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M’hamed Ezzine Chelaifa écrit de Camberra - Le réveil et la renaissance de la diplomatie tunisienne passent par une nouvelle approche active, une vision globale et cohérente et une plus grande visibilité.


Eloigné géographiquement de mon pays et quelque peu isolé intellectuellement du nouveau et prometteur débat qui agite aujourd’hui, si heureusement, le département des Affaires étrangères, j’ai été  agréablement surpris de trouver sur le net le forum «Pour une association professionnelle des diplomates tunisiens» et de parcourir le compte rendu succinct de la journée d’information dédiée a la diplomatie de la Tunisie nouvelle le 14 mars 2011.
Quitte à paraître quelque peu déphasé ou décalé, je ne peux m’empêcher de livrer quelques réflexions sur l’avenir de notre diplomatie en espérant qu’elles contribuent à animer un débat nécessaire, passionnant mais qui me semble encore balbutiant.

Les constantes et les fondamentaux
Aussi louable que soit l’initiative de l’Idfe d’organiser une journée d’études sur la diplomatie tunisienne, elle ne saurait circonscrire et venir à bout d’un sujet aussi étendu et complexe et ne saurait donner lieu à des recommandations pertinentes et approfondies.
Aider le décideur à définir et mettre en œuvre une nouvelle diplomatie tunisienne devrait faire l’objet d’un long et profond processus de réflexion qui met en interaction non seulement les anciens de la diplomatie, les universitaires et les milieux d’affaires mais aussi les jeunes diplomates, certains représentants de la société civile et des stratèges militaires. Il importe d’appréhender la diplomatie dans sa complexe singularité et sa multidimensionnelle pluralité.
Pour ce faire, et afin de dépasser les élucubrations et les approximations qui ont émaillé, à mon sens, le débat de cette journée d’informations, il importe, de procéder à deux remarques préliminaires.
Il convient tout d’abord d’éviter de parler de nouvelle diplomatie car celle-ci ne saurait se couper des déterminismes géographique, historique et économique ni effacer, du jour au lendemain, les constantes et les fondamentaux façonnés à travers le temps par les intérêts bien compris et pérennes de la Tunisie. Il vaudrait mieux parler de recentrage de la diplomatie tunisienne.
Ma deuxième remarque préliminaire concerne la nécessaire distinction entre diplomatie en tant que politique étrangère et l’outil diplomatique stricto sensu. Une réflexion pertinente devrait éviter la confusion et l’amalgame déformateur et traiter les deux concepts distinctement et dans les enceintes de réflexion différentes.

Une refonte organisationnelle et institutionnelle
Ceci étant dit, je n’épiloguerai pas aujourd’hui sur l’outil diplomatique et l’urgente restructuration du Département, d’autant plus que des réformes substantielles de l’organigramme, du statut, de la gestion des ressources humaines, et d’un redéploiement diplomatique semblent être initiées au sein de notre ministère. Il faut laisser le temps à cette refonte organisationnelle et institutionnelle de mûrir et de prendre corps.
Quant à la politique étrangère tunisienne, elle n’est plus à créer ou à réinventer. Son ossature, ses déterminismes, ses constantes et ses dimensions existent et s’imposent. Le Maghreb au tant qu’espace stratégique immédiat, l’Euro-Méditerranée en tant qu’espace économique dominant et le Moyen-Orient en tant qu’espace culturel influent constituent, de tout temps les composantes majeurs de la politique étrangère tunisienne. Cependant depuis les années 90, la mondialisation et la globalisation ont greffe sur ce tronc une vocation africaine délaissée et négligée, une ouverture sur le continent américain cantonnée aux Etats Unis et au Canada principalement et un intérêt évident pour l’Asie, nouveau pôle économique mondial.
Les contours sont là et ne peuvent être modifies. En revanche le contenu, les stratégies et les objectifs sont complément à revoir, tant notre politique extérieure a été vidée de son sens, altérée, modifiée, bafouée et mise au rabais durant les 20 dernières années.
Pour y remédier et recentrer la politique étrangère tunisienne, il convient avant tout d’identifier ses distorsions et ses altérations afin de la réhabiliter et de la vivifier.
Dans cette optique, je perçois trois grands maux qui ont gangrené la diplomatie tunisienne depuis les années 90, après qu’elle ait connu son âge d’or durant les décennies 60 et 70.

Une diplomatie timorée, inconsistante et sur la défensive
Le grief majeur que l’on peut reprocher à la diplomatie du président déchu est sans conteste sa passivité et son manque flagrant d’initiative. Déstabilisée et affaiblie par les reproches de la communauté internationale sur l’absence de démocratie et l’irrespect des droits de l’homme, la diplomatie tunisienne est devenue timorée, inconsistante et sur la défensive. Ressassant un discours dessué, lénifiant et lassant, la politique étrangère s’est désintéressée de la participation dans les débats des grandes questions régionales et internationales et a adopté des prises de position suivistes et timides sans visibilité ni lisibilité en abandonnant l’initiative qui a contribué au rayonnement diplomatique de la Tunisie bourguibiste. Le capital sympathie et estime amassé durant les années 60 et 70 a été dilapidée, altérant gravement son image et sa crédibilité sur le plan régional et international.
Deuxièmement, la diplomatie a péché depuis vingt ans par son incohérence. Dépourvue de vision globale et d’articulations entre les dimensions géographiques et son contenu thématique, elle s’est constituée en une superposition de politiques régionales (maghrébine, arabe, méditerranéenne, africaine) parfois contradictoires et sans aucune cohérence. De plus, le volet politique était souvent délaissé au profit d’une diplomatie économique qui est certes importante mais qui cachait souvent une indigence diplomatique.

Plus de visibilité et de professionnalisme
Enfin, la diplomatie tunisienne s’est dévalorisée et décrédibilisée par l’amateurisme de ses initiateurs. Soumise à une emprise totale d’un Palais de Carthage néophyte en matière de relations internationales, le positionnement diplomatique de la Tunisie s’est souvent décidé en fonction de l’humeur de la rue tunisienne et selon une grille de lecture complètement erronée consistant à considérer la politique étrangère comme le prolongement de la politique intérieure. Ce qui est un non-sens.
Ainsi, le réveil et la renaissance de la diplomatie tunisienne passent par une nouvelle approche active, reprenant l’esprit d’initiative, par une vision globale et cohérente, une plus grande présence et visibilité dans les enceintes bilatérales et multilatérales ainsi que par un professionnalisme de la chose diplomatique.
Avec l’avènement de la démocratie, l’image de la Tunisie est réhabilitée et notre diplomatie dispose désormais d’un nouveau et puissant catalyseur.

* Les titre et intertitres sont de la rédaction.