Rachid Barnat écrit* – Assiste-t-on en Tunisie à une tentative pour reconduire le même système politique après en avoir éjecté les Trabelsi et les éléments qui leur étaient inféodés?

 


Je voudrai faire partager avec les lecteurs une analyse qui court de plus en plus en Tunisie. Une des grandes craintes de plus en plus souvent exprimée est que les gouvernements installés en Tunisie pendant la période transitoire ne favorisent clairement le retour des anciens dirigeants, en ayant éliminé seulement Ben Ali et sa belle famille malfaisante, les Trabelsi.

Les hommes des Trabelsi passent à la trappe

Ce travail accompli le 14 janvier grâce au mouvement d’exaspération du peuple, les gouvernements successifs (Ghannouchi et Béji Caïd Essebsi) feraient en sorte que les anciens, ex-Rcd, reviennent au pouvoir.

Cette analyse, développée dans un excellent texte paru dans Nawaat, sous la plume de Tounsi Ben Tounes, repose sur un certain nombre de constations, pour le moins troublantes. (voir Nawaat)

C’est ainsi qu’il écrit: «Plusieurs points peuvent confirmer cette théorie: aujourd’hui ceux qui sont arrêtés sont plus des hommes de Leila que des hommes de Ben Ali ou de l’État. Si on reprend la liste des membres du comité central du Rcd, 90% d’entre eux ne sont pas inquiétés; ils sont à leurs postes sinon mieux placés, à commencer par le président par intérim M. Mebazaa et les 10% restants sont arrêtés, en fuite ou vont être arrêtés parce qu’ils sont les hommes des Trabelsi.

Durant ces derniers mois, je me suis posé la question suivante, qu’elle est la différence entre El Matri, Mabrouk, Chiboub et Zarrouk? En théorie, ils ont fait les mêmes choses; ils ont eu le pouvoir, ils ont eu la folie des grandeurs; ils se sont sentis au dessus des lois et ils ont tout raflé (banques, assurances, télécom, grande distribution, concession voitures, immobilier, terrains, agricultures, etc.), mais en pratique il n’y a qu’El Matri qui est étiqueté Trabelsi et pour ça, il va boire toute la tasse tout seul.»

Indulgence envers d’anciennes figures du régime

La justice, qui normalement doit être indépendante, donne, depuis quelques temps, de très mauvais signes de corruption et de soumission au pouvoir par un grand nombre de décisions pour le moins surprenantes concernant des anciens du Rcd et des proches de l’ex- famille régnante.

Les Tunisiens n’accepteront pas longtemps ces dérives.

En effet, la justice se montre étonnement indulgente envers beaucoup d’anciens dirigeants autres que ceux appartenant à la famille Trabelsi, comme si, effectivement, les seuls à devoir être éliminés de la scène politique tunisienne sont ceux du clan Trabelsi.

Autrement, comment expliquer certains cas arrêtés pour haute trahison et quelque temps après les Tunisiens les voient remis en liberté par leur juge. Bénéficient-ils de complicité à l’intérieur du ministère de la Justice?

Des avocats, le groupe dit ‘‘Des 25’’, sont montés au créneau pour contester ce comportement de la Justice. (Voir Kapitalis)

Voici ce qu’en dit leur porte parole Me Anouar el-Bassi: «Avant, nous parlions d’une absence de volonté de la part du gouvernement provisoire de poursuivre les gens qui ont aidé Ben Ali à pérenniser sa dictature. Aujourd'hui, nous parlons d’une décision claire de protéger les criminels de l’ancien système!» (voir Rue 89).

Laxisme ou complicité du gouvernement?

Un pied de nez aux Tunisiens

Des juges corrompus sont promus..., et continuent à servir les hommes du Rcd dont ils ont acquitté bon nombre... C’est un véritable pied de nez aux Tunisiens qui réclament une justice intègre débarrassée de ceux qui l’ont salie par leurs pratiques mafieuses. Comment se fait-il que les ministères de la Justice comme celui de l’Intérieur n’aient toujours pas fait le ménage au sein de ces ministères régaliens et dont les Tunisiens attendent beaucoup pour accorder leur confiance à la Justice et à la Police et retrouver la sérénité?

Le comité de Yadh Ben Achour a établi une liste des membres de l’ancien Rcd déclarés inéligibles. Seulement le gouvernement refuse de rendre publique cette liste sous prétexte de préserver la famille de ces personnes. Mais alors comment les Tunisiens pourront-ils contrôler l’effectivité de cette résolution? Et s’ils ne le peuvent, qui contrôlera?

En second lieu, le fait d’avoir permis l’existence d’une centaine de partis (une véritable folie!) qui permet à d’anciens du Rcd de se recycler et qui entraine une division nuisible.

Beaucoup des désordres constatés dans le pays et contre lesquels la police reste étonnamment passive, s’expliqueraient aussi assez bien par cette thèse.
Un homme politique d’envergure et qui a le respect de beaucoup de Tunisiens, Ahmed Mestiri, ne dit pas autre chose sur le site de Nawaat. Et venant de quelqu’un qui est un fin connaisseur de l’histoire récente du pays cela ne peut laisser indifférent.

Les Tunisiens laisseront-ils faire ?

Dans le fond, il faut aussi se dire que ce scenario où l’on verrait revenir au pouvoir d’anciens du Rcd recyclés et des membres d’Ennahdha aurait tout pour plaire aux Etats-Unis et à l’Arabie Saoudite. Arabie Saoudite qui peut tirer les ficelles du Rcd et d’Ennahdha, ayant donné l’asile au chef du premier et finançant le parti du second. Ces deux là ne sont-ils pas la face d’une même pièce? Les tunisiens sont-ils condamnés à être les otages de l’un ou de l’autre?

Il n’y aurait, dans ce cas, que le peuple tunisien qui serait trompé, que l’on priverait de la réelle volonté qu’il a exprimée en se révoltant, à savoir l’élimination des anciens du Rcd.

Le peuple laissera-t-il faire et acceptera-t-il de se laisser tromper ainsi?

Car s’il n’y a pas le changement escompté depuis le 14 janvier, il n’y aura pas, de si tôt, de nouvelles occasions de le faire. En effet, les forces en place, alliées aux religieux, instaureront un régime encore plus dur que celui d’avant. Et là, c’en sera fini des rêves de démocratie et de liberté pour les Tunisiens !
On peut craindre, et c’est sans doute le pari des ex-Rcd, que ce peuple n’ait plus le courage et surtout l’envie d’en découdre à nouveau.

Cependant, cette analyse pessimiste, qui voudrait que le système se survive à lui-même, ne paraît pas inévitable. La question des ex-membres du Rcd est en réalité une question que toutes les révolutions ont connue. Que doit-on faire des participants à l’ancien régime?

Le Général de Gaule a été confronté à ce dilemme après la libération et sa décision a été de conserver un certain nombre de cadres de l’ancien gouvernement.

La Tunisie peut-elle se passer des tous les anciens du Rcd? Cela paraît difficile puisqu’ils occupaient tous les postes à tous les niveaux de l’administration.

Que dès lors, on doive faire avec, cela paraît inévitable ; sauf à renvoyer les plus hauts responsables politiques et ceux de la haute administration, connus pour leur corruption active.

Cela ne signifie pas que ceux qui resteront en place commettront les mêmes errements que par le passé. Ils savent que le peuple veillera, que la liberté d’expression acquise ne cessera pas et que les abus seront dénoncés publiquement, ce qui les rendra beaucoup plus difficiles.

Ce n’est qu’une fois un gouvernement sorti des urnes, sera en place, que les ministres feront le ménage à l’intérieur de leur ministère pour «dégager» ceux qui ne doivent leur poste qu’au copinage et non à leur compétence réelle ou à leur diplôme. Il y aura beaucoup à faire, quand on sait que l’ancien régime fonctionnait sur le mode clientéliste en distribuant les postes pour service rendu. De cela, les Tunisiens n’en veulent plus. Ils veulent voir dans leurs administrations des gens qualifiés et diplômés; ce dont la Tunisie ne manque pas.

Enfin les vrais partis d’opposition devraient impérativement s’unir pour avoir une place dans la prochaine vie politique et contrebalancer l’éventuel retour des anciens. Et pour faire front aux partis rétrogrades.