Dr. Khadija Katja Wöhler-Khalfallah* écrit - Dans les années 1960, la monarchie saoudienne, en réaction au nationalisme nassérien qui commençait à la menacer, a soutenu tout mouvement fondamentaliste islamique.


En 1962, l’Arabie Saoudite encourage la création de «Rabitat al-Alam al-Islami» (la Ligue du monde islamique), une organisation transnationale non-étatique de soi-disant savants de la religion. Ses membres étaient des wahhabites, des néo-wahhabites, des salafistes et des néo-salafistes comme sont appelés les Frères Musulmans. Le représentant des Frères Musulmans était Said Ramadan, le beau-fils de Hassan al-Banna, compagnon de chemin de Sayyid Qutb et de Muhammad al-Ghazali qui appartenaient ensemble au groupe isolationniste au sein des Frères (le soi-disant réformateur de l’islam Tariq Ramadan est son fils). Dans son groupe au sein de la Ligue se trouvait entre autre Sayyid Abul Ala Mawdoudi, un des théoriciens les plus importants des Frères Musulmans et fondateur de la Jamaat i-Islam pakistanaise.

La naissance d’Al-Qaida
Dans les années 1980 le dictateur Pakistanais Zia ul-Haq a tout fait pour convaincre les États-Unis d’intervenir en Afghanistan contre l’invasion communiste. En vérité il cherchait à annexer le territoire Pashtoune situé a l’intérieur de l’Afghanistan ou au moins empêcher les ambitions afghanes d’annexer le territoire Pachtoune du côté Pakistanais. Dans ces années là, le Pakistan, les États-Unis et l’Arabie Saoudite ont commencé à inviter des militants islamiques à venir participer à la guerre afghane pour aider à repousser l’Armée Rouge qui avait envahi le pays en 1979. Les différents dirigeants des pays arabes ont laissé partir leurs militants en espérant de s’en débarrasser finalement. C’était la Rabitat-al-alam-al-islami qui a offert l’aide logistique et financière aux nouveaux arrivés. En plus, ils ont fait venir les Frères Musulmans pour offrir assistance aux refugiés et aux «mujahidin» (combattants).
Le Frère Musulman Palestino-Jordanien Abdullah Azzam et son compagnon de chemin Oussama Ibn Laden dirigeaient la centrale, ou la base, Al-Qaida, où les jihadistes du monde entier venaient se retrouver avant d’être répartis sur les différents groupes de combat.
A ce point, il est important de rappeler qu’Al-Qaida, au delà de la volonté de  venger les injustices commises contre le monde arabe, avait aussi pour but d’octroyer au monde arabe, nord-africain et asiatique de population musulmane, à plus grande majorité non-wahhabite, un système d’Etat totalitaire et despotique à la Taliban en Afghanistan. Leur exemple montre que l’islam peut être compris de façon bien différente, pas du tout éclairée.

Youssuf Qaradhawi, l´idéologue actuel des Frères Musulmans
Encore en 2004, Qaradhawi a émis une «fatwa» qui permet de tuer des intellectuels musulmans critiquant l’islam comme s’ils étaient des apostats. Quand Farag Fouda, un homme pieux mais critique à l’égard des Frères Musulmans, qui selon lui ne faisaient qu’instrumentaliser la religion pour exercer du pouvoir, a été tué par des extrémistes, Qaradhawi s’est empressé de souligner la légitimité d’un tel acte. A part cela, il a prôné jusqu'à la veille des révoltes arabes le «tawhid», l’introduction de la «charia», des châtiments médiévaux, le rejet de réformes, etc., en fait tout le programme spécifique des Frères Musulmans depuis leur création.
Rached Ghannouchi est membre de l’European council for Fatwa and Research, une assemblée de fondamentalistes et non d’«ulémas» classiques, présidé par Qaradhawi.

En guise de conclusion
Le champ politique était, reste et restera toujours un espace de rivalité pour l’exercice du pouvoir. La démocratie, loin de pouvoir éliminer toute ambition illicite, offre, à elle-seule, loin de tout monolithisme, des moyens de contrôler le contrôleur en dispersant le pouvoir sur différentes institutions fortes et vraiment indépendantes l’une de l’autre et indépendante du chef d’Etat.
Une bonne occasion se présente pour que la Tunisie essaye d’éviter les faiblesses qui se sont cristallisées dans les démocraties européennes, comme l’évaluation de la quantité au détriment de la qualité, ou l’effondrement du niveau de la presse ici et là, le primat des décisions économiques au détriment des décisions culturelles, d’une justice vraiment indépendante, etc.
Que la religiosité des représentants du peuple et l´application de la loi divine suffissent pour garantir la justice, l’arrêt des abus de pouvoir, de la corruption et les pots de vin, comme préconisé par les fondamentalistes religieux, qu’il s’agisse des salafistes ou des Frères Musulmans, est une contre-vérité  tranquillisante. Car, d’une part, une religiosité peut être affichée, et d’autre part, la loi divine aura a être interprétée par des êtres humains faillibles.
Il ne faut surtout pas oublier de prendre en considération que les études nécessaires pour devenir un homme de religion ont stagné durant les 500 dernières années et n’ont pas été reformées.
Jusqu’à nos jours un «‘alim» n’a pas besoin de baccalauréat, et n’a pas été confronté à une lecture critique de l’histoire du monde musulman et à une  philosophie rationnelle de l’ère des lumières relatives aux théories politiques et sociales.
Mais en quoi consiste l’importance du sécularisme dans tout cela?
Le sécularisme ne constitue, en lui-seul, aucune garantie contre les abus de pouvoir, car beaucoup de dictatures étaient séculaires. Pourtant, et comme une composante de la démocratie, son devoir consiste à garantir qu’un Etat soit vraiment celui de tous ses citoyens, que plus personne ne soit exclu pour une appartenance religieuse, idéologique ou raciale quelconque, parce que l’exclusion mène à l’injustice et celle-ci à l’instabilité sociale.
En contrepoids, il sera important d’établir un codex éthique auquel la grande majorité des Tunisiens peuvent s’identifier et se sentir comme des frères indépendamment de leur appartenance religieuse.
Certains vont sûrement argumenter que 98% des Tunisiens sont musulmans. Cela peut bien être juste. Mais leur islam est en général un islam tolérant qui a soif de se moderniser. Leur islam est loin de celui salafiste ou néo-salafiste des Frères Musulmans, même si, pour des raisons de propagande, ils prétendent représenter l’islam tunisien.
En tout cas, dans un système séculaire, tout le monde aurait le droit de pratiquer sa religiosité, mais dans un état théocratique seule la ligne de l’Etat sera permise, même les musulmans Tunisiens, qui tiennent à leur pratiques traditionnelles, seront poursuis, parce que leur islam sera jugé non conforme au fondamentalisme propagé par cette théocratie. Voir l’Iran où des «ulémas» non corrompus se rebiffent aujourd'hui et appellent à séparer la politique de la religion, car le pouvoir souille la religion.
L’idéologie du wahhabisme, à partir du texte central de Muhammad Ibn Abd Al-Wahhab et le substrat de l’idéologie des Frères Musulmans à partir des textes de leurs représentants les plus exposées, tels Hassan al-Banna, Abul Ala Mawdoudi, Sayyid Qutb et Yussuf al-Qaradhawi, et la relation entre les différentes organisations, Salafites, Frères Musulmans, Deoband, Taliban, Tablighi Jamaat, Jamaat i-Islam, Ligue du monde islamique, Al-Qaida, etc., sont expliqués et référencés en détail dans mon livre ‘‘Der Islamische Fundamentalismus. Von der Urgemeinde bis zur Deutschen Islamkonferenz’’ (en francais: ‘‘Le Fondamentalisme islamique. De la première communauté jusqu’à la conférence islamique en Allemagne’’, éd. Schiler, Berlin, 2009.

* Politologue, islamologue et auteur tuniso-allemande
Site de Khadija Katja Wöhler-Khalfallah.

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Qui sont les Frères Musulmans, les inspirateurs d’Ennahdha? (2/2)