles sur la population, arme interdite par les conventions internationales, mais envoyée en cadeau par son ami l'émir du Qatar! Alors que des condamnations unanimes se sont élevées dans le monde: le Parti socialiste français, le Maire de Paris Bertrand Delanoë, grand ami de la Tunisie, l'Onu... ont tous condamné l'usage excessif de la violence par les forces de l'ordre contre des manifestants pacifiques !

Il aurait fallu, et cela aurait été un minimum, que Moncef Marzouki, ce prétendu défenseur des droits de l'homme, condamne fermement lui aussi cette violence excessive des forces de l'ordre et exige la démission du ministre de l'Intérieur, sinon même celle du chef du gouvernement lui même, responsables tous deux de cette répression, comme ils l'ont déjà été d'autres dérives sécuritaires.

Au lieu de cela : pas un mot ! Il préfère réaffirmer sa solidarité avec ce gouvernement, bien qu'il ait déjà, dans un passé récent, comparé ses méthodes à celle du Rcd!!

En gros, M. Marzouki se contente de sortir une nouvelle fois son carton... jaune pour le gouvernement! Qui ne tardera pas – on vous le donnera pour mille – de le remettre à sa place.

Le gardien de ses seules ambitions électorales

M. Marzouki, qui assurait ses électeurs qu'il sera le gardien des «valeurs» et qu'il empêcherait son grand frère Ghannouchi de franchir la ligne jaune! Pourtant toutes les lignes jaunes ont été franchies et les rouges aussi... sans qu'il n'ait levé le petit doigt et les rares fois où il les a fait, c'était toujours timidement et presque en s'excusant. Comme c'est le cas de son discours de vendredi soir qui rappelle celui de Zaba la veille de son «dégagement»!!

Moncef Marzouki croit habile de se démarquer du gouvernement en reconnaissant les fautes commises par ce dernier et en demandant la nomination de ministres plus compétents. Mais c'est une simple posture électoraliste à laquelle personne ne croit. Et qui sera sans lendemain.

Moncef Marzouki a déjà dans le passé condamné les agissements du pouvoir et d'Ennhadha qui le domine (on se souvient de sa lettre au Congrès du CpR) mais il laisse son parti apporter son appui à l'existence même de la troïka, pour voter et défendre les résolutions qu'impose Ennahdha!

S'il était sincère et efficace, il demanderait au CpR de ne plus servir de feuille de vigne et de caution libérale à un pouvoir dont les visées dictatoriales ne sont plus un mystère pour personnes.

Autrement dit, M. Marzouki critique beaucoup ses alliés mais ne tire jamais les conclusions politiques de ses critiques. Cela s'appelle de la duplicité! Cela s'appelle aussi se moquer des Tunisiens et, soyons en sûrs, qu'ils s'en souviendront.

Décidément, lui et sa bande de troïka se croient indispensables pour la Tunisie, bien qu'il admette qu'ils n'ont rien fait pour répondre aux objectifs de la révolution! Non seulement ils sont inefficaces sur le plan économique et social malgré leurs promesses faramineuses, mais ils veulent, en plus, transformer le mode de vie des Tunisiens en transformant le pays en une sorte de colonie du Qatar.

La réalité est qu'il est plus que temps que les Tunisiens dégagent cette troïka de malheur et le tartour avec, puisqu'il est toujours solidaire d'Ennahdha et de Ghannouchi !

Un gouvernement n'est ni indispensable ni irremplaçable

Ils ont tous failli! En 14 mois ils ont montré les limites de leurs «compétences»... La Tunisie peut se passer d'eux, et doit se passer d'eux pour ne pas sombrer totalement ! D'autant qu'ils ont perdu leur légitimité pour avoir donné l'ordre de tirer sur le peuple.

Après le 23 octobre 2012, date de la fin de leur mandat électoral, la «légitimité» leur a été accordée, faut-il le rappeler, par l'Ugtt et l'opposition sous des «conditions»... qu'ils n'ont jamais respectées; et ce contre la volonté des Tunisiens qui s'apprêtaient à les dégager le 24 octobre dans le cas où ils voudraient jouer les prolongations au delà du mandat d'UN AN convenu préalablement!

Stop au mépris de Hammadi Jebali qui refuse de prendre ses responsabilités vis-à-vis de ses collègues de l'Anc, pour leur rendre compte de son action et de celle de ses ministres, dont celle d'Ali Lârayedh, ministre de l'Intérieur, qui aurait dû, à maintes reprises, être démis de ses fonctions pour mauvaise gestion de son ministère! Car Hammadi Jebali critique les membres de l'Anc mais pour s'expliquer, il leur préfère la presse à laquelle il remet des communiqués laconiques où la langue de bois le dispute au mensonge!

Stop au sarcasme de Samir Dilou quand il nie l'évidence, ou cynique, nous précise que ceux qui sont atteints de plombs de grenailles ne seront pas aveugles mais uniquement borgnes... comme l'assassinat politique de Lotfi Nagdh, représentant de Nida Tounes à Tataouine, a été transmué en crise cardiaque par Samir Dilou et ses amis!

Ce gouvernement n'est ni indispensable ni irremplaçable !! Il est dommageable pour le pays. Il faut qu'il DÉGAGE! Et le plus tôt serait le mieux...