Rachid Barnat écrit – Je sens monter du fond du pays une inquiétude forte. Les Tunisiens passent jour après jour de l’optimisme au pessimisme. Sommes-nous en train de rater cette révolution qui a donné, à nous même et au monde, tant d’espoirs?

Va-t-on quitter une dictature mafieuse mais qui, il faut l’admettre, nous permettait la modernité, pour une dictature religieuse qui nous ferait fortement régresser au moins sur le plan des mœurs et de la vie de tous les jours en nous imposant une pratique hypocrite d’un islam d’un autre lieu, d’un autre temps et qui nous éloignerait de la modernité?
Va-t-on se laisser confisquer la révolution par les membres de l’ancien régime qui tente de revenir en se camouflant sous de nouveaux oripeaux?
Les Tunisiens sont-ils condamnés à vivre toujours sous une dictature? Après celle de Ben Ali et de sa famille, devront-ils subir celle de Ghannouchi et de ses amis?

 

Une offre politique illisible pour le peuple
Cette incertitude qui progresse et qui trouble les Tunisiens vient, aussi, de la multiplication des partis politiques qui n’ont ni leaders connus ni programmes forts et qui se vautrent dans les petits jeux politiciens.
Si l’on veut être honnête intellectuellement, il n’y a pas autant de projets politiques sérieux que cette centaine de partis! Conservateurs et progressistes dans le domaine des mœurs, libéraux et plus ou moins dirigistes dans le domaine de l’économie devraient conduire, toutes combinaisons envisagées, à une dizaine de partis au lieu de la centaine qui existe.
Tous ces partis ont donc une responsabilité historique à l’égard du Pays. En émiettant ainsi, pour des raisons de pur «ego», l’offre politique en la rendant incompréhensible, illisible pour le peuple, ils se livrent à un jeu dangereux, infantile, qui risque de détourner pour longtemps le peuple, de la démocratie. Est-ce vraiment ce que l’on souhaite? C’est ce que condamne avec force le professeur Sadok Belaïd dans Kapitalis.
Face à ces jeux politiciens, pour les uns dangereux pour les autres infantiles, il paraît absolument nécessaire, pour en sortir par le haut, que le pays se dote d’un président qui serait perçu par l’ensemble des Tunisiens comme un sage, au dessus des partis, éloigné des petits jeux politiciens, honnête et soucieux seulement de l’intérêt du pays, qui puisse redonner confiance aux Tunisiens en leurs institutions en s’entourant d’hommes intègres et compétents. Comme le général de Gaule le fut, un jour, pour la France ; ou Mario Soares pour le Portugal, à sa sortie de la dictature de Salazar; ou Václav Havel qui va soustraire la Tchécoslovaquie au joug de l’Urss de l’époque.

