Le clash, jeudi dernier, entre l'imam salafiste et deux ministres nahdhaouis sur la chaîne Attounissia TV, annonce-t-il une rupture entre les deux frères islamistes? Ennahdha va-t-il renier les «enfants naturels» de Rached Ghannouchi. Rien n'est moins sûr...

Par Moncef Dhambri*

Pour un irréductible sceptique comme moi, la confrontation du duo nahdhaoui Lârayedh-Dilou et l'illuminé salafiste Nasreddine Aloui ne dédouanera jamais, à mes yeux, Ennahdha.

Cravate et des lunettes vs barbe hirsute et calotte

Désolé de prendre ainsi le contre-pied de l'interprétation qui veut voir dans ce qui s'est passé, jeudi soir, sur le plateau d'Attounsiya TV comme étant le point culminant du divorce entre les «islamo-démocrates» et les jihadistes.

Désolé de continuer à classer ces frères naturels dans la même catégorie des éléments idéologiques qui, à chaque fois qu'ils feront une déclaration, je sortirai ma loupe pour lire entre les lignes de leurs discours.

Désolé de croire encore, et toujours, que tous les islamismes se ressemblent sur le fond, et que les nuances n'y changeront que si peu: porter une cravate et des lunettes (Lârayedh et Dilou, par exemple) ou porter une barbe hirsute et une calotte (Abou Iyadh et Nasreddine Aloui, par exemple) ne sont pour moi que de simples distinctions vestimentaires ou d'allures.

Désolé de n'avoir jamais pu me départir de ma déformation professionnelle pour plonger tête en avant et conclure qu'il n'y aurait pas lieu, désormais, de s'inquiéter sur l'avenir de notre révolution.

 

Nasreddine Alaoui, l'imam jihadiste, et le ministre de l'Intérieur laxiste.

Les frères islamistes sont-ils devenus des ennemis?

La petite scénette de l'échange entre Aloui et les ministres nahdhaouis, j'en suis sûr, a choqué tout le public des téléspectateurs. Tout le monde, de près ou de loin, pouvait imaginer l'aveuglement et la virulence salafistes. Mais, ce que Nasreddine Aloui nous a donné à voir, ce fameux soir de jeudi, était d'une «qualité supérieure». Tout y était: le temps ou le ton, le lieu et l'action étaient réunis en un court espace d'une dizaine de minutes où le téléspectateur aurait gobé l'image toute entière sans réfléchir et gardé seulement l'idée que plus rien ne va entre salafistes et nahdhaouis.

Je résume cet accrochage à ma manière: Aloui, qui était en duplex, a brandi le linceul de son jihad et déclaré en prime time la guerre sainte à Ennahdha; Ali Lârayedh, paternel, interloqué et qui voudrait toujours passer pour un candide («nefs moumna»), lui conseille de surveiller son langage («vos mots sont des balles assassines»). On pourrait donc être tenté de conclure que le torchon (le linceul!) brûle entre les frères islamistes et qu'ils sont devenus des ennemis.

Non, nous ne dirons jamais cela.

Certes, nous pouvons croire que le coup d'éclat en direct n'était pas une fabrication médiatique. Nous pouvons également accepter que les mots assassins de Nasreddine Aloui aient surpris tout le monde.

Une petite comédie de type «je t'aime, moi non plus»

Nous persisterons à dire et à redire qu'il n'y a pas eu divorce entre le salafisme et «l'islamo-démocratie». Tout simplement, parce qu'il n'y a jamais eu de mariage ou d'accord officiel. Il y a des nuances islamistes, il y a un partage des tâches et il y a des terrains à conquérir qui peuvent séparer les deux tendances.

Sur l'essentiel, il est indéniable que les deux opinions se rejoignent: elles agissent toutes les deux, chacune à sa manière, avec ses propres méthodes et sa stratégie,

Ainsi leur «je t'aime, moi non plus» de jeudi soir perd tout le sens que l'on a voulu lui donner et devient de la petite comédie...

Souvenons-nous de la réaction du «rusé» Samir Dilou. En véritable renard de la politique, le ministre des Droits de l'Homme n'a pas hésité un seul instant pour saisir la chance que lui offrait Nasreddine Aloui et laver Ennahdha de tous les soupçons. Il en est vite arrivé à la conclusion: «Vous voyez donc: les contraires s'annulent!», s'est-il exclamé. Le téléspectateur était donc supposé comprendre que le parti de Rached Ghannouchi, par ce clash en direct Ennahdha-salafisme, a retrouvé une pureté, une innocence et une modération que l'on n'a jamais voulu lui reconnaître.

Une entourloupette cousue de fil blanc

Non, M. Dilou, renvoyer ainsi dos à dos salafisme et laïcité me paraît très facile, trop facile: l'on n'évacue pas de cette manière peu coûteuse tout ce qui vous lie à Nasreddine Aloui et ses amis jihadistes. Vous appartenez au même camp. Vous êtes guidés par les mêmes intentions...

Le minimum que j'aurais pu accepter ce soir-là aurait été que le ministre de l'Intérieur se saisisse de son téléphone portable et qu'il ordonne l'arrestation du révolté de Douar Hicher. C'est cela montrer patte blanche, et non pas essayer de nous faire croire que vous reniez les «enfants» du cheikh Rached Ghannouchi.

Votre petite querelle de jeudi soir ne nous a pas convaincus. Faites un effort et vous trouverez peut-être. Tâchez à ce que votre entourloupette ne soit pas cousue de fil blanc.

Je n'ai rien contre Ennahdha, il est simplement la cause de mes insomnies et je n'arrive pas à en guérir.

* Universitaire et journaliste.