Néjib Tougourti écrit - Désaffection des électeurs, effritement de l’autorité du gouvernement, manœuvres des partis… l’ambiance n’incite pas à l’enthousiasme, mais les Tunisiens n’ont pas droit à l’échec.


Le faible taux des inscriptions aux listes électorales a surpris beaucoup d’observateurs. Une véritable alerte, symptomatique d’un état de lassitude extrême de la population, qui a fait planer des doutes sur la poursuite du processus politique de transition démocratique, en cours, et la réalisation des objectifs de la révolution.

La désaffection de Tunisiens

Les statistiques sont, en effet, alarmantes puisque et jusqu’au 30 juillet, à deux jours de la clôture de la campagne des inscriptions – initialement fixée pour le 2 août –, 23,5%, seulement, sur les 7,5 millions des électeurs tunisiens se sont inscrits pour le vote du 23 octobre. Un taux très faible qui tranche, d’une façon surprenante, avec d’autres chiffres, plutôt rassurants, d’une enquête réalisée par la Fondation internationale pour les systèmes électoraux (Ifes), durant la période fin mars-début avril, qui avait montré que près de 92% des personnes interrogées entendaient participer au vote –  initialement prévu pour le 24 juillet – et 86%, d’entre elles, s’attendaient à des élections libres (36%) ou plutôt libres et transparentes  (51%).
La population, qui semble à bout de patience, a donc, rapidement changé d’opinion, en l’espace des cinq derniers mois. Ses conditions de vie restent, en fait, encore difficiles et se sont même aggravées, ces derniers temps, avec une augmentation du taux du chômage de 13% à 19% et une hausse, libre, des prix de nombreuses denrées alimentaires.

Le désintérêt manifesté par les Tunisiens pour les inscriptions sur les listes électorales a désorienté la l’Instance supérieure indépendante des élections (Isie) qui a fait preuve d’un manque de savoir-faire inquiétant et mis beaucoup du temps pour réagir. Son peu d’empressement, initial, à mobiliser la population et la convaincre de l’importance de l’opération, a laissé perplexe. Le gouvernement provisoire a du intervenir pour l’inciter à prolonger le délai, de douze jours supplémentaires et augmenter le nombre des bureaux d’inscription, tout en les rapprochant du citoyen, dans des zones isolées, d’accès difficile.

C’est la centrale syndicale, l’Union générale tunisienne du des travail (Ugtt), grand acteur de la scène politique avec quelques sociétés civiles et les représentants des deux principaux pôles politiques dans le pays, le Parti démocratique progressiste (Pdp), libéral, et le parti Ennahdha, conservateur, islamiste, accrédités des taux les plus élevés de vote, qui ont volé au secours de l’Isie, en se mobilisant pour inciter les habitants de leurs fiefs à s’inscrire aux listes électorales, allant jusqu’à faire le tour des commerçants, un-à-un et du porte-à-porte. Ces deux partis, avec d’autres moins importants, comme le Congrès pour la république (Cpr), semblent avoir vu juste, en exprimant, après le report du rendez-vous électoral du 24 juillet au 23 octobre, leurs craintes des risques d’une prolongation excessive de la période de transition et en soulignant la nécessité de mettre en place, rapidement, un gouvernement, légitime, capable de réaliser de profondes réformes et de prendre toutes les dispositions nécessaires pour améliorer la situation sociale et économique du pays. Mais le report des élections a été, de l’avis de la plupart des protagonistes, même ceux qui s’étaient opposés, avant de se raviser, à cette décision, une nécessité technique et une force majeure, qu’on ne pouvait contourner.

L’effritement de l’autorité du gouvernement
La désaffection des Tunisiens pour tout le processus de transition, de plus en plus perceptible, est aussi un sérieux revers pour le gouvernement provisoire, qui semble avoir entamé, sérieusement, son capital de confiance auprès de la population. Il se retrouve dans une situation peu confortable, confronté, à la fois, au désenchantement de la rue, mécontente d’attendre un changement qui tarde à se réaliser, à la nécessité de tenir ses obligations d’organiser les élections de la constituante dans les meilleurs conditions, le 23 octobre, au milieu d’un marasme général et à l’animosité de nombreux courants politiques, qui, profitant de la mauvaise humeur de la rue, font monter la pression et critiquent sa gestion de la transition, l’accusant même d’agir en continuité avec l’ancien régime et de connivence avec ses anciens symboles.

L’effritement de l’autorité du gouvernement provisoire se poursuit dangereusement. Ses adversaires exploitent sa faiblesse chronique, ses contradictions et une série de ses bavures dont les dernières ont concerné l’appareil judiciaire. L’approche de l’échéance électorale semble, également, en cause, dans l’embrasement soudain de la scène politique et la poussée de fièvre, observée sur les réseaux sociaux.

