Rachid Barnat écrit – Il faut laisser le pouvoir à Ennahdha, organiser une opposition claire et déterminée et préparer une alternative crédible aux Tunisiens.


Pourquoi Ennahdha tend-il la main aux autres partis et souhaite-t-il une large coalition ? D’abord parce qu’il n’a pas la majorité et qu’il doit nécessairement s’allier. Ensuite, parce qu’en faisant alliance, il trouble le jeu et enlève aux partis laïcs leur marque et cela en vue des très prochaines élections (législatives et présidentielle).

La démocratie a besoin d’opposition

Ennahdha a, quant à lui, une bonne visibilité. Alors que les autres partis perdront toutes particularités dans l’alliance avec Ennahdha.

Par ailleurs si les résultats ne sont pas là, et c’est certain (le temps est trop court), il ne sera pas possible d’imputer l’échec à Ennahdha : chacun sera dans la même position aussi bien Ennahdha que le parti allié.

Dès lors, une large coalition est tout bénéfice pour les islamistes, alors que les autres partis ont tout à perdre.

La démocratie a besoin de clarté : par l’existence claire d’une majorité mais aussi d’une opposition claire elle aussi. Car l’existence d’une opposition claire est la condition de la possibilité d’une alternance du pouvoir qui est la caractéristique d’un régime démocratique.

Or, les résultats des élections tunisiennes à la Constituante ont donné à Ennahdha la place indiscutable de premier parti politique dans le pays. Mais ce parti, tout en étant le premier, n’a pas la majorité nécessaire pour gouverner seul. C’est la raison pour laquelle depuis que le résultat est connu, ce parti parle d’alliance et tend la main aux autres partis en parlant de gouvernement de coalition.

Certains soutiennent cette idée de gouvernement de coalition en prétendant qu’il faut dépasser les clivages dans l’intérêt supérieur du pays. Il est vrai que, dans certains cas de grandes difficultés, il est nécessaire que des forces politiques se coalisent pour faire face aux défis. Est-on dans ce cas ? Et les partis «non religieux» ou certains d’entre eux doivent-ils s’allier à Ennahdha ?

Je pense que ce serait une très lourde erreur et que les partis qui s’allieraient à celui d’Ennahdha ne tarderaient pas à en payer le prix.

Une erreur d’abord, parce que, pour faire une alliance, il faut un programme minimum commun.

Or la différence entre des partis qui se fondent sur la religion et les autres est à ce point fondamentale que ce serait le mariage de la carpe et du lapin… Dans une telle alliance, l’un des participants renonce à l’essentiel. Et soyons sûr que ce ne sera pas les islamistes.

Préparer les prochains scrutins

Plus grave encore, une telle alliance va banaliser le parti islamiste et lui permettre de se renforcer pour rebondir plus fort plus tard et lui donner ainsi l’opportunité de ne plus avoir besoin dans l’avenir de cette alliance. Le parti qui se sera alors allié avec eux sera le dindon de la farce.

Il ne faut pas oublier enfin qu’il va y avoir dans un très proche avenir (environ un an), des élections législative et présidentielle ; et que si des partis s’allient avec Ennahdha, ils supporteraient l’échec prévisible de ce gouvernement. Car il est vain de croire que les problèmes, notamment économiques, de la Tunisie seront réglés en un an par ce gouvernement. L’alliance permettra aussi à Ennahdha de récuser sa responsabilité dans cet échec à l’égard de la désillusion des Tunisiens.

Enfin, en s’alliant ainsi, ces partis «non religieux» perdront leurs marques propres alors que Ennahdha est un parti fortement identifié et qu’il en sortira renforcé.

Je pense donc qu’il faut laisser le pouvoir à Ennahdha qui trouvera, sans doute, quelques petits partis pour compléter sa majorité mais les autres doivent rester dans une opposition claire, déterminée et qui pourra, le moment venu, offrir aux Tunisiens une alternative crédible, ce qui ne sera absolument pas le cas, en cas d’alliance.