La révolution de la liberté, de la dignité et du travail  
A l’évidence, la révolution de la jeunesse tunisienne a pris de court tout le monde. Et on le voit dans la précipitation, les partis essaient de s’organiser et de concocter un programme à la va vite. Puisque même les partis qui existaient du temps de Ben Ali étaient surveillés par sa police et ne fonctionnaient donc pas normalement pour organiser les hommes et les programmes pour une éventuelle relève.
Or le seul qui semble émerger par son populisme religieux, lui non plus n’a aucun programme sérieux à proposer aux Tunisiens, sinon la chariâa.
Le discours des partis religieux est très dangereux pour la Tunisie: ils projettent d’effacer tous les acquis de notre pays depuis son indépendance. Est-ce le souhait des Tunisiens? Les chefs de ce parti jouent aux apprentis sorciers que de remettre en cause tous les acquis de la Tunisie moderne.
La Tunisie mérite mieux que çà. La politique est une chose trop sérieuse pour la confier à des aventuriers qui veulent expérimenter un Etat religieux en Tunisie prenant modèle sur l’Arabie Saoudite.
Les idéologies telles que le communisme, nous savons ce qu’il en est advenu dans les pays qui les ont expérimentées. La chute du mur de Berlin marquera la fin de l’utopie communiste.
L’islamisme des salafistes est aussi une utopie. Ses adeptes ne semblent pas se rendre compte des dégâts qu’il provoque dans les pays qui ont adopté le salafisme saoudien pour le grand malheur de leur peuple: Pakistan, Afghanistan, Somalie, Soudan…
N’ont-ils pas saisi le message de la révolution du 14janvier où les jeunes se sont sacrifiés pour d’autres valeurs, autres que ne leur proposent les partis religieux: «Liberté, dignité et travail»? N’ont-ils pas compris leur rejet des idéologies qu’elles soient islamiste ou communiste?
Par ailleurs, ces hommes ne sont animés uniquement que par leur propre revanche sur Bourguiba et surtout sur Ben Ali.
L’homme, qui doit assurer la transition, doit être au-dessus de toutes ces mesquineries et ne doit point avoir de ressentiments ni envers Bourguiba, ni envers l’Occident auquel les «religieux» imputent tous les échecs des dirigeants en place. Il ne doit pas dilapider notre héritage commun qui fait notre spécificité tunisienne, pour nous fondre dans un califat non seulement complètement utopique, mais également dangereux pour la Tunisie.
Il faut préserver ce que les Tunisiens ont construit ensemble patiemment depuis l’indépendance.
Ma thèse pour sortir de cette situation de doute et de pessimisme est que la prochaine Constituante, qui aura une réelle légitimité démocratique, élise, comme premier acte de sa mandature, un président de la république pour cette période transitoire qui se poursuivra jusqu’à l’adoption et la promulgation de la nouvelle Constitution. Le président actuellement en place, très âgé, issu qu’on le veuille ou non de l’ancien régime, qui n’a absolument aucun charisme ni aucune autorité réelle ne peut se maintenir. Le président élu formerait un gouvernement de «techniciens» pour la même période.
Alors quel Président?

Ben Achour pour mettre d’accord islamistes et laïcs
Je lance un appel pour que les Tunisiens s’unissent pour demander l’élection en qualité de président de la république, de Yadh Ben Achour.
Il me semble, en effet, qu’il présente toutes les qualités nécessaires et qu’il est en situation pour être ce président transitoire.
Yadh Ben Achour qui préside la Haute instance pour la réalisation des objectifs de la révolution, de la réforme politique et de la transition démocratique, est connu et estimé des Tunisiens. C’est un grand juriste et je crois que, dans une période comme celle qui vient, le droit, l’Etat de droit doit être un objectif fondamental.
C’est un musulman convaincu, fin connaisseur du Coran et de la théologie musulmane. Il appartient à une famille qui a donné à la Tunisie de grands jurisconsultes en droit musulman, et il vient de publier un ouvrage remarquable ‘‘La deuxième Fatiha’’.
C’est un homme ancré dans la modernité. (voir son blog).
Il ne peut donc être, en aucune manière, suspecté d’être antimusulman, mais il est, par contre, partisan d’un islam éclairé, adapté au monde moderne, conforme à l’islam qui a toujours été pratiqué par les Tunisiens et conforme au génie de ce peuple. Par conséquent, tout en protégeant la pratique de l’islam, il saura faire barrage à cette autre vision de l’islam, issue de pays étrangers, n’ayant strictement rien à voir avec la pratique des Tunisiens depuis des siècles et porteuse de réelles menaces dues au sectarisme, au fanatisme et à son opposition «caractérielle» à la modernité qu’elle assimile de manière «obsessionnelle» à l’Occident.
Yadh Ben Achour pourra aussi unir les «laïcs» et les progressistes qui ne se sentiront pas menacés par sa conception de l’islam.
Enfin il a encore l’âge nécessaire pour allier sagesse de l’ancien et dynamisme pour un pays dans le mouvement. La présidence de la Haute instance lui a apporté, pendant ces derniers mois, une connaissance et une expérience qui lui seront d’un grand secours.
Dès lors quel homme, mieux que lui, peut rassurer les Tunisiens et œuvrer à une transition paisible?
Lorsque cette transition sera terminée, que le pays sera doté d’institutions solides, que les partis politiques auront eu le temps d’accéder à la notoriété et, on l’espère, à la sagesse, alors le pays sera prêt à aborder l’avenir.
Je n’ai personnellement aucune ambition personnelle, je n’espère aucun poste ni aucune faveur et je ne connais pas personnellement M. Ben Achour. Cet appel que je lance et que j’aimerai voir relayer par beaucoup de Tunisiens sages, je ne le fais que par amour pour mon pays et pour ne pas le voir prendre le chemin de la régression.