Abderrazak Lejri* écrit – La coexistence pacifique entre les communautés – favorisée par les mariages mixtes – est garantie tant que des esprits maléfiques n’instrumentalisent pas les différences ethniques.


Quand le colonisateur français a créé en 1897 la Compagnie des phosphates et des chemins de fer de Gafsa (suite à une découverte fortuite, consécutive à une mission d’exploration au hasard d’un gisement de phosphate, par Philippe Thomas, en 1885, soit quatre ans après l’établissement du protectorat), hormis les cadres français, la main d’œuvre a afflué de Kabylie, de Tripolitaine, du Maroc et, pour l’Europe, de Corse et d’Italie, les mines ayant joué le rôle d’Eldorado, à l’instar de la ruée vers l’ouest en Amérique du Nord, qui a provoqué une affluence de populations immigrées, miséreuses ou aventurières de contrées lointaines d’Europe et d’Asie, nourrissant l’espoir d’une vie meilleure.

 

Quand Metlaoui était comparé au petit Paris!
Et si ces populations ont coexisté jusqu’à nos jours dans un melting-pot dans une relative paix sociale, c’est bien grâce à la prospérité qui était au rendez vous. Les tragiques évènements de Métlaoui ne peuvent être compris si on occulte le rapprochement avec la situation d’antan.
Depuis le début du siècle dernier et jusqu’à l’indépendance, Metlaoui était un îlot de prospérité dans un paysage aride, rocailleux et désolé du Djebel Seldja, désigné par certains colons de petit-Paris, avec son bal du 14 juillet où se bousculait la bourgeoisie coloniale venant de toute la Tunisie.
Les éléments de confort dont bénéficiaient essentiellement les cadres et ingénieurs de la compagnie et, par ricochet, les contremaîtres indigènes comprenaient une bibliothèque, un dispensaire avec gratuité des soins, des équipements sportifs de bonne facture (terrains de tennis, piscine olympique), mess des employés au menu copieux pour un prix symbolique, économat mieux achalandé que les meilleures épiceries fines de la capitale et jusqu’à des caves à vins millésimés!
Après l’indépendance, l’attractivité des conditions économiques mirifiques d’un emploi à la Cpg est restée intacte et bien de hauts cadres tunisiens fraichement diplômés des grandes écoles françaises y trouvaient l’opportunité d’y exercer leurs talents naissants dans ce qui fut la plus importante entreprise du pays.

Le repli de la prospérité et l’incurie de l’Etat
Avec le repli de l’activité du à l’automatisation et la découverte des mines à ciel ouvert, ce que les économistes appellent «dégraissage des structures» a ramené l’effectif de 15.000 à 5.000 personnes.
La mauvaise gestion et l’incurie de l’Etat ont fait le reste, les conditions de vie se dégradant et les quelques équipements collectifs tombant en décrépitude, alors qu’en même temps, le niveau de vie s’est sensiblement amélioré dans les régions côtières et autour de la capitale suite à l’avènement de nouvelles industries manufacturières et des services dont le tourisme.
Alors que dans d’autres pays, les politiques ont anticipé la reconversion – certes douloureuse – des bassins miniers des décennies avant le tarissement des ressources en matières premières, nos gestionnaires, logés à la rue d’Arabie Saoudite à Tunis (siège de la compagnie), étaient focalisés sur les voies et moyens de trouver les sources de prédation pour quelques affidés de l’ancien régime à la faveur de l’explosion des bénéfices auxquels les populations de la région n’ont pas émargé.
Nier le fait tribal dans le bassin minier et spécialement à Metlaoui c’est méconnaître une réalité façonnée par des décennies au cours desquelles les populations du Djérid ont afflué comme tant d’autres pour partager les opportunités d’emploi avec la majorité des Ouled Bouyahia, tribu autochtone majoritaire, la coexistence pacifique étant favorisée par des conditions de vie relativement décentes pour toute la communauté.
Cependant, c’est son instrumentalisation aux fins de profits pécuniaires pour certains Rcdistes et aux desseins de calculs politiques étriqués basés sur la division et les antagonismes encouragés entre groupes communautaires qui l’a révélé sous forme d’affrontements violents avec mort d’homme.
A côté de cela, dans une démarche démagogique, simpliste et bureaucratique, certains hauts dirigeants de la Cpg ont abondé dans ce non-sens de répartition pseudo-équitable numériquement parlant des postes de travail par quotepart d’emplois réservés par tribu (pour avoir la paix pensaient-ils!) favorisant l’ethnisme qui s’est transformé en racisme primaire.

L’identité nationale et l’appartenance ethnique
Nous savons tous comment, dans des pays développés, l’évocation du concept d’identité nationale a provoqué des heurts attisés par les extrémistes dans la frange défavorisée de la population essentiellement immigrée.
Les raisonnements simplistes où ce qui s’est passé à Metlaoui (pour ne citer qu’un article paru dans un média online sous le titre «Les Hutus et Tutsis de Metlaoui») a été comparé au génocide rwandais où les miliciens Hutus, conditionnés, ont massacré sauvagement à la machette un million de Tutsis, démontre qu’en Afrique et de par le monde, les ethnies et les races sont une composante qu’on ne peut ignorer dans la gestion des groupes de populations pour peu que cela ne soit pas instrumentalisé notamment par les politiques.
De là à plaquer des clichés d’un racisme primaire concernant les Jridiya assimilés à la minorité Tutsi – «crépus et basanés mais réputés plus intelligents», par opposition à la majorité des Ouled Bouyahya, «blancs de peau, aux cheveux lisses et aux yeux clairs, mais auxquels on prêterait une intelligence limitée» –, il n’ y a qu’un pas que certains racistes européens ont franchi pour distinguer les Tutsi grands, réputés beaux car descendants des peuls hamites de la vallée du Nil et plus intelligents et les Hutus trapus, laids et a fortiori moins intelligents.
Est-il utile de rappeler où la théorie de la race pure a conduit le monde!
La coexistence pacifique – favorisée par les mariages mixtes – est garantie tant que des esprits maléfiques n’instrumentalisent pas les différences ethniques (les attributs physiques ou comportementaux n’ont jamais dérangé les Bamilékés du Cameroun comme les Sfaxiens en Tunisie d’être considérés pour leurs qualités entrepreneuriales ou leur qualificatif tendancieux de vénaux!)
Tout le monde s’accorde sur le fait que ce qui s’est passé au Rwanda n’aurait pas pu se produire au Cameroun ou au Gabon où l’on compte pourtant des dizaines d’ethnies.

A suivre

* L’auteur, natif de Gafsa, a été ingénieur stagiaire en 1972 à la Cpg. Opérant au Rwanda, il est membre d’Action et Développement Solidaire (Ads), une association agissant pour la conception d’un programme de gouvernance crédible et ambitieuse basé sur un développement solidaire tant au niveau régional que social ou transgénérationnel.

Source: Blog d'Abderrazak Lejri.