Le paysage politique change à grande vitesse; une redistribution des cartes et une redéfinition des alliances semblent s’opérer, rapidement. On a assisté, ainsi, à une volte-face de la Haute instance pour la réalisation des objectifs de la révolution qui a haussé, subitement, le ton. Ses membres sont montés au créneau pour dénoncer la libération, impromptue, de certains responsables, des plus emblématiques, de l’ancien régime. Ils ont décidé, à l’improviste, de changer leur fusil d’épaule et de reprendre leur rôle de gardien de la révolution, aux dépens de celui de législateur de la transition qu’ils avaient affectionné, jusqu’à présent. Ils se sont, ainsi, nettement démarqués du gouvernement provisoire et rapprochés de ses détracteurs, en particulier, le groupe des avocats libres et l’association des magistrats, très critiques sur l’assainissement, jugé insuffisant, de l’appareil judiciaire et la gestion, trop laxiste, des poursuites intentées contre les responsables de l’ancien régime.

Les partis à la manœuvre
Certains partis de gauche, qui étaient, aussi, proches du gouvernement provisoire et son Premier ministre, ont décidé de changer de cap et de rejoindre les rangs de ses opposants, renchérissant sur son manque de vigueur dans la lutte contre la spéculation, l’augmentation du coût de la vie et le chômage. Les associations féminines ont élevé le plafond de leurs demandes et se ont réitéré, lors de la célébration de la journée de la femme, à haute voix leurs revendications, concernant en particulier l’égalité dans l’héritage, déjà formulées dans le passé mais d’une façon plus timide. Même le ministère de l’Intérieur semble vouloir s’affranchir du rôle de grand frère, du gouvernement provisoire. Il a réussi à jeter de nouveaux ponts d’amitié avec la population, en dévoilant, d’une façon très médiatisée, le rôle déterminant, joué par certains de ses cadres, héros des premières heures de la révolution, qui ont agi, rapidement, pour empêcher la fuite des membres de la famille, par alliance, de l’ancien président et organiser la cérémonie officielle, transmise à la télévision, qui annonça au peuple, la fuite du dictateur et la passation de ses pouvoirs au premier ministre de l’époque.

Le pôle moderniste et libéral, apparait de plus en plus nerveux à l’approche de l’épreuve des urnes, redoutant qu’il ne pâtisse des bavures commises sous le gouvernement provisoire actuel, son allié objectif. En effet, la tentation est grande dans la rue de lui imputer la responsabilité de l’inefficience de la Haute instance pour la réalisation des objectifs de la révolution et sa transformation en un forum anti islamiste qui a fait voler en éclats le consensus de départ, entre les différentes factions politiques, si important dans la réussite de tout processus de transition, après une dictature.

Les Tunisiens n’ont pas droit à l’échec
Les Tunisiens en ne montrant pas beaucoup d’engouement pour la campagne des inscriptions sur les listes électorales ont voulu, sans doute, exprimer leur profonde déception et leur impatience face aux maigres progrès réalisés, jusqu’à maintenant, dans la voie d’un assainissement rapide de la vie politique et économique du pays et la mise en place d’un nouveau régime représentatif et démocratique, sous l’égide d’hommes politiques intègres et compétents, mus par une volonté sincère de servir le pays et le faire sortir de la grave crise actuelle, qu’il traverse. La désillusion de la population risque d’être exacerbée, dans les jours à venir, par une violente campagne de désinformation, de déploiement de linge sale, de fuites organisées de données compromettantes et de provocations, qui risque, dans le contexte actuel, d’engendrer une situation explosive, incontrôlable, très préjudiciable à l’organisation des prochaines élections dans des conditions sereines. Le gouvernement provisoire peut-être tenté, pour renforcer l’ordre et la loi, par la manière forte.

Les Tunisiens doivent faire preuve d’une grande maturité, de vigilance et de patience face à toutes les manipulations pré-électorales qui vont sans doute, se multiplier, à l’approche de la date du scrutin. Ils doivent refuser de suivre les appels des ennemis de la révolution qui rêvent de faire échouer le processus politique de transition démocratique et d’empêcher la tenue d’élections libres et transparentes. C’est de la réussite de leur première expérience démocratique dont dépend le sort de la démocratie en Egypte et dans les autres pays arabes qui ont suivi leur exemple et ont déclenché leur révolution. Les Tunisiens ne doivent pas lésiner sur un dernier effort pour pouvoir relever ce grand défi historique. Ils n’ont pas droit à l’échec. Ils doivent réussir.

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Tunisie. Manœuvres pré-électorales et désillusion de la population

Néjib Tougourti écrit - Désaffection des électeurs, effritement de l’autorité du gouvernement, manœuvres des partis… l’ambiance n’incite pas à l’enthousiasme, mais les Tunisiens n’ont pas droit à l’échec

Le faible taux des inscriptions aux listes électorales a surpris beaucoup d’observateurs. Une véritable alerte, symptomatique d’un état de lassitude extrême de la population, qui a fait planer des doutes sur la poursuite du processus politique de transition démocratique, en cours, et la réalisation des objectifs de la révolution.

La désaffection de Tunisiens

Les statistiques sont, en effet, alarmantes puisque et jusqu’au 30 juillet, à deux jours de la clôture de la campagne des inscriptions – initialement fixée pour le 2 août –, 23,5%, seulement, sur les 7,5 millions des électeurs tunisiens se sont inscrits pour le vote du 23 octobre. Un taux très faible qui tranche, d’une façon surprenante, avec d’autres chiffres, plutôt rassurants, d’une enquête réalisée par la Fondation internationale pour les systèmes électoraux (Ifes) http://www.ifes.org/Content/Publications/White-Papers/2011/Elections-in-Tunisia-Steps-towards-elections-in-2011.aspx, durant la période fin mars-début avril, qui avait montré que près de 92% des personnes interrogées entendaient participer au vote –  initialement prévu pour le 24 juillet – et 86%, d’entre elles, s’attendaient à des élections libres (36%) ou plutôt libres et transparentes  (51%).

La population, qui semble à bout de patience, a donc, rapidement changé d’opinion, en l’espace des cinq derniers mois. Ses conditions de vie restent, en fait, encore difficiles et se sont même aggravées, ces derniers temps, avec une augmentation du taux du chômage de 13% à 19% et une hausse, libre, des prix de nombreuses denrées alimentaires.

Le désintérêt manifesté par les Tunisiens pour les inscriptions sur les listes électorales a désorienté la l’Instance supérieure indépendante des élections (Isie) qui a fait preuve d’un manque de savoir-faire inquiétant et mis beaucoup du temps pour réagir. Son peu d’empressement, initial, à mobiliser la population et la convaincre de l’importance de l’opération, a laissé perplexe. Le gouvernement provisoire a du intervenir pour l’inciter à prolonger le délai, de douze jours supplémentaires et augmenter le nombre des bureaux d’inscription, tout en les rapprochant du citoyen, dans des zones isolées, d’accès difficile.

C’est la centrale syndicale, l’Union générale tunisienne du des travail (Ugtt), grand acteur de la scène politique avec quelques sociétés civiles et les représentants des deux principaux pôles politiques dans le pays, le Parti démocratique progressiste (Pdp), libéral, et le parti Ennahdha, conservateur, islamiste, accrédités des taux les plus élevés de vote, qui ont volé au secours de l’Isie, en se mobilisant pour inciter les habitants de leurs fiefs à s’inscrire aux listes électorales, allant jusqu’à faire le tour des commerçants, un-à-un et du porte-à-porte. Ces deux partis, avec d’autres moins importants, comme le Congrès pour la république (Cpr), semblent avoir vu juste, en exprimant, après le report du rendez-vous électoral du 24 juillet au 23 octobre, leurs craintes des risques d’une prolongation excessive de la période de transition et en soulignant la nécessité de mettre en place, rapidement, un gouvernement, légitime, capable de réaliser de profondes réformes et de prendre toutes les dispositions nécessaires pour améliorer la situation sociale et économique du pays. Mais le report des élections a été, de l’avis de la plupart des protagonistes, même ceux qui s’étaient opposés, avant de se raviser, à cette décision, une nécessité technique et une force majeure, qu’on ne pouvait contourner.

L’effritement de l’autorité du gouvernement

La désaffection des Tunisiens pour tout le processus de transition, de plus en plus perceptible, est aussi un sérieux revers pour le gouvernement provisoire, qui semble avoir entamé, sérieusement, son capital de confiance auprès de la population. Il se retrouve dans une situation peu confortable, confronté, à la fois, au désenchantement de la rue, mécontente d’attendre un changement qui tarde à se réaliser, à la nécessité de tenir ses obligations d’organiser les élections de la constituante dans les meilleurs conditions, le 23 octobre, au milieu d’un marasme général et à l’animosité de nombreux courants politiques, qui, profitant de la mauvaise humeur de la rue, font monter la pression et critiquent sa gestion de la transition, l’accusant même d’agir en continuité avec l’ancien régime et de connivence avec ses anciens symboles.

L’effritement de l’autorité du gouvernement provisoire se poursuit dangereusement. Ses adversaires exploitent sa faiblesse chronique, ses contradictions et une série de ses bavures dont les dernières ont concerné l’appareil judiciaire. L’approche de l’échéance électorale semble, également, en cause, dans l’embrasement soudain de la scène politique et la poussée de fièvre, observée sur les réseaux sociaux.

Le paysage politique change à grande vitesse; une redistribution des cartes et une redéfinition des alliances semblent s’opérer, rapidement. On a assisté, ainsi, à une volte-face de la Haute instance pour la réalisation des objectifs de la révolution qui a haussé, subitement, le ton. Ses membres sont montés au créneau pour dénoncer la libération, impromptue, de certains responsables, des plus emblématiques, de l’ancien régime. Ils ont décidé, à l’improviste, de changer leur fusil d’épaule et de reprendre leur rôle de gardien de la révolution, aux dépens de celui de législateur de la transition qu’ils avaient affectionné, jusqu’à présent. Ils se sont, ainsi, nettement démarqués du gouvernement provisoire et rapprochés de ses détracteurs, en particulier, le groupe des avocats libres et l’association des magistrats, très critiques sur l’assainissement, jugé insuffisant, de l’appareil judiciaire et la gestion, trop laxiste, des poursuites intentées contre les responsables de l’ancien régime.

Les partis à la manœuvre

Certains partis de gauche, qui étaient, aussi, proches du gouvernement provisoire et son Premier ministre, ont décidé de changer de cap et de rejoindre les rangs de ses opposants, renchérissant sur son manque de vigueur dans la lutte contre la spéculation, l’augmentation du coût de la vie et le chômage. Les associations féminines ont élevé le plafond de leurs demandes et se ont réitéré, lors de la célébration de la journée de la femme, à haute voix leurs revendications, concernant en particulier l’égalité dans l’héritage, déjà formulées dans le passé mais d’une façon plus timide. Même le ministère de l’Intérieur semble vouloir s’affranchir du rôle de grand frère, du gouvernement provisoire. Il a réussi à jeter de nouveaux ponts d’amitié avec la population, en dévoilant, d’une façon très médiatisée, le rôle déterminant, joué par certains de ses cadres, héros des premières heures de la révolution, qui ont agi, rapidement, pour empêcher la fuite des membres de la famille, par alliance, de l’ancien président et organiser la cérémonie officielle, transmise à la télévision, qui annonça au peuple, la fuite du dictateur et la passation de ses pouvoirs au premier ministre de l’époque.

Le pôle moderniste et libéral, apparait de plus en plus nerveux à l’approche de l’épreuve des urnes, redoutant qu’il ne pâtisse des bavures commises sous le gouvernement provisoire actuel, son allié objectif. En effet, la tentation est grande dans la rue de lui imputer la responsabilité de l’inefficience de la Haute instance pour la réalisation des objectifs de la révolution et sa transformation en un forum anti islamiste qui a fait voler en éclats le consensus de départ, entre les différentes factions politiques, si important dans la réussite de tout processus de transition, après une dictature.

Les Tunisiens n’ont pas droit à l’échec

Les Tunisiens en ne montrant pas beaucoup d’engouement pour la campagne des inscriptions sur les listes électorales ont voulu, sans doute, exprimer leur profonde déception et leur impatience face aux maigres progrès réalisés, jusqu’à maintenant, dans la voie d’un assainissement rapide de la vie politique et économique du pays et la mise en place d’un nouveau régime représentatif et démocratique, sous l’égide d’hommes politiques intègres et compétents, mus par une volonté sincère de servir le pays et le faire sortir de la grave crise actuelle, qu’il traverse. La désillusion de la population risque d’être exacerbée, dans les jours à venir, par une violente campagne de désinformation, de déploiement de linge sale, de fuites organisées de données compromettantes et de provocations, qui risque, dans le contexte actuel, d’engendrer une situation explosive, incontrôlable, très préjudiciable à l’organisation des prochaines élections dans des conditions sereines. Le gouvernement provisoire peut-être tenté, pour renforcer l’ordre et la loi, par la manière forte.

Les Tunisiens doivent faire preuve d’une grande maturité, de vigilance et de patience face à toutes les manipulations pré-électorales qui vont sans doute, se multiplier, à l’approche de la date du scrutin. Ils doivent refuser de suivre les appels des ennemis de la révolution qui rêvent de faire échouer le processus politique de transition démocratique et d’empêcher la tenue d’élections libres et transparentes. C’est de la réussite de leur première expérience démocratique dont dépend le sort de la démocratie en Egypte et dans les autres pays arabes qui ont suivi leur exemple et ont déclenché leur révolution. Les Tunisiens ne doivent pas lésiner sur un dernier effort pour pouvoir relever ce grand défi historique. Ils n’ont pas droit à l’échec. Ils doivent réussir.