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Tunisie Banniere

L'auteur, président du WAC de Philadelphie, estime que «la réussite de la démocratie en Tunisie est indispensable au progrès vers un monde sans tyrannie».

Par Craig Snyder*

>Quelques jours avant l'horrible attaque contre le musée du Bardo (18 mars 2015, Ndlr), je me suis rendu en Tunisie, à la tête d'un groupe de citoyens américains dans le cadre d'une visite organisée par le World Affairs Council de Philadelphie. Nous avions fait ce déplacement pour constater par nous-mêmes ce qui se passe dans ce pays et pour apporter, par notre présence, notre soutien à cette révolution tunisienne qui n'a jamais cessé d'enregistrer des progrès, depuis son déclenchement en 2011.

Une démocratie moderne en terre arabo-musulmane

Sur place, nous avions eu un droit d'accès exceptionnel, du Palais de Carthage au quartier général du parti Ennahdha, des organisations non-gouvernementales à Tunis aux étudiants et enseignants universitaires à Kairouan et Sousse.

Qu'avions-nous appris?

Qu'il n'y a pas – du moins qu'il n'est pas nécessaire d'y avoir – de «choc de civilisations» entre l'islam et l'Occident, mais plutôt, ainsi qu'il fut le cas durant la Seconde Guerre mondiale et la Guerre froide, une autre confrontation, au service de la civilisation elle-même, entre les alliés de toutes les confessions qui ont en commun des valeurs visant à faire progresser l'humanité, et ces idéologies, et leurs adhérents, qui, au contraire, entendent faire régresser l'humanité.

A ceux qui continuent de nourrir des doutes, ou qui n'arrivent pas à saisir, qu'il existe, dans l'impératif de lutter contre le jihadisme terroriste, une continuité des combats contre le fascisme et le communisme, je leur demande, dans le même esprit qu'entretenait John Kennedy à Berlin, de se rendre à Tunis.

A l'époque, le monde avait compris que la survie et le succès de la liberté dans la partie occidentale de Berlin étaient indispensables au destin de la liberté partout dans le monde. Aujourd'hui, que l'on comprenne bien que la survie et la réussite de la liberté en Tunisie sont, de la même manière, d'une importance énorme pour la poursuite du progrès vers un monde où la tyrannie n'aura pas lieu d'exister.

J'ai pu découvrir, durant mon bref séjour dans la Tunisie tumultueuse, que c'est bien là, et à ce moment précisément, que quelque chose de véritablement nouveau – une démocratie moderne en terre arabo-musulmane – est en train de voir le jour. Cependant, cette promesse est menacée de l'intérieur aussi bien que de l'extérieur. Le massacre perpétré au musée du Bardo, en mars dernier, a mis en évidence ces dangers qui proviennent du voisinage violent de la Tunisie. Mais les menaces externes sont moins importantes, sur le long terme, que les difficultés internes auxquelles le pays est confronté aujourd'hui.

Il serait absurde de prétendre que les extrémistes ne sont pas musulmans, de la même manière qu'il était absurde de soutenir que les nazis n'étaient pas des Allemands parce qu'ils n'ont pas fait honneur aux contributions que l'Allemagne avait faites à la civilisation humaine – ou que les esclavagistes américains n'étaient pas américains parce qu'ils entretenaient une vision erronée de notre credo national américain. Le soutien d'une nette majorité des Tunisiens à l'expérience démocratique dément la notion selon laquelle l'islam et la modernité sont incompatibles.

Le droit de l'individu de réaliser ses rêves

Alors que je sillonnais le pays, une phrase n'a jamais cessé de faire écho dans mon esprit: «La liberté n'est pas libre».

Cette phrase était constamment là, elle me suivait et me harcelait partout où je me rendais et dans toutes les situations – sur la route de Tunis à Kairouan, à la vue d'une décharge d'ordures à ciel ouvert s'étendant sur une soixantaine de kilomètres, à la vue de ces tonnes et tonnes de déchets incontrôlés qui agressent ainsi un aussi bel environnement. Elle était là également en plein cœur du centre-ville de Tunis où mes collègues et moi-même avions constaté que de nombreux feux de la circulation n'ont plus été en service au lendemain de la révolution et que la liberté de mouvement ordonnée, que créent certaines restrictions raisonnables du trafic, a été remplacée par un tel degré inutile de danger à traverser la rue.

Dans le contexte américain, les nombreux cas où la liberté n'était pas libre et où une république démocratique avait besoin d'institutions de la société civile et de valeurs de la responsabilité individuelle pour permettre aux structures politiques et légales de fonctionner normalement – et pour jeter les fondements culturels d'une prospérité qui profite au plus grand nombre – ont été longuement décrits par l'historien français Alexis de Tocqueville.

Ainsi, j'ai quitté la Tunisie tout à fait convaincu que De Tocqueville avait raison de décrire, comme il l'a fait, ce qui a réussi en Amérique. J'ai également acquis la certitude de ce qui pourra réussir en Tunisie.

Les nations ne sont pas de véritables démocraties tout simplement parce que des y sont organisées. Elles tiennent des élections parce qu'elles possèdent les fondements culturels pour asseoir la démocratie.

Une véritable démocratie peut soutenir et soutiendra toujours des responsables incapables. Les Etats Unis d'Amérique ont connu ce type de situation.

Le projet révolutionnaire en Tunisie n'en est qu'à ses débuts – même s'il a enregistré ce succès exceptionnel de la formation d'une coalition gouvernementale librement élue et des concessions extraordinaires consenties par les partis laïcs et les islamistes.

Ce que De Tocqueville avait écrit au sujet des Etats Unis d'Amérique est tout aussi vrai de la Tunisie d'aujourd'hui. Une autonomie gouvernementale permanente passe, en premier lieu, par la capacité que peuvent avoir les citoyens à se gouverner eux-mêmes. Elle requiert des institutions de diverses tailles et formes qui servent de structures médiatrices entre les individus et l'Etat. Elle nécessite, peut-être plus que toute autre chose, la compréhension qu'un Etat libre existe, non pas pour réaliser des rêves, mais pour garantir les droits des citoyens à réaliser leurs rêves.

Il m'a été donné de voir de mes yeux qu'il existe en Tunisie toutes les forces nécessaires pour relever ces défis et mettre sur pied la société civile qu'il faut pour nourrir la démocratie.

Et cela mérite certainement le soutien des Etats Unis, de son gouvernement et son peuple.

Faisons tous, d'une manière ou d'une autre, le déplacement en Tunisie.

Texte traduit de l'anglais par Marwan Chahla

*Craig Snyder est, depuis décembre 2012, président du World Affairs Council de Philadelphie (WACP), une organisation sans but lucratif et ni affiliation politique vouée à l'éducation. Le WACP a été créé en 1949.

** Titre original de l'article : «In Tunisia, understanding core democracy». Le titre et les intertitres sont de la rédaction